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Comment Morioka défie le temps

Guillaume Gautier
Guillaume Gautier Journaliste

Lancée par Genk et popularisée quelques années plus tard par Roland Duchâtelet, l’arrivée d’un joueur japonais sur les pelouses belges s’accompagnait toujours de considérations plus économiques que sportives. Plus de parts de marché que de buts marqués. Yuya Kubo et sa fin de saison folle à Gand ont changé la donne. Et puis, le Nippon de la Ghelamco Arena s’est essoufflé. C’est Ryota Morioka qui a pris le relais.

Impressionnant dès la préparation, dans une équipe en perpétuelle reconstruction, le numéro 44 de Waasland-Beveren est rapidement devenu le joueur-clé de Philippe Clément, dans un football waeslandien pourtant stéréotypé : un géant en pivot, deux ailiers rapides, et deux milieux défensifs qui débordent de muscles. Au milieu de tout ça, la différence se fait par Morioka.

Un système offensif simple, rendu redoutable par de bons joueurs qui complètent parfaitement les qualités d’un talent à part. Les hommes du Freethiel affichent déjà 21 buts au compteur (deuxième meilleure attaque du championnat), dont plus de la moitié ont été directement influencés par les pieds de leur meneur de jeu.

Le profil est plus anachronique qu’atypique. Un peu trop lent pour un football moderne qui passe nonante minutes à écraser sa pédale d’accélération, Morioka est un joueur du XXe siècle, débarqué quelques années trop tard dans un jeu qu’il aurait dominé plus facilement avant le passage aux années 2000. Sur le terrain, l’action semble toujours aller trop vite pour lui quand le ballon n’est pas dans ses pieds. Ses ailiers vont presque plus vite avec la balle que lui sans. Pourtant, arrivé dans une Pro League aux allers-retours permanents, le Japonais trône largement en tête des joueurs les plus décisifs du championnat, avec cinq buts et six passes décisives en neuf matches.

Morioka semble avoir développé des réflexes de survie pour s’adapter aux réalités d’un siècle trop rapide pour lui. En plus de ses pieds terriblement précis, qui lui permettent de faire la différence sur phase arrêtée (deux passes décisives sur corner), il profite d’une analyse des événements au-dessus de la moyenne, et a aiguisé une science du déplacement impressionnante. Face à l’Antwerp, le week-end passé, il parvient une nouvelle fois à se retrouver complètement seul au milieu de deux défenseurs sur un contre mené par la vitesse de Nana Ampomah, et place tranquillement le ballon hors de portée de Sinan Bolat.

Contre Malines, pour son premier doublé de la saison, il avait aussi réussi une radiographie parfaite de l’espace-temps : ouverture à gauche, puis quelques pas en marchant jusqu’à l’entrée du rectangle, avant de distancer son garde du corps pour reprendre victorieusement un centre en retrait qui avait traversé toute la défense. Morioka a un double flair : celui du numéro 10 qui voit les bonnes passes, combiné à celui de l’attaquant qui sent les bons coups.

Conscient d’être entré en possession d’un talent hors-normes, Philippe Clément lui a offert les clés de son jeu, et de toutes les zones du terrain. Protégé par Ibrahima Seck et Victorien Angban, Morioka décroche ou va jouer sur les côtés pour sortir d’un pressing qui pénalise parfois sa lenteur dos au jeu. Une liberté octroyée parce que le Japonais fait jouer tout le monde, sans exception : ses six passes décisives ont été servies à six buteurs différents. Il suffit parfois d’un grand joueur pour faire changer une bonne équipe de dimension.

Guillaume Gautier

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