Comment ne pas aller dans le mur…

Acerbe, le directeur technique national se penche sur l’avenir du foot français et glisse sur des sujets politiquement trop sensibles…

C’est dans son bureau du siège de la Fédération Française de Football (FFF), à Paris, que le directeur technique national (DTN), Gérard Houllier nous reçoit. Le ton est donné d’entrée. On n’est pas ici pour rire :  » Je vous préviens. Je ne parle pas des Bleus « . Pour un DTN, c’est un peu bizarre. Mais passons ! Les sujets ne manquent pas.

Nous sommes 11 ans après la victoire de la France en Coupe du Monde. Le Football français a-t-il su utiliser cette victoire à bon escient ?

Gérard Houllier : Vous citez 1998. Moi, je cite 2000. En Belgique, il y avait un truc, non ? On a gagné l’Euro. Or, pour moi, l’Euro est plus difficile que la Coupe du Monde avec les seize meilleures équipes européennes. Après cela, il y a encore eu la finale de la Coupe du Monde 2006. Je peux juste vous dire qu’entre 2006 et maintenant, on a vu arriver une nouvelle génération avec peu d’expérience internationale en comparaison de celle qui a remporté la Coupe du Monde. A l’époque, chacun comptait entre 60 et 70 sélections. Avant, il y avait des tauliers et deux, trois jeunes. Ici, on a deux, trois tauliers et beaucoup de jeunes. C’est vrai qu’on est dans une phase de transition, notamment au niveau des défenseurs.

Vous êtes d’accord avec ceux qui disent que le foot reste finalement une affaire de générations et de cycles ?

Oui, mais toutes les nations travaillent avec une formation continue au haut niveau. Les Suisses s’y sont mis et viennent de gagner un championnat du monde – 17 ans au Nigéria et sont qualifiés pour la Coupe du Monde. Nous avons eu une très bonne génération qui a duré longtemps, de l’Euro 1996 en Angleterre au Mondial 2006. Forcément, ceux qui sont derrière doivent attendre un peu. En termes d’expérience, on sera donc meilleur d’ici trois, quatre ans.

Certains ont expliqué la victoire de 1998 par l’avance prise par la France en termes de formation. Cette avance existe-t-elle toujours ?

Dans le domaine de la formation des entraîneurs, la FFF essaye d’évoluer en permanence. Peut-être pas suffisamment à mon gré. Dans le développement des joueurs, travailler de 15 à 20 ans n’est pas suffisant : il le faut aussi en amont, entre 12 et 15 ans, de façon à ce que les meilleurs s’entraînent ensemble. Quand on a commencé à faire de la préformation, cela nous a permis de sortir des Gourcuff, Clichy, Henry, Anelka, Gallas. Au niveau des programmes mis en place, on est au top. J’aimerais juste qu’on fasse un peu plus pour les 8-12 ans. Mais on va dans le mur si on ne change pas quelque chose….

Que faudrait-il modifier ?

La mentalité. On doit adapter nos entraîneurs à une génération qui a des valeurs différentes, des modes de vie différents, une approche de l’autorité et du travail différentes. Il faut que l’entraîneur puisse mieux comprendre les jeunes et les impliquer dans un projet. On a beaucoup travaillé sur le plan technique. Maintenant, il faut travailler sur le plan mental. L’assurance d’une permanence au haut niveau passe par là.

 » Actuellement, on a un sale besoin de dépoussiérage « 

Mais avez-vous toujours ce temps d’avance ?

Non. Je regrette que mes prédécesseurs n’aient pas gardé ce temps d’avance. A un moment, si vous n’avancez pas, les autres vous imitent, vous piquent vos idées et passent devant vous. Actuellement, on a un sale besoin de dépoussiérage.

Jusqu’à présent, on avait l’impression que le foot français était sauvé par sa formation ?

Mais tout le monde est sauvé par sa formation ! Vous, en Belgique, vous croyez que vous allez vous en sortir par des générations qui poussent dans les jardins ou dans les artichauts ?

D’autres grandes nations s’en sortent grâce à l’argent…

L’argent ? C’est normal, ils achètent tous des joueurs français. Quelle est la nation la plus représentée en Ligue des Champions depuis cinq ans derrière le Brésil ? La France. On est le centre de formation de l’Europe.

La France sert donc les autres nations sans que le championnat français ne bénéficie réellement des centres de formation…

C’est un problème économique. Si vous jouez dans un club français et qu’on vous propose trois fois plus ailleurs…

Les centres de formation n’auraient-ils pas dû être davantage des locomotives pour tout le foot français, le championnat inclus ?

Ils le sont. Actuellement, L1 et L2 perdent chaque saison 85 contrats, qui sont compensés régulièrement par 79 premiers contrats professionnels.

Mais le niveau du championnat n’en profite pas…

Je ne suis pas d’accord. Cette année, on a vu beaucoup plus de buts marqués, de beaux matches. Bordeaux a progressé d’une année à l’autre. Il a pris du corps, du volume et de la maturité. On a un football qui n’est pas le plus compétitif, ni le meilleur d’Europe mais on ne doit pas être loin de l’Allemagne. Le Bayern a quand même été battu deux fois par Bordeaux. Il y a donc l’Allemagne, l’Espagne et l’Angleterre supérieurs à nous et puis c’est tout.

L’Italie ?

Non, je ne pense pas. La preuve, c’est que la Juventus a été battue.

Vous avez l’impression que le championnat français peut revenir à la hauteur des grands championnats ?

Quand Lyon vend ses meilleurs joueurs, forcément il s’affaiblit. Les clubs français sont handicapés par le fait que les salaires et les avantages fiscaux à l’étranger sont supérieurs. Et que les clubs anglais ou autres peuvent s’endetter sans qu’il y ait de sanction. En France, cela n’est pas possible.

Mais la France a tous les arguments : nation forte économiquement, des centres de formation de qualité. Que manque-t-il pour revenir à la hauteur de l’Espagne, de l’Allemagne, de l’Italie et de l’Angleterre ?

L’Angleterre ? Elle n’était même pas qualifiée pour le dernier championnat d’Europe !

Oui, mais le championnat est puissant…

Dans le dernier match que j’ai vu à la télévision (Arsenal-Chelsea), il n’y avait que trois Anglais (il rit). Les clubs survivent grâce à l’argent. Il faut faire un distinguo entre l’équipe nationale et le championnat.

Vous préférez donc un championnat de moindre qualité qui met en vitrine des produits nationaux qu’un championnat puissant…

Non, non, je préfère la liberté pour le championnat.

 » La main d’Henry ? Un mauvais réflexe instinctif. C’est l’arbitre qui a fait une faute. Pas Henry « 

La France a subi beaucoup de critiques sur le but d’Henry…

Pfff. Vous avez joué au foot ? Alors vous savez que cela arrive. C’est un mauvais réflexe instinctif. C’est l’arbitre qui a fait une faute. Pas Henry.

On a critiqué autant la main que les scènes de joie du clan français. Est-ce que cette affaire a été bien gérée par la FFF ?

Je pense oui. Manifestement, ce n’est pas votre avis.

Je n’ai aucun avis. Je ne fais que constater.

Thierry a été à la conférence de presse d’après-match, il a reconnu la main. Il ne s’est pas dégonflé. Je connais beaucoup de joueurs qui auraient fui la mixed zone. Lui, il ne l’a pas fait. Il a dit ce qu’il fallait dire. Et puis, ce n’est pas possible de rejouer un match à chaque fois qu’un arbitre fait une faute. De toute manière, on se serait plié à la décision de la FIFA si elle avait décidé de faire rejouer la rencontre. Mais j’aurais préféré qu’on se qualifie normalement lors de la deuxième prolongation. Car, il ne faut pas oublier que les Irlandais n’ont jamais été dans une position de qualifié. J’ai lu des déclarations incroyables.

Même en France, tout le monde a donné son avis…

Cela prouve une chose : que le foot est populaire. J’ai entendu des ministres dont j’ignorais qu’ils connaissaient le foot ! Et ils ne le connaissent pas encore !

Dans une interview au Vif/l’Express, Domenech a déclaré que vous lui aviez dit :  » Quand on passe son bac, il faut juste avoir la moyenne « .

Non, non. Cela a été mal retranscrit. J’ai dit à Raymond – Je pense que c’est une qualification obtenue au forceps mais parfois, dans l’adversité, les gens ne se souviennent pas si on a eu le bac avec mention ou à l’oral.

D’autres ont dit…

( Il coupe) Si l’interview ne porte que sur ce sujet, on arrête. Vous êtes assez habiles, vous les journalistes, pour commencer par un autre sujet et m’amener sur un terrain mouvant. Je vous dis tout de suite pour clore l’affaire : la manière dont Henry a été traité, c’est lamentable. Je connais le joueur. On a dit qu’il a fait de la com’ car il était assis à côté d’un joueur irlandais. Attendez ! Il a joué pendant huit ans en Angleterre ! Le football, c’est aussi quelque chose d’humain. La tendance journalistique actuelle, c’est que dès qu’il y a quelque chose qui va mal, on détruit les gens. Il n’y a plus de mesure ni de nuance. Soit vous êtes condamné à mort, soit vous êtes un héros national.

Pourquoi vous ne voulez pas évoquer ce type de sujet ?

Parce que tout ce qui est excessif m’énerve. Voilà, je n’ai plus envie d’en parler. En plus, on a rebondi là-dessus pour critiquer Domenech. C’est vrai qu’on a fait un mauvais match mais beaucoup d’équipes font des mauvais matches.

Vous évoquez les critiques sur Domenech. Jamais un sélectionneur n’aura cristallisé autant d’attention. Pourquoi ?

Je vous ai dit que je ne parlais pas des Bleus. Que je sache, le sélectionneur fait partie des Bleus. Ce n’est pas de mon domaine…

… de parler de Domenech ?

Je trouve que c’est un bon entraîneur. Il a qualifié l’équipe pour trois tournois majeurs. Les entraîneurs sont jugés sur leurs résultats.

La personnalité est donc secondaire.

Je n’ai pas à porter un jugement public sur quelqu’un avec qui je travaille.

Comment avez-vous réagi suite à la désignation des têtes de série pour la Coupe du Monde ?

Cela me semblait juste de se baser sur le classement FIFA d’avant barrages.

Le tirage au sort a été clément pour la France…

Je n’ai pas été mécontent.

Le ranking actuel reflète-t-il le niveau de l’équipe de France ?

Oui. On est actuellement dans les 15 meilleures nations au monde. C’est tout.

Vous n’avez pas plus d’ambition que cela pour la Coupe du Monde ?

J’ai dit actuellement. On est entre la 5e et la 15e nation.

Cela veut dire que la Coupe du Monde de la France sera réussie si vous parvenez entre les quarts et les huitièmes de finale ?

Il faut déjà se qualifier pour les huitièmes. Et puis tout est possible.

Vous êtes prudent parce que vous vous êtes qualifiés dans la douleur ?

A chaque fois qu’on s’est qualifié facilement, on n’a pas fait de bons tournois.

 » Je ne juge pas ce que fait Jean Tigana dans ses vignes « 

Le terrain vous manque-t-il ?

Mon métier, c’est d’être entraîneur. Donc, le terrain me manquera, que ce soit à 60 ou à 80 ans.

Est-ce que vos pépins de santé ont eu une incidence sur votre décision de prendre du recul ?

Non. J’ai encore entraîné sept ans après mes problèmes cardiaques.

Redeviendrez-vous entraîneur ?

Dans le foot, il y a deux termes qu’on ne peut pas utiliser : jamais et toujours.

Quels souvenirs gardez-vous de votre passage à Liverpool ?

Que de bons souvenirs. On a gagné six trophées là-bas. En six ans. Il faudrait même dire cinq ans puisque la première année, ce n’était pas mon équipe.

Vous envisageriez un retour ?

Non. Je ne retourne pas dans les clubs dans lesquels je suis passé.

Et un retour dans le championnat anglais ?

Je le connais. J’y suis resté six ans… Et puis, je suis bien ici. Je suis directeur technique.

Votre nom revient quand même à chaque changement d’entraîneur…

Ben oui. J’ai été entraîneur de haut niveau. J’ai assez bien réussi. Je parle anglais donc forcément, à chaque fois qu’un club a des problèmes, on pense à moi.

Vous envisagez de continuer comme DTN ?

Cela ne vous regarde pas.

Vous avez été attaqué dernièrement par Jean Tigana, qui critiquait l’opacité du fonctionnement de la DTN ?

Avec le titre : Le DTN est à la traine ? Si vous lisez l’article, vous verrez que je n’ai pas été attaqué par Tigana. Et puis, je n’ai pas de comptes à lui rendre.

Il n’y a pas que le titre…

Premièrement, je n’ai pas de comptes à rendre à Tigana. Deuxièmement, j’ai noté qu’il parlait dans l’article du président de Lyon et de celui de Bordeaux et que ce n’était pas anodin. Il sait très bien qu’à un moment ou un autre, il pourrait y avoir des problèmes dans ces clubs-là. Il lance donc un appel et fait de la démagogie de bas étage. Troisièmement, il ne sait pas ce que c’est la DTN, Jean Tigana. Il en a profité pour prendre des cours accélérés pour devenir entraîneur mais il ne sait pas ce qu’on a fait. Et moi, je ne juge pas ce qu’il fait dans ses vignes. Quand on ne connait pas, on attaque….

par stéphane vande velde

En Belgique, vous croyez que vous allez vous en sortir avec des générations qui poussent dans les jardins ?

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