COMPTES en ordre

L’attaquant ukrainien en est à sa cinquième saison en Italie.

Cinq ans et 114 buts en championnat plus tard, Shevchenko se sent un peu moins Andriy et un peu plus Andrea. L’Italie, sa culture et son style de vie ont mûri l’homme. Le Calcio a forgé l’athlète et lui a permis de donner la pleine mesure de son talent, d’aiguiser son instinct de buteur et d’améliorer sa dextérité. Aujourd’hui, à 27 ans, l’Ukrainien est devenu le mélange parfait de force et d’habileté, de puissance et de charme.

Shevchenko est un homme maître de son destin, curieux de tout ce qui l’entoure, un enfant quand il s’agit de rêver mais aussi profondément adulte pour ne pas se laisser dépasser par ses rêves.

Depuis l’été 99, l’Italie est devenue votre patrie footballistique. Qu’en est-il au niveau de la vie de tous les jours ?

Andriy Shevchenko : Je ne peux pas dire que je me sens italien parce que je ne suis pas né ici. Mais l’Italie a tenu un rôle important dans mon évolution en tant qu’individu. A Kiev, pendant six mois, je restais en retraite alors qu’ici j’ai découvert le plaisir de l’indépendance. J’ai beaucoup appris : une manière de penser, des us et coutumes différents, mais également à me débrouiller seul, à chercher une maison, à faire les courses, à prendre une assurance. Le fait d’être arrivé ici à 22 ans est également important car, à cet âge-là, on est prêt, disponible au changement.

Qu’appréciez-vous le plus chez les Italiens ?

La joie de vivre et la cordialité. J’avais commencé à étudier l’italien deux mois avant de venir et cela ne m’a servi à rien. Mes coéquipiers m’ont tout appris, principalement Billy (Alessandro Costacurta), Ambro (Massimo Ambrosini) et Demetrio Albertini qui me sortaient trois à quatre fois la semaine. Ils m’ont fait connaître la ville, ils m’ont expliqué comment vivent et comment pensent les Italiens, et à quel point ils sont attentifs au comportement de leurs idoles. C’est de cette façon que j’ai assimilé la langue. Seul un footballeur peut aider un collègue qui vient de l’étranger parce qu’il sait ce dont il a besoin pour s’intégrer rapidement.

Les buts vous ont également aidé : 24 buts lors du premier championnat et le titre de meilleur buteur.

Bien sûr. Mais j’étais sûr de moi, je me sentais bien même très bien. J’avais disputé une grande saison avec le Dynamo Kiev. Nous étions arrivés en demi-finales de la Ligue des Champions, je sentais que j’étais prêt. J’étais conscient que je pouvais connaître le succès ou me faire massacrer comme Alexander Zavarov et Sergei Aleinikov à la Juventus avant moi, à cette différence près que je savais très bien ce que je devais faire. Malgré tout, cela n’a pas été facile parce que le football italien est complètement différent de l’ukrainien.

Vous deviez bien vous l’imaginer.

Oui, mais sur le terrain. Je ne m’attendais pas à tout ce qui l’entoure et qui rend le football plus important que tant d’autres choses. Si l’équipe perd, les gens ne sourient plus pendant plusieurs jours et cela finit par vous donner l’impression d’être responsable de leur tristesse ou de leur bonheur.

En Ukraine, la pression c’est pour l ‘entraîneur

On parle tant de football ici.

Trop. On a l’habitude de faire d’un footballeur un symbole tant dans le bien que dans le mal. De lui coudre un costume qu’il sera obligé de toujours porter. De construire une grande rivalité entre équipiers. Je n’étais pas habitué à être considéré comme un phénomène, un modèle, un point de repère. J’ai appris que si demain quelque chose ne va pas, je serai juste bon à jeter. A Kiev, c’était l’entraîneur et lui seul qui était chargé d’assumer certaines responsabilités. On m’a enseigné que l’équipe primait et que le joueur n’était qu’une partie d’un tout.

Surprenant de la part de quelqu’un qui, parfois, est accusé de vouloir jouer seul.

Mais c’est vraiment ainsi : je me défonce pour l’équipe car ses victoires sont les miennes. Et si, en outre, elles génèrent des satisfactions personnelles, tant mieux. Mais passer de l’égoïsme à l’altruisme c’est effectuer un pas important dans la vie.

Pourtant si Milan ne gagne pas, vous vous sentez responsable. Il vous arrive encore de ne pas trouver le sommeil ?

Parfois. Je suis fait ainsi. J’ai été élevé pour toujours donner le maximum et si je n’y parviens pas, je me sens coupable. Mais les victoires m’ont donné la tranquillité. Je suis venu à Milan pour laisser une trace et je suis en train d’y parvenir.

En somme, les Italiens aiment exagérer.

Et pas seulement en football. Ils parlent longuement d’une chose mais pour un jour seulement. Le lendemain, ils l’ont déjà oubliée. Moi, je ne suis pas ainsi : si un fait important, grave, s’est déroulé, je ne passe pas dessus après 24 heures. Dans le fond, c’est une caractéristique fascinante.

A propos d’événement fascinant, vos fiançailles avec Kirsten en sont un que l’on a retrouvé sur la couverture des magazines.

Je n’aime pas parler de ma vie privée. Je ne crois pas que tout le monde doive savoir comment je passe mon temps avec elle. Nous sommes heureux, nous formons un couple normal, nous ne sortons pas beaucoup.

La joie de reparler sa langue maternelle

Kirsten est un top model. Il n’est pas facile de concilier vos deux occupations.

Elle se sacrifie afin que nous puissions passer le plus de temps possible ensemble. Elle m’aide beaucoup et sa présence après un match est très importante. Elle est la fille d’un ancien joueur américain de baseball et sa mère lui a appris comment il fallait se comporter après une compétition, selon les résultats.

La saison dernière, on a parlé de votre blessure, puis d’une baisse de rendement, enfin de votre transfert au Real. On a même prétendu que vous ne vous entraîniez plus comme avant. Vous attendiez-vous à toutes ces méchancetés après deux ans d’éloges ?

Ces méchancetés m’ont quelque peu changé. Elles m’ont endurci et enlevé un peu de confiance à l’égard de certaines personnes. Si je m’y attendais ? Sans doute puisque c’est une chose normale : quand tu ne marques plus, tout le monde oublie qui tu es et ce que tu as fait. Je n’ai jamais nourri de doute à mon sujet, mais certaines balivernes ont ouvert en moi des plaies qui ont laissé des cicatrices.

Si vous regardez derrière vous, à votre adolescence, que voyez-vous ?

Un gamin qui rêvait de devenir footballeur, mais qui s’efforçait de ne pas trop se perdre dans le rêve. Je me comporte toujours ainsi aujourd’hui : oui, les rêves sont importants mais il est vital de faire les comptes avec la réalité. J’ai des projets mais je préfère me concentrer sur le présent, sur mes obligations et mes ambitions actuelles. J’ai encore trop de choses à faire dans le football et pas seulement dans le football avant de penser à l’après-football.

Un futur lié à celui de l’Ukraine ?

Je crois en un futur prospère pour mon pays. C’est pour cette raison que j’investis dans l’immobilier et le commerce. Il y a un gouvernement stable maintenant. Nous étudions de nouveau notre langue maternelle à l’école. J’ai été élevé dans une Ukraine dont on ne savait pas ce qu’elle allait devenir. Il n’y avait pas de possibilité d’étudier ou de travailler. Si je n’étais pas devenu footballeur, je ne sais pas ce que j’aurais fait. Et on ne parlait que le russe. Aujourd’hui encore, j’éprouve des difficultés à m’exprimer dans ma langue maternelle. C’est pour cela que j’espère, un jour, donner quelque chose de bien à l’Ukraine afin que les enfants de demain puissent avoir devant eux des ouvertures et pas seulement des rêves.

Fabrizio Salvio

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire