COMMENT PRÉPARE-T-ON L’AVENIR ?

Pas facile d’imaginer à quoi ressemblera le football dans dix ans. Mais alors, comment préparer des joueurs pour un jeu qu’on ne connaît pas encore ? Dans les centres de formation du Royaume, la question se pose au quotidien. Sport/Foot Magazine embarque six formateurs dans son voyage vers le futur.

BOB BROWAEYS : Des projections pour connaître le football de demain, on en fait constamment. Mais c’est quelque chose de très difficile, ce n’est pas évident de savoir sur quoi on peut se baser. Qui peut dire maintenant comment sera joué le football en 2020 ?

JEAN KINDERMANS : En tant que formateurs, nous sommes obligés de regarder constamment vers l’avant, pour pouvoir adapter notre didactique en fonction du football du futur. Je vais prendre un exemple : nous savons tous que le rôle du gardien de but risque d’être différent. Il sera beaucoup plus amené à participer à la construction, et devra donc avoir de bons pieds. Donc, très récemment, on a décidé d’adapter notre philosophie dès les U11-U12 pour qu’en possession de balle, le gardien devienne le huitième joueur (ces catégories jouent à huit contre huit, ndlr) de champ. Il devra être capable de passer, de dribbler, de jouer des deux pieds… Les entraînements seront adaptés en fonction de tout ça.

KOEN DAERDEN : Bientôt, on ne parlera plus du système, mais seulement de l’espace. Le plus important pour un joueur, ce ne sera plus sa position, mais sa façon de reconnaître l’espace et de l’interpréter.

CHRISTOPH HENKEL : La vitesse d’exécution et d’action vont encore se développer. Parce que c’est là qu’on peut encore gagner quelques pour cent. Et la tactique va s’adapter plus rapidement à une situation donnée en match.

GUNTER VANDEBROECK : Dans les dix dernières années, le football s’est joué sur des espaces de plus en plus restreints, avec des reconversions et des combinaisons au sol. Cette évolution va se poursuivre. L’aspect technique est donc capital. On ne parle pas seulement de vitesse physique, mais aussi de vitesse mentale.

Cette capacité de réflexion à haute intensité, on peut aussi la travailler ?

VANDEBROECK : On essaie de complexifier les raisonnements dans les entraînements, avec des exercices difficiles qui demandent de la concentration et de la réflexion. On peut travailler avec des codes couleur, ou simplement demander aux joueurs de donner le ballon à un endroit puis de courir vers un autre, car ils ont souvent l’automatisme du  » passer et suivre.  »

HENKEL : Il faut leur apprendre à jouer au ballon dans des conditions de compétition, parce que cela doit se faire à haute intensité.

KINDERMANS : On a quelques exercices-type qui nous permettent de développer cette caractéristique, déjà à bas âge avec des jeux où la passe doit se faire vers la bonne couleur. La participation intellectuelle d’un joueur dans son processus de développement, on l’a intégrée depuis plusieurs années. La bilatéralité aussi, parce que quand on parle d’un temps de décision très court, il ne suffit plus d’être doué, il faut frôler la perfection avec les deux pieds.

ROLAND BREUGELMANS : Chez les petits, on a développé du cogi-training. Des exercices où ils apprennent à reconnaître l’espace, à identifier des situations de jeu ou à travailler ensemble.

DAERDEN : Mais le plus important, ça reste les pieds. On peut créer des exercices incroyables mais si tu n’as pas une bonne base technique, tu ne peux rien faire. Le contrôle, c’est capital, on insistera sur sa qualité dans tous les exercices. Genk est reconnu pour son travail sur la base technique, tous les joueurs formés chez nous peuvent jouer avec leurs deux pieds.

VANDEBROECK : Notre formation de base est surtout technique. Dès le plus jeune âge, deux des trois entraînements sont entièrement consacrés à la technique, avec une séance en salle durant les mois plus froids.

BROWAEYS : On promeut le football en salle chez les jeunes, parce que la prise de décision devient plus rapide en développant le jeu dans les petits périmètres.

VANDEBROECK : Et même quand ils passent à onze contre onze, la première demi-heure de l’entraînement est toujours consacrée à des exercices techniques. Sans oublier qu’un coach spécifique permet aux joueurs de travailler leur maîtrise du ballon avant ou après la séance.

BROWAEYS : En Belgique, on veut vraiment développer des joueurs qui maîtrisent le dribble. Même l’arrière central doit savoir effacer un homme parce que même pour un défenseur, le dribble reste un outil pour résoudre des problèmes de jeu. Si tu maîtrises le dribble, tu ne dois plus regarder le ballon, donc tu peux regarder autour de toi et voir quel joueur est disponible.

HENKEL : La formation allemande permet de mettre en valeur les automatismes à un très haut niveau, parce qu’on les travaille énormément. Mais en Belgique, le développement individuel prime, le joueur n’est pas comprimé par le système : on lui donne le courage et la possibilité d’aller chercher une situation de un contre un, même si ça échoue parfois.

BREUGELMANS : Chez nous, on pense plus au développement individuel au sein d’un groupe qu’au développement de l’équipe. On a de plus en plus de spécialistes pour du travail individualisé.

BROWAEYS : Maintenant, chez les U6, on joue en deux contre deux. C’est unique en Europe, et ça permet de mettre encore plus l’accent sur les qualités individuelles et le dribble. Si tu commences directement le processus d’apprentissage par la passe, le joueur ne saura jamais dribbler. Parce que si tu donnes le ballon à un autre, tu ne l’as plus.

Les défenseurs doivent savoir dribbler, les attaquants doivent défendre : on va vers un football où tout le monde saura tout faire. On jouera bientôt avec dix milieux de terrain ?

BROWAEYS : C’est sûr qu’on avance dans un football où tous les joueurs doivent savoir tout faire. Les fondamentaux doivent être développés chez chaque joueur, indépendamment de sa position.

KINDERMANS : Je pense que les schémas tactiques ne vont pas tellement changer dans le futur. Par contre, ce qui va changer, ce sont les aptitudes du joueur à remplir un rôle sur le terrain. Si un joueur est capable d’assimiler trois ou quatre postes dans des systèmes différents, ses chances d’aboutir au professionnalisme seront plus grandes.

VANDEBROECK : À partir du passage à onze contre onze, on spécialise les joueurs à deux ou trois positions. Le but, c’est de les faire jouer partout le plus tard possible.

DAERDEN : On offre également la possibilité de découvrir les différentes positions du terrain jusqu’en U15. Ce n’est qu’à partir de seize ou dix-sept ans qu’on commence à penser à l’avenir en individualisant les positions.

HENKEL : L’école allemande cherche à spécialiser les joueurs très tôt, avant leurs treize ans. Ici, on attend et c’est plus intéressant parce que ça donne plus de possibilités au joueur, plus de variantes dans son jeu. Dans le passé, on était toujours fixé en 4-4-2 et tout le monde pouvait jouer ce système les yeux fermés mais aujourd’hui, le système change non seulement d’un match à l’autre, mais parfois même au cours d’un match. La possibilité de pouvoir s’adapter sera très importante.

KINDERMANS : Il y a quelques années, j’ai demandé à nos coaches si on devait vraiment continuer à former des 6, des 8 et des 10 au milieu de terrain, ou s’il était imaginable que nos joueurs soient formés avec toutes les caractéristiques possibles : attaquer, être décisif, savoir s’infiltrer et récupérer. J’avais vu jouer Schweinsteiger, Özil et Khedira face aux Diables au Heysel, et leur mouvement constant avait noyé Timmy Simons. Ce qu’il faut en retenir, c’est que ce sont les qualités individuelles d’un joueur qui font qu’il peut maîtriser plusieurs positions. John van den Brom avait aligné Youri Tielemans à l’arrière gauche contre Genk après la blessure de Deschacht à l’échauffement ! Avec une éducation footballistique complète, tu dois être capable de répondre aux choix de tes coaches. Et dans le futur, ce sera important, parce qu’aujourd’hui toutes les équipes sont analysées de fond en comble. Et les coaches de demain vont vouloir surprendre.

Si tout le monde reçoit une formation identique, qu’est-ce qui déterminera la position d’un joueur ?

BREUGELMANS : La taille, c’est très important. Dans l’axe de la défense, il nous faut des joueurs d’un mètre 85. Et parfois, on se pose des questions : on a un arrière central d’un mètre 80, qu’est-ce qu’on fait ? On peut mesurer ça, à quelques centimètres près, mais c’est quand même un débat important.

VANDEBROECK : Nous avons, par position, un profil déterminé. Un défenseur central doit faire un mètre 85, un gardien doit également être le plus grand possible. Mais ça devient seulement important quand il faut gagner, donc dans le football adulte. C’est pour ça qu’on accorde la priorité à la technique chez les jeunes : tout le monde doit avoir une technique de base, même notre arrière central si on veut qu’il sache construire depuis l’arrière et pas seulement gagner un duel.

KINDERMANS : Quand un jeune passe d’un mètre 65 à un mètre 85 en quelques saisons, c’est effectivement un profil qui peut être intéressant à certains postes. Aujourd’hui, le défenseur central et l’attaquant sont des postes auxquels la morphologie est importante. Pour un central, aujourd’hui, j’ai presque tendance à dire qu’il faut un mètre 88, sauf si on peut compenser avec des qualités hors-normes au niveau de la détente. Et devant, je vois beaucoup de grands pivots qui allient force, technique et vitesse. Je ne vois plus tellement de petits gabarits, si ce n’est les Messi ou les Agüero de ce monde, qui restent de merveilleuses exceptions.

BROWAEYS : Parfois, dès l’âge de huit ans, tu vois qu’un enfant a des qualités innées pour l’un ou l’autre poste : c’est un buteur, il est plus rapide, plus endurant… Il y a toujours un auto-développement vers une position. Si tu as un Messi ou un Ronaldo, tu ne vas pas le mettre en défense.

HENKEL : Pour un bon fonctionnement de l’équipe, on a toujours besoin de spécialistes. Ce sont des gens qui peuvent créer la surprise par une action qu’ils maîtrisent beaucoup mieux que les autres. Un dribble, par exemple. Ou un coup de tête.

VANDEBROECK : Pour l’attaquant, la taille est moins importante, mais il doit avoir de la vitesse ou une action dans les pieds.

BROWAEYS : Je suis convaincu que développer de vrais buteurs pour le plus haut niveau, c’est très spécifique. Plus le joueur vivra de situations-type de finition pendant sa formation, mieux il résoudra les problèmes du grand rectangle chez les seniors. Parce que ce sont des problèmes de jeu spécifiquement liés à la zone de vérité. Ceux qui ont le sens du but, il faut les mettre devant le plus vite possible.

HENKEL : Les Japonais et les Coréens, ce sont tous les mêmes joueurs. Et ils sont jaloux du football européen où des facultés différentes existent. Il faut donc continuer à développer des spécialistes.

BROWAEYS : On reste dans une répartition en sept profils à former : le gardien, l’arrière central, l’arrière latéral, le milieu à tendance défensive, le milieu à tendance offensive, l’ailier et l’attaquant.

VANDEBROECK : Mais ce n’est pas parce qu’on a fait le choix d’une position qu’on ne mettra plus le joueur ailleurs. Si on voit qu’un arrière central joue trop facilement, on va le faire monter de catégorie, ou bien l’installer au milieu de terrain pour le mettre en difficulté.

BROWAEYS : En 4-3-3, les défenseurs centraux jouent dans un fauteuil. Mets une fois ton central comme numéro 6, voire comme numéro 9 ! Peut-être qu’en expérimentant le comportement d’un attaquant, il pourra mieux anticiper et résoudre les problèmes d’un arrière central. Il faut provoquer des situations d’apprentissage. C’est aussi pour cela qu’on fait jouer les équipes nationales de jeunes avec un pressing très haut. Les défenseurs sont sur la ligne médiane et ils doivent gérer l’espace dans leur dos, c’est le plus difficile. Avec un bloc bas, tu n’apprends pas à gérer cet espace.

On a beaucoup parlé de technique, mais un physique de haut niveau est indispensable dans le football actuel.

HENKEL : Aujourd’hui, pour jouer la Ligue des Champions, il faut être un athlète.

DAERDEN : Et il faut développer le joueur comme un athlète : dans la puissance d’abord, avec des séances de musculation dont la fréquence augmente avec l’âge. Mais aussi dans le mouvement et la coordination. Aujourd’hui, les jeunes sont plus souvent dans leur canapé sur leur téléphone ou leur tablette, donc on amène déjà les petits à faire des jeux de coordination. Ou du judo, par exemple.

VANDEBROECK : On utilise également le judo. Pour la coordination du mouvement, mais aussi pour la force dans les duels.

KINDERMANS : À Anderlecht, on est en train de créer des cellules de réflexion pour voir comment travailler avec nos joueurs à tout âge. Comment perfectionner la vitesse, la détente ou l’endurance. Nos préparateurs physiques développent des entraînements systématiques pour préparer nos jeunes à l’athlétisation du football.

BREUGELMANS : Les jeunes qui sortent de Genk ne sont pas grands et forts. C’est quelque chose qu’on a remarqué, et nous cherchons des solutions. En Allemagne, De Bruyne est devenu plus impressionnant physiquement avec une autre manière de s’entraîner. On ne veut pas qu’un joueur comme Trossard devienne trop massif, parce qu’il risquerait de perdre son explosivité, mais il y a moyen de progresser. On en a besoin pour le football de demain.

KINDERMANS : On parle d’une Coupe du monde à 40, l’Euro est passé à 24, donc la charge physique au niveau du nombre de matches va encore augmenter à l’avenir. Les joueurs de haut niveau deviennent des Formule 1, sur lesquels dix ingénieurs sont occupés au quotidien pour savoir comment on va encore augmenter la vitesse de trois ou quatre kilomètres/heure. Avec l’apport des sciences, l’aspect physique est de plus en plus important.

DAERDEN : Aujourd’hui, on n’autorise plus un petit défaut dans la base du joueur. C’est :  » Et, et, et, et « , il n’y a pas de  » mais.  » Le joueur doit être complet sur le plan technique, tactique, et donc aussi physique.

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Un joueur capable d’assimiler trois ou quatre postes dans des systèmes différents a plus de chances de devenir professionnel.  » JEAN KINDERMANS

 » Il faut développer le joueur comme un athlète : dans la puissance d’abord mais aussi dans le mouvement et la coordination.  » KOEN DAERDEN

 » Même l’arrière central doit savoir effacer un homme.  » BOB BROWAEYS

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