Congo Cash

Champion de NBA avec les Lakers, l’ex-réfugié congolais aujourd’hui belge, n’avait jamais touché un ballon de basket durant son enfance…

C’est l’histoire d’un mec que la nature a doté d’un physique impressionnant et d’une taille de 2,13m. Il avait bien droit à un petit cadeau, car la vie ne l’a pas gâté : son père a été tué, lui a été emprisonné dans les geôles congolaises avec ses frères et en a échappé presque par miracle. Il ne s’est pas rendu compte tout de suite que ce don de la nature pouvait lui être utile. Au départ, il était même plutôt complexé par sa taille. C’est en arrivant en Belgique, où il s’était réfugié en 1998 après avoir fui son pays, qu’il tomba sur l’ancien basketteur de légende WillySteveniers. Celui-ci s’est mis en tête de lui coincer un ballon dans les mains et comprit aussi très rapidement le profit qu’il pourrait tirer de ce diamant brut appelé DidierMbenga. Il lui fit signer un document stipulant qu’une partie de ses gains ultérieurs lui était dû, à vie. Légal ou pas ? L’affaire est aujourd’hui entre les mains des avocats. Mbenga, qui n’avait jamais touché un ballon de basket de sa vie, progressa à pas de géants. Normal dans son cas, direz-vous. Après avoir joué à Gilly, Louvain et Charleroi, le voilà aujourd’hui champion NBA avec les mythiques Los Angeles Lakers.

 » Je suis incapable de dire à qui ou à quoi j’ai pensé au moment où j’ai soulevé le trophée et où j’ai enfilé la bague du champion « , réfléchit-il.  » C’est un peu toute ma vie qui a défilé. La bande du film s’est déroulée du début à la fin. Avec tous les souvenirs, tristes et joyeux. C’était spécial : l’aboutissement de beaucoup de choses. Pour autant, je ne considère pas cet accomplissement comme une revanche sur le sort. Simplement comme la consécration de longues années de travail. Dommage que toutes les personnes avec lesquelles j’aurais aimé partager cette joie n’avaient pu être là. Mon papa, entre autres. A d’autres personnes également. Ce titre, on ne pourra jamais me l’enlever. Mais il ne faut pas que ce succès me monte à la tête. Je m’efforce donc de garder les pieds sur terre. Et je parle de tout cela avec beaucoup d’humilité. Je continue à travailler. Avec un objectif en tête : continuer à gagner. Et, pourquoi pas, une deuxième bague. « 

 » Je n’ai pas choisi les Lakers : LA m’a choisi « 

Mbenga s’apprête à entamer, en novembre, sa sixième saison en NBA. Au cours des cinq précédentes, il a déjà disputé trois finales : deux perdues et une gagnée. Il a joué pour les Dallas Mavericks, les Golden State Warriors et défendra, la saison prochaine une nouvelle fois, les couleurs des Los Angeles Lakers.  » Une véritable institution aux Etats-Unis. La proximité d’Hollywood contribue à accroître son prestige. On croise régulièrement des stars de cinéma dans les travées du Staples Centre. « 

A Marina Del Rey, où il vit, Mbenga en côtoie d’ailleurs quelques-unes.  » C’est un coin assez tranquille, le long du Pacifique, où je peux me reposer sans pression. Je ne sors pas beaucoup. LA, c’est une ville de fous, je préfère garder un peu d’intimité.  »

Trois finales en cinq ans, mais un temps de jeu (très) limité : tantôt 30 secondes, tantôt deux minutes, tantôt… rien du tout. Mbenga a-t-il délibérément choisi les grands clubs plutôt que des équipes plus moyennes où il jouerait davantage ?  » Il faut bien comprendre une chose : en NBA, ce ne sont pas les joueurs qui choisissent leur club, mais les clubs qui choisissent leurs joueurs « , se défend-il.  » Une équipe qui ambitionne d’atteindre la finale des playoffs a besoin de 12 bons joueurs… et même 14 car il y a toujours l’un ou l’autre blessé. Elle ne peut pas se contenter d’un cinq de base compétitif et d’un banc composé de Charlots. Si j’ai été choisi pour faire partie des LA Lakers, cela signifie quelque chose. Je n’ai pas été engagé par hasard. Il y a eu une période, durant la saison, où j’ai eu droit à 15 minutes par match. Effectivement, il est arrivé que je ne monte pas du tout, mais je connais mon rôle et je m’y cantonne. Si l’on m’a proposé de rempiler pour une saison supplémentaire, cela signifie qu’on a été content de moi et qu’on m’a jugé utile. En match ou… à l’entraînement, où l’on pousse les autres à être encore meilleurs. Ce n’est pas pour rien qu’on me surnomme MisterEnergy. Je travaille toujours tant et plus. Mon autre surnom, c’est CongoCash. C’est KobeBryant en personne qui me l’a attribué. Il en a eu l’idée parce que, sur certaines phases de jeu, je recevais le ballon et je marquais toujours. C’était à chaque fois bingo. Congo Cash, donc. ( Ilrit). J’aimerais pouvoir en dire autant en équipe nationale belge. Là, malheureusement, tous mes envois ne font pas mouche. Je dois m’adapter à un autre style de jeu. Je n’irai pas jusqu’à dire que l’on me demande des choses différentes, car cela reste du basket. Non, c’est une autre approche. Je ne m’en formalise pas : c’est aussi à moi de m’adapter, pas aux autres à s’adapter à moi.  »

 » Bryant m’a appelé pour qu’on se voie sur Paris « 

Mbenga entretient de bonnes relations avec Bryant.  » Kobe m’a encore téléphoné la semaine dernière, au lendemain de la victoire contre le Portugal. Il était à Paris, pour honorer des contrats publicitaires, et m’a demandé si je pouvais le rejoindre là-bas. Désolé, mais j’ai des obligations avec l’équipe nationale. Maintenant, c’est trop tard : Kobe a quitté la France samedi dernier. « 

D’où vient cette complicité avec Bryant ?  » D’abord, c’est un gars très ouvert. Pour véritablement connaître les gens, il faut les côtoyer. Au départ, j’imaginais Kobe comme les gens extérieurs l’imaginent : une mégastar, quasiment inaccessible. Lorsqu’on le côtoie, on se rend compte que c’est finalement un homme comme tout le monde. C’est surtout un grand compétiteur : si je m’entraîne beaucoup, lui s’entraîne encore dix fois plus. Il est véritablement obsédé par la victoire et ne pense qu’à cela. Lorsqu’il perd, il est malade. Kobe n’est pas mon meilleur ami aux Lakers, mais on se respecte. « 

Le meilleur ami de Mbenga, c’est TrevorAriza, l’ailier qui a parfois fait la différence en sortant du banc durant la finale des playoffs.  » Malheureusement, il va quitter LA pour rejoindre les Houston Rockets. Il va beaucoup me manquer. J’ai déjà mal au c£ur, rien que d’en parler. On habitait dans la même rue, à Marina Del Rey. On allait ensemble à l’entraînement : tantôt dans la voiture de l’un, tantôt dans la voiture de l’autre. Son fils s’était aussi pris d’amitié pour moi. Il courait vers moi dès qu’il m’apercevait, et répondait plus facilement à mes ordres qu’à ceux de son père. Lui aussi va beaucoup me manquer.  »

Mbenga, lui, reste aux Lakers, c’est décidé.  » J’étais prêt à partir, mais en discutant avec Bryant et d’autres joueurs phares, chacun semblait d’accord pour affirmer qu’il y avait intérêt à garder le groupe de la saison dernière. Avec moi dedans, donc. C’est une belle marque d’estime et j’ai donc trouvé un accord avec LA pour rester une saison supplémentaire.  »

Au risque de se contenter, une fois encore, d’un temps de jeu restreint ?  » Comme tout joueur, j’ai envie de passer le plus de temps possible sur le terrain. Mais je suis avant tout un compétiteur : je veux gagner. Jouer davantage en perdant la majorité des matches, cela ne m’intéresse pas. Je sais ce que certaines personnes disent : – D’accord, ilestchampion, maisc’est àpeines’ilmonteaujeu ! Tant pis, que ces gens-là continuent à me critiquer. J’adore quand on dit du mal de moi. Cela me motive. J’adore la pression également. La pression et les critiques : j’en redemande. Lorsqu’un article a été publié sur moi, je m’attarde très peu sur les éloges, plutôt sur les critiques. Après cela, je sais ce qu’il me reste à faire…  »

 » Makélélé, Del Piero, Henry : mes amis étaient là « 

Pendant la finale, Mbenga a eu le plaisir de revoir DukeTshomba, qui officiait comme consultant de BeTV.  » Il ne m’avait rien dit au téléphone, le coquin ! Il a voulu me faire la surprise. Après le match, la porte du vestiaire s’est ouverte et j’ai vu la tête de Duke qui apparaissait. On a bien rigolé. On a fêté le titre avec plein de copains. Des joueurs de football, aussi : ClaudeMakélélé, AlessandroDelPiero, ThierryHenry. DidierDrogba, malheureusement, n’a pas pu venir. On a été champion dans la salle d’Orlando. On a donc dû prendre l’avion pour rentrer à LA. Là, c’était la folie. Pendant plusieurs jours, la rue où nous habitions, Ariza et moi, a été bouclée par la police.  »

Aux Lakers, Mbenga s’entraîne sous la direction d’un coach légendaire : PhilJackson, dix titres NBA au palmarès et l’homme qui, jadis, dirigea MichaelJordan aux Chicago Bulls.  » Encore un mythe… Il est parfois insondable. J’ai l’impression qu’il peut changer d’avis du jour au lendemain. Mais son objectif est toujours le même : amener le joueur qu’il entraîne à un niveau supérieur, sans pour autant lui mettre trop de pression. J’ai énormément progressé sous sa direction et sous celle de ses assistants. Aujourd’hui, je suis plus en confiance lorsque je monte sur le terrain. Je sais aussi faire beaucoup plus de choses qu’avant.  »

La NBA, c’est du sport mais aussi du business. Les stars y gagnent énormément d’argent, mais Mbenga n’aime pas trop en parler.  » Je suis quelqu’un de simple. Je pars du principe que tout est bien, mais que tout n’est pas utile. Il faut d’abord se concentrer sur ce que l’on fait et songer aussi à son après-carrière, car il y aura une vie après le basket. J’y pense tous les jours. Déjà, à Charleroi, j’y pensais… « 

Charleroi, la dernière étape belge de Mbenga avant la NBA.  » Je suis parti sur un titre.  » Mais que vaut un titre de champion de Belgique par rapport à un titre NBA.  » Un titre, c’est un titre « , clame-t-il.  » Ils ont tous de la valeur car ils représentent un accomplissement, une étape dans une carrière, dans une vie. « 

 » Ma plus belle saison, je l’ai vécue à Louvain « 

Sa vie à lui l’a mené en Belgique. C’est désormais son pays d’adoption.  » Non, c’est mon pays tout court. Je suis Belgo-Congolais est j’en suis fier. J’aimerais tant aider l’équipe nationale à se qualifier pour le Championnat d’Europe. Je dois beaucoup au basket belge. Je dis souvent que, la meilleure saison de ma carrière, c’est à Louvain que je l’ai passée. On jouait sans pression et on a battu tout le monde, sauf Charleroi. « 

Arrive-t-il à Mbenga de repenser à tout ce qu’il a vécu avant son arrivée en Belgique ?  » Oui, bien sûr, mais j’essaie d’en tirer le positif. C’est peut-être dans tous les malheurs que j’ai connus que j’ai puisé la force de travailler d’arrache-pied pour réussir. « 

Didier reste très pudique aussi lorsqu’on lui demande le pire moment qu’il a connu dans sa vie.  » Ma blessure au genou « , répond-il. Qu’est-ce qu’une blessure au genou lorsqu’on a frôlé la mort et qu’on a perdu des proches ?

Mbenga retournera en Afrique en septembre : il est chargé d’y représenter dignement la NBA.  » Depuis que DikembeMutombo a arrêté sa carrière, cette responsabilité m’incombe un peu. J’irai en Angola et en Afrique du Sud pour y prêcher la bonne parole auprès des jeunes. J’essayerai de leur expliquer que le mieux pour eux est de se prendre en charge eux-mêmes, sans trop faire confiance à d’autres personnes. Et que le travail fera le reste.  »

Allusion aux déboires qu’il connaît avec Steveniers, qui lui donne l’impression de l’avoir trahi ?  » Le passé est le passé, je n’ai pas trop envie d’en parler. C’est l’avenir qui compte. « 

par daniel devos – photos: reporters

La Belgique n’est pas mon pays d’adoption, c’est mon pays tout court.

J’adore qu’on dise du mal de moi.

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