COMMENT LEUR SUCCÉDER ?

C’était en 1986. Pour la première fois depuis le début de l’ère Open en 1968, la Belgique triomphait dans une épreuve internationale. Deux jeunes joueuses, Sandra Wasserman et Ann Devries, remportaient la Youth Cup, championnat du monde par équipes des moins de 16 ans. C’était la naissance du tennis féminin belge moderne. Toutes les championnes d’aujourd’hui, sans toujours en être conscientes, y trouvent leurs racines.

Avant Wasserman et Devries, il y eut certes de très bonnes joueuses, comme Michèle Gurdal, mais Wasserman devint d’ailleurs la première Belge a intégrer le Top50 mondial, ce qui valait à l’époque des interviews sur plusieurs pages dans les magazines spécialisés. Devries, quant à elle, demeura quelques années dans les 100 premières. Elles ouvrirent l’appétit des amateurs belges de tennis. Ensuite vint une génération flamboyante composée de DominiqueMonami, Sabine Appelmans, Els Callens, Nancy Feber et Laurence Courtois. Monami, par exemple, fut la première Belge à se hisser dans le Top10 de la WTA (neuvième en 1998). Appelmans, pour sa part, fut la pionnière en matière de Masters, s’y qualifiant en 1997. Feber et Courtois se firent remarquer dans les tournois Juniors où elles furent classées première paire de double au monde et s’imposèrent toutes les deux dans au moins une des levées du Grand Chelem en Juniores. Quant à Callens, elle allait être avec Monami la première tenniswoman belge à décrocher une médaille olympique. Il s’agissait du bronze, aux JO de Sydney, en 2000.

Tous ces souvenirs ne sont pas anodins. De Wasserman à Callens, les joueuses belges ont sans cesse ouvert des brèches. Elles se sont convaincues l’une l’autre qu’il était possible, tout en étant Belge, de briller dans un sport individuel aussi professionnel que le tennis. Elles se sont passé le témoin de génération en génération (une génération tennistique dure de 4 à 6 ans), prouvant aux plus jeunes qu’il y avait moyen de mieux faire.

Kim Clijsters et Justine Henin ont bien compris le message. Mais, plutôt que de suivre les exemples de leurs aînées, elles les ont dépassées. Alors que Feber et Courtois avaient gagné leurs tournois Juniors à 18 ans, Henin remporta Roland Garros à 15 ans en 1997. Alors que Monami intégra le Top10, elles ont toutes deux occupé la première place mondiale. Alors qu’Appelmans était tout heureuse de prendre part aux Masters, tant Kim que Justine s’y sont imposées. Alors que Callens et Monami sont montées sur la troisième marche du double à Sydney, Henin a décroché l’or, en simple, à Athènes. Et alors qu’ Appelmans et Monami n’ont jamais pu faire mieux que des quarts de finale en Grand Chelem – ce qui était remarquable – Clijsters et Henin ont déjà six titres à leur actif, cinq pour la Rochefortoise, un pour la Limbourgeoise.

20 ans plus tard, le tennis belge féminin est au sommet. Henin est très logiquement la leader mondiale ; Clijsters est cinquième au classement mais est capable de battre les quatre premières dans un bon jour.

La fin d’une ère est en vue

Mais la domination belge vit ses dernières heures. Kim a clairement signalé que le prochain tournoi d’Anvers serait son dernier en Belgique. Ce qui veut dire deux choses : le tournoi d’Hasselt est en grand danger et la saison 2007 est bel et bien la dernière de la fille de Lei. En l’absence de Kim, l’équipe belge de Fed Cup – lauréate en 2001 – n’a plus que d’infimes chances de jouer à nouveau la tête de la compétition. D’autant que l’on voit mal Justine prendre encore le même risque que lors de la finale face à l’Italie. Voici donc une première domination qui tombe dès aujourd’hui puisque Clijsters renoncera dès 2007 à la compétition interpays.

Côté individuel, on a pu constater que la même Clijsters, depuis qu’elle voyage sans coach et ne se dédie plus uniquement à son sport, est moins performante. Elle est encore capable de triompher dans un majeur mais il lui faudra faire vite et fort car, on l’a dit, il ne lui reste que quatre chances au maximum et surtout, parce que la concurrence est terrible.

Autrement dit, Justine Henin va très vite se sentir seule. Dès 2007, sans doute ; en 2008 très certainement. Et rien ne dit qu’elle sera encore au sommet de son art alors. Elle affichera en effet 26 printemps et on sait que les numéros un mondiales souffrent le martyre. Elle en a déjà fait l’expérience puisque ses absences pour cause de blessure se répètent depuis trois ans. Et puis, encore et toujours, il y aura une concurrence féroce. Venant de l’Est, surtout, avec une Maria Sharapova qui ne rêve que de la première place. On peut penser que la Belgique comptera encore une joueuse du Top 3 pendant deux ans ; du Top 5 ; trois ans. Ensuite, comme toutes joueuses ayant tant donné à son sport, Justine prendra une retraite méritée (espérons pour elle qu’elle choisira elle-même la date et que ce ne seront pas des blessures qui l’y contraindront) ou rentrera calmement dans le rang (ce qui n’est tout de même pas trop son style).

Un témoin empoisonné pour l’avenir ?

Reste à voir quel témoin brandira Justine à ses jeunes collègues. Car plus jamais sans doute, la Belgique ne comptera une joueuse aussi flamboyante. Et il faudra attendre au moins un siècle pour en compter deux capables de s’installer, en même temps, au faîte de la hiérarchie. Le témoin cédé par Justine et Kim sera donc piégé.

Piégé parce que, quels que soient les talents des joueuses belges du proche futur, ils n’intéresseront que peu de monde. Les médias, habitués à des exploits du plus haut niveau, vont couvrir les compétitions de joueuses classées entre la 30e et la 100e place. Et si les médias se montrent moins friands de tennis, les sponsors des fédérations resserreront les cordons de leur bourse. Avec les conséquences que cela peut générer.

Qui plus est, privé de locomotives de haut vol, le tennis belge verra sans doute le nombre de ses membres diminuer petit à petit. L’avènement de Clijsters et Henin a eu un impact important sur les écoles de tennis qui ont vu nombre de gamines et gamins de 6 à 10 ans les intégrer il y a quelques années. Le fruit de cet impact sera sans doute visible dans deux ou trois saisons. Par contre, on pourrait ressentir l’effet boomerang dans un ou deux lustres.

Maintenant, peut-être que, dans les centaines d’enfants qui se sont dirigés vers le tennis grâce à nos stars, se trouvent une ou deux joueuses de haut niveau. Il semblerait en effet que, dans les moins de 12 ou 10 ans, la Belgique recèle quelques perles rares. Le tout sera de voir comment elles évolueront et, surtout, de savoir comment le grand public réagira lorsqu’elles se hisseront, par exemple, en quarts de finale d’un Grand Chelem. Ne dira-t-on pas : -Oui, c’est pas mal mais on a connu mieux… ? Quand on voit que, déjà aujourd’hui, le public n’apprécie plus à sa juste valeur les performances de la numéro 1 mondiale, on peut craindre le pire pour ce qui se passera avec des seconds couteaux en 2010 ou 2015. Autrement dit : il nous faut savourer avec gourmandise les moments présents. Et se rendre compte que Justine est la plus grande sportive que la Belgique ait connue (et connaîtra) et que Kim est une championne d’exception.

BERNARD ASHED

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