Conditionnement psychologique ?

Vécu cette saison : l’équipe adverse fait le break dans les arrêts de jeu suite à une décision, à nos yeux giga-douteuse, du juge de ligne. Coup de sifflet final, je vois Gontrand, Gon pour les intimes et qui a la tête assez près du bonnet, se ruer sans jugeote vers le linesman. Je me rue en réaction û plus exactement je trottine au plus vite û en me disant déjà que je vais devoir me saloper, et plaquer mon joueur au sol avant qu’il fasse sa fête et une grosse tête à l’homme en noir. Mais non, j’ai sous-estimé son self-control. A deux mètres du gars au drapeau, Gon bloque net sa course et se contente de lui éructer cinq syllabes :  » T’es mauvais ! Mauvais ! « . Pas un mot de plus, je le jure, croix de bois, croix de fer, si je mens j’bois plus d’Jupiler… L’arbitre ne s’amène qu’ensuite dans le jeu de quilles, il n’a rien entendu des cinq syllabes ; et Gon, solidement  » encadré  » par deux potes, fait déjà demi-tour vers les vestiaires. Dans cette histoire, ce qui me fout en rote ne viendra qu’ensuite : le rapport de cet arbitre mentionnera en toutes lettres que Gon  » a traité le juge de ligne de tous les noms d’oiseaux !  » Cinq brèves syllabes se sont muées en litanie d’outrages ornithologiques… que n’appréciera pas le C.P. quand il statuera sur l’incident !

Un exemple parmi mille pour dire que les décisions d’arbitre foutent les boules chaque semaine à celui qui n’a pas gagné, et qui le supporte plus ou moins pacifiquement selon son tempérament. Pour redire que la passion du foot n’est pas une voie vers la Sagesse et le Détachement Suprême, sauf si l’on choisit de vivre cette passion comme un stoïcisme, un apprentissage lent de l’Injustice à supporter ! Injustice triple : parce que les forces en présence ne sont pas équivalentes au départ (petit budget contre plus gros), parce que le score ne sanctionne pas forcément le meilleur des deux (tu joues mieux, mais tu es battu), parce qu’un règlement faisant place si large au feeling arbitral peut suffire à faire basculer le match en ta défaveur… Ceci pour admettre que LucianoD’Onofrio, lorsqu’il dit que ce qu’il a fait à Gand  » n’a rien d’exceptionnel et qu’on entend ça chaque semaine de la D1 aux Provinciales « , a hélas strictement raison. Simplement, plus le match est important, plus les protagonistes sont adulés, et plus les conneries hebdomadaires trouvent un écho dans les médias.

D’Onofrio a aussi évoqué un  » conditionnement psychologique des arbitres, qui va toujours dans le même sens « . Là, je dirais souvent au lieu de toujours : car il y a parfois un arbitre qui, par peur d’être taxé de home-referee ou accusé de lécher les bottes des puissants, par désir subconscient d’apparaître souverainement libre, va prendre des décisions plus clémentes pour le Poucet que pour l’Ogre. Mais d’ordinaire, la pression psychologique que peut subir l’arbitre va profiter au plus puissant des protagonistes. Car si la trouille te prend à l’idée d’être jugé négativement, tu trouilleras davantage si celui qui te juges détient le Pouvoir : s’il est un caïd plutôt qu’un couillon, un ministre plutôt qu’un SDF, ou s’il est venu avec 10.000 potes plutôt qu’avec quelques-uns. C’est moche, mais c’est vieux comme le foot et même comme le monde. Le Standard en a profité hier face à certains, il en profitera demain face à d’autres : ce qui est chouette en foot, c’est qu’on est tantôt li p’tit qu’on spotche et tantôt li grand qui spotche

Le problème nouveau est peut-être ailleurs, une récente remarque de Robert Waseige m’y fait repenser. Il lui semblait que les arbitres  » confondaient de plus en plus arrogance et autorité « , et j’ai effectivement cette impression : les arbitres û les plus jeunes surtout ? û sont moins discrets qu’hier, se considèrent davantage comme partie prenante d’un spectacle. C’est l’effet direct et pervers de la starisation des directeurs de jeu, initiée hier via Luigi Collina ! D’autres arbitres furent théâtraux avant le chauve italien, mais sans être médiatisés, voire béatifiés, comme celui-ci le fut. Alors qu’un bon arbitrage restera toujours un arbitrage passé inaperçu, les gros plans des télévisions ont placé Collina aux antipodes de ce principe.

par Bernard Jeunejean

 » La PASSION du foot n’est pas une voie vers LA SAGESSE et le DéTACHEMENT SUPRÊME « 

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