Conquistador

Grâce à l’investissement de dix hommes d’affaires, Neymar da Silva Senior est resté affilié à l’União Mogi, un club de D3 du Brésil. C’est ainsi que Mogi das Cruzes est désormais connue comme la ville natale de son fils Neymar Junior, la star du FC Barcelone et de l’équipe nationale brésilienne.

Bairro Rodeio, à Mogi das Cruzes. Une ville que les Belges connaissent bien depuis que les Diables Rouges y ont installé leur quartier général pendant la Coupe du monde, il y a un peu plus d’un an. Pas dans ce quartier, toutefois, mais dans un endroit bien plus luxueux. Un luxe que le jeune Neymar a mis longtemps à découvrir. Le building à appartements dans lequel vivaient son père, Neymar Da Silva, et sa mère, Nadine Santos -Residência Safira, 4e étage, bloc C- était plutôt du genre modeste.

Il a été construit par une coopérative d’ouvriers de la sidérurgie. Une petite habitation dotée d’une seule chambre, d’un petit living et d’une petite cuisine. C’était peu mais, au moins, l’enfant né le 5 février 1992 à deux heures du matin à la clinique Santa Casa da Misericordia, avait un toit. On l’appela Neymar Junior pour faire la distinction avec son père mais ses proches l’ont rapidement surnommé Juninho ou Juni.

Un des deux médecins présents au moment de l’accouchement se souvient d’avoir entendu son père dire fièrement :  » Un jour, ce sera le plus grand footballeur du Brésil.  » A ce moment-là, c’était bien entendu le cadet de ses soucis, mais cela lui revient en mémoire plus tard, lorsque des journalistes lui font remarquer qu’il a assisté à la naissance d’une star. Et voici quelques mois, au moment de l’accouchement de son premier fils, Junior répéta les mêmes mots.

Neymar Sr et Nadine étaient des amis d’enfance. Elle avait 16 ans et lui 18 lorsqu’ils sont tombés amoureux l’un de l’autre. Ils se sont mariés en 1991 et l’année suivante, leur fils voyait le jour. Elle était institutrice, lui était attaquant à l’União Mogi, un club amateur de la ville. Ils gagnaient juste de quoi vivre et n’avaient même pas de voiture. Lorsqu’ils ont quitté l’hôpital avec le bébé, c’est Atilio Suarti, le kiné du club, qui les a ramenés à la maison. Il était le seul ami de Neymar Da Silva à posséder un véhicule…

Mais le destin de certaines personnes est écrit. Si Neymar Jr est né à Mogi das Cruzes, c’est à cause du football. Son père et sa mère étaient en effet originaires de la région de Santos, sur la côte. Son père, un attaquant, avait un certain talent. Il était droitier. Début 89, lorsqu’il s’établit à Mogi das Cruzes, l’União affichait certaines ambitions dans le championnat de D3 de l’Etat de São Paulo.

Papa Neymar, qui n’a alors qu’une vingtaine d’années, se voit offrir un logement dans un bâtiment appartenant au club tandis que Suarti l’aide à combler ses lacunes sur le plan physique. C’est ainsi qu’ils devinrent amis.

Une coupure à la tête

Le transfert s’avère positif car Papa Neymar livre une excellente première saison. Contre Rio Branco de Americana, qui rejoignait la deuxième division, il a fait tellement forte impression que ce club voulait le transférer. Il a donc prévenu la direction de Mogi qu’il allait partir.  » Ce transfert va me permettre d’acheter une maison pour ma mère dans le village où elle habite (dans les environs de la ville portuaire de Santos, ndlr) « , dit-il à Moacir Texeira, le directeur financier de l’União Mogi.

Le club veut garder Neymar Sr mais il n’a pas beaucoup d’argent. Texeira imagine donc une solution. Dix sympathisants du club, des hommes d’affaires locaux, achètent les droits économiques de Neymar Sr, évalués à 100.000 nouveaux cruzados (ce qui ferait environ 16.000 euros aujourd’hui). Papa Neymar a reçu une petite augmentation et il est resté à Mogi das Cruzes.

Sa chance fut pourtant de courte durée et celle de Neymar Jr faillit bien passer très rapidement aussi. Lorsque la famille s’agrandit, Papa Neymar achète une petite Ford rouge. Une nuit, au retour de Santos, dans la descente de la chaîne de montagnes qui sépare la côte de São Paulo, il est ébloui par les phares d’un conducteur venant en sens opposé et roulant à gauche. Les deux voitures entrent en collision et quittent la route.

Nadine est assise à l’arrière, le bébé dans les bras. Ils ont beaucoup de chance. Le bébé lui échappe mais est retenu par le siège avant et s’en tire avec une coupure profonde à la tête. Pour Neymar Sr, c’est plus grave. Il est blessé à la hanche et souffre d’une fracture de la jambe. Absent des terrains pendant un an, il ne va plus jamais retrouver son niveau.

Les hommes d’affaires qui avaient cru en lui ne vont jamais récupérer leur argent.  » Mais nous gardons de bons souvenirs du père de Neymar « , dit Texeira.  » C’était un homme honnête. Il était fantastique sur le terrain avant l’accident mais tout aussi formidable dans la vie après celui-ci.  »

Neymar Jr va habiter à Mogi das Cruzes pendant trois ans jusqu’à ce que son père en ait marre de souffrir et décide de mettre un terme à sa carrière. Entre-temps, Neymar Jr a eu une soeur, Rafaella, et la famille décide de retourner vivre à Santos. Berenice, la grand-mère de Neymar Jr, habite à San Vicente, près de la ville portuaire. Sa maison est suffisamment grande pour accueillir toute la famille. Neymar Sr trouve du travail comme mécanicien tandis que les enfants jouent sur la plage.

Ceci explique pourquoi aujourd’hui, à Mogi das Cruzes, peu de gens se souviennent encore de Neymar. Avant la Coupe du monde, plusieurs journaux brésiliens y ont envoyé des reporters sur les traces de la star mais ceux-ci n’ont pas ramené grand-chose. Reginaldo Wilson da Silva, qui exploite un kiosque à journaux dans le quartier depuis 19 ans, dit se souvenir d’un petit gamin qui l’impressionnait par sa technique.

Il fabule sans doute car on a quand même rarement vu un gamin de deux ans faire impression… Quant aux voisins, ils se rappellent surtout que la famille était réservée, calme et qu’elle ne sortait pratiquement jamais.

Une collection de ballons

Au moment d’écrire la biographie de Neymar, Juan Ignacio Garcia Ochoa est parti à la recherche de l’histoire du jeune homme. Il a découvert que, tout petit déjà, Neymar Jr était fasciné par le ballon. A chaque anniversaire ou à la moindre occasion, il en recevait un. A un certain moment, il en possédait une cinquantaine. Il en perdait rarement un. Et quand ça arrivait, il le cherchait jusqu’à ce qu’il le retrouve.

Il transformait la maison familiale en terrain de foot de façon à pouvoir toujours jouer. A l’extérieur si possible, à l’intérieur au besoin. Les ballons salissaient les murs et ça énervait sa mère mais elle n’y pouvait pas grand-chose. Il utilisait également sa soeur et sa cousine comme… piquets de but.  » Nous devions le supplier de ne pas tirer trop fort « , dit un jour Rafaella au cours d’une interview.  » Mais parfois, il oubliait. Il était tellement obsédé que, lorsqu’il perdait le ballon contre une chaise ou un fauteuil, il criait qu’il y avait faute « .

Les chaises ont joué un rôle important dans sa carrière. Elles faisaient non seulement office d’adversaires mais aussi de buts. Junior en plaçait une contre le mur et s’obligeait à tirer entre les pieds. Du gauche et du droit, pendant des heures. Il n’était content que si le ballon passait sans rien toucher. Parfois, il prenait le ballon en main, le lançait de toutes ses forces contre le mur et s’obligeait à le contrôler de la tête, de la poitrine ou du genou. C’est ainsi qu’il travaillait sa technique.

De nombreux jeunes Brésiliens ont des problèmes de surpoids. Neymar n’en a jamais eu. Hermenegildo Pinheiro Miranda, directeur du Colegio Liceu à l’époque, se rappelle que, pendant la pause de midi, le jeune homme venait lui demander un ballon. Hermenegildo lui demandait alors s’il avait déjà mangé et il répondait que oui.  » Je savais très bien qu’il mentait mais il aimait tellement le ballon…  »

En principe, la famille de Neymar n’aurait jamais dû avoir accès à ce collège, un des plus prestigieux et des plus onéreux de São Paulo. Mais Hermenegildo avait de l’ambition et il voulait absolument que l’équipe du collège remporte un tournoi prestigieux soutenu par Radio Globo et la chaîne de télévision Tribuna. Il s’était donc mis à la recherche de bons joueurs et était tombé sur Neymar. Il avait alors offert une bourse à son père pour lui permettre de payer les études de son fils.

Vilma Julia Rinaldi était l’un de ses professeurs et elle était très contente de son nouvel élève : il était calme, souriant, intelligent, bien éduqué et avait de bonnes manières.  » Un peu timide, aussi « , dit-elle. Mais sûr de lui, se souviennent ses camarades de classe. Un bon footballeur qui, très vite, attire le regard du sexe opposé. L’un d’entre eux dit qu’à onze ans, on l’appelait déjà le conquistador.

A cet âge-là, il signe déjà des autographes et aime recevoir des bisous des filles. L’accident auquel il a survécu tout petit a rendu sa famille très croyante. Neymar ne monte jamais sur le terrain sans prier. Et au tournoi de l’école, il lui arrive souvent de jouer avec un bandeau sur la tête sur lequel était écrit 100 % Jesus.

La gaffe du Real

Comme le tournoi est connu, les journaux s’y intéressent. La presse locale consacre de premiers articles à Neymar Jr, ce qui ne plaît pas à tout le monde, se souvient Mateus Pavão Fuschini.  » L’équipe était composée de gamins de 12 ou 13 ans et Neymar évoluait déjà à Santos. Nous organisions des entraînements mais il ne pouvait jamais y participer car ils avaient lieu en même temps que ceux de son club.  » Et certains ne trouvent pas normal qu’il joue sans s’entraîner.

Mateus résout le problème à sa façon. Il demande à Santos de venir jouer un petit match contre l’équipe de l’école. Neymar dribble tout le monde dans un mouchoir de poche et inscrit dix buts. Ses équipiers sont tellement impressionnés que plus personne n’exige qu’il soit présent à l’entraînement. Ils étaient déjà très contents qu’il soit là pour le tournoi.

Comment devient-on un grand joueur ? D’abord, il faut du talent et ça, c’est inné. Il faut aussi beaucoup s’entraîner et travailler sa technique. Neymar ne l’a pas fait que dans le salon à la maison ou sur un terrain : comme Junior Dutra, l’ex-attaquant de Lokeren, également originaire de Santos, il a aussi beaucoup joué en salle.

C’est le futebol de sala qui a révélé Robinho et Ronaldinho, les idoles de Neymar.  » C’est là que j’ai appris à faire des petits ponts, des roulades de la semelle, des dribbles… Bref, tout ce qui doit se faire rapidement « , expliquait-il, à l’époque déjà, dans des interviews. L’école posséde une salle et il y en a une autre dans les environs de Vila Belmiro, le stade de Santos.

Lorsqu’il fait trop chaud ou qu’il pleut trop, on joue à l’intérieur. C’est là que Neymar a acquis cette coordination des mouvements qui alerte rapidement les recruteurs et les entraîneurs de Santos qui, à douze ans, le trouvent inarrêtable et, à quinze ans, se réjouissent de le voir débuter en équipe première. Les Brésiliens n’hésitent jamais à lancer de jeunes joueurs parce que le public aime cela mais aussi parce que ça peut rapporter gros en cas de transfert.

Neymar est donc encore très jeune lorsqu’il commence à gagner de l’argent. A l’âge de onze ans, il signe son premier contrat : environ 100 euros par mois. Une bonne chose pour la famille qui, rapidement, se rend compte qu’il peut gagner beaucoup plus. Début 2006, alors qu’il n’a pas encore 14 ans, Neymar Jr est invité en stage au Real Madrid. Le 21 mars, il prend l’avion pour la capitale espagnole avec son père.

Après deux jours, ce dernier rentre. Le gamin, lui, reste deux semaines puis téléphone pour dire que ses amis et sa famille lui manquent et qu’il ne supporte plus le froid. Peut-il rentrer ? Le Real, en pleine restructuration au niveau directionnel, hésite et refuse de payer 60.000 euros pour le transfert du joueur. Aujourd’hui, on peut se dire que les Merengue ont commis une fameuse bourde.

A son retour à Santos, Neymar se voit offrir un salaire mensuel de 6.000 euros. Soudain, les problèmes financiers des parents passent à la trappe. Mais il n’y a pas que des avantages. Plus question, par exemple, d’aller jouer tranquillement sur la plage avec les copains.

Un jour qu’il s’y est risqué, il a été entouré par 300 personnes en moins de temps qu’il ne faut pour le dire. Il a même fallu l’intervention de la police pour le délivrer.  » Ce jour-là, dit-il, j’ai constaté le pouvoir du football et j’ai compris combien ma vie avait changé.  » C’était pourtant bien avant son transfert à Barcelone et tout le chaos qu’il allait provoquer…

PAR PETER T’KINT – PHOTOS : BELGAIMAGE

En 2006, le Real pouvait l’avoir pour 60.000 euros. Il s’en mord toujours les doigts aujourd’hui.

 » Lorsqu’il perdait le ballon contre une chaise ou un fauteuil, il criait toujours qu’il y avait faute.  » Rafaella, sa soeur

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