Comment le Sporting l’a découvert

Tout a commencé sur ce roc volcanique où Son Excellence jouait à domicile

Le soleil s’est couché sur la magnifique île de Madère, les invités au gala du Golden Shoe quittent peu à peu l’hôtel Savoy, un cinq étoiles qui a connu son heure de gloire, et José Manuel Delgado pousse un fameux soupir de soulagement.

 » Cette quinzaine a été très difficile « , dit l’ex-international portugais, devenu journaliste au quotidien sportif A Bola, membre d’ESM ( European Sports Magazines) et organisateur de la soirée d’hommage à Cristiano Ronaldo.  » Nous avons dû aller très vite car il s’avère que le meilleur buteur européen se rétablit plus rapidement que prévu. Le plus important, pour nous, était d’assurer la présence d’ Eusébio et de Fernando Gomes, les deux autres footballeurs portugais à avoir décroché, par le passé, la récompense suprême. Ce ne fut pas simple, surtout pour Eusébio, qui a absolument tenu à venir par le dernier avion du jour.  »

Et comme celui-ci avait du retard, Ronaldo venait de recevoir son trophée lorsque la Panthère Noire a fait son entrée dans la salle. Sous les applaudissements mais on sent bien que, si quelqu’un doit un jour devenir plus populaire qu’ O Rei, ce sera Cristiano Ronaldo. Et il se dit que, malgré une poignée de main chaleureuse, Eusébio, qui vit depuis des années sur le compte des buts inscrits pour Benfica et la sélection de 1966 à 1973, supporte mal cette concurrence. Il n’en laisse cependant rien paraître :  » Je suis heureux de parrainer la cérémonie de remise d’un trophée aussi important dans une carrière et de le remettre à notre gamin. Il a bien fait de choisir l’île de Madère pour le recevoir.  »

Chez lui, Cristiano Ronaldo est déjà roi. Et ce n’est pas un hasard si CR7 a demandé à ce que le Golden Shoe lui soit remis à domicile.  » Un hommage à ma famille, à mon père disparu et à toute l’île « , explique-t-il.

Objet de respect

Et les habitants de Madère ne sont pas peu fiers. Tout au long de la journée de remise du trophée, ils viennent faire un tour du côté du Savoy, au milieu des touristes anglais, nombreux à cette époque de l’année. Pendant trois jours, ils se sont aussi pressés pour admirer la chaussure de 12 kilos d’or massif, exposée au siège central de la banque de Funchal. Rien que sur la journée du vendredi, ils étaient quatre mille.

Pas mal pour une île de 250.000 habitants qui, il y a 30 ans, n’était qu’un rocher volcanique. Aujourd’hui, cinq des dix plus grosses fortunes du Portugal sont originaires de l’archipel au large du Maroc. Une île dynamisée par un homme, Alberto João Jardim, gouverneur de l’île depuis 27 ans. Ce que certains, surtout au gouvernement actuel, considèrent comme l’équivalent d’une dictature. Mais Jardim, qui surnomme les continentaux  » Les Cubains « , n’en a cure : il y a 30 ans, il a misé sur le tourisme pour personnes âgées et, malgré l’absence de plages, souvent avantageusement remplacées par de magnifiques piscines d’eau de mer, ce fut un succès jamais démenti.

Jardim n’est pas présent à la cérémonie de remise du trophée. Depuis longtemps, il a promis d’assister au mariage d’un neveu à Porto. Sondés, la moitié des habitants de l’île considèrent cela comme  » normal  » mais un tiers trouvent que c’est  » lamentable « , voire  » honteux « . Jardim a tout de même rédigé une lettre qui sera lue en conférence de presse et dans laquelle il appelle Cristiano Ronaldo  » Votre Excellence « …

Plus cool qu’on pense…

Il a sans doute compris qu’à l’heure où la concurrence touristique est impitoyable, une autre forme d’activité pourrait voir le jour : l’itinéraire Cristiano Ronaldo. Tous les chauffeurs de taxi peuvent désormais vous emmener les yeux fermés à la rua Quinta Falcão, où à la maison qu’il occupait avec ses parents, démolie depuis mais où des gamins jouent au ballon dans la rue en pente et s’agitent lorsqu’ils voient débarquer des photographes ou une équipe de télévision. Fatima Alves explique, pour la centième fois sans doute, que son fils Rui était ami de Ronaldo.  » Ensuite, il est parti travailler comme plafonneur à Manchester. Lorsque Ronaldo est arrivé dans la ville, il a repris contact avec lui. Aujourd’hui, ma belle-fille, une Brésilienne, travaille comme domestique pour le joueur, ainsi que pour Anderson.  » Et chacun y va de sa petite histoire en relation avec le gamin, qui a pourtant quitté l’île lorsqu’il avait onze ans seulement. Et qui, lorsqu’il y revient, préfère loger dans les palaces.

A moins qu’il ne s’agisse d’un conseil de l’impressionnant service de sécurité qui l’entoure. Un service dirigé par une jeune femme à l’allure austère et qui exige des huis clos à peu près partout où la star passe.  » Lorsque Cristiano vient manger chez moi, je dois fermer toute la partie arrière du restaurant « , explique le patron de O Barqueiro, un excellent restaurant de poisson.

Hélder Santos, photographe indépendant établi sur l’île et ami de la famille, trouve qu’on en fait trop :  » Les gens d’ici ne sont pas curieux. Des tas de stars viennent en vacances à Madère dans l’indifférence la plus totale. Mais il est évident qu’un tel déploiement de forces de sécurité finit par attirer inutilement l’attention.  »

Le joueur lui-même, d’ailleurs, reste très accessible. La dizaine de journalistes réunie au sein d’ESM a eu l’occasion de s’en apercevoir au cours de l’interview exclusive accordée par la star juste avant la remise de la godasse d’or. Ronaldo est aussi pétillant que sur le terrain. Poignée de main franche, il écoute attentivement chacun décliner son identité. Et il répond de la façon la plus détaillée possible ou avec humour à toutes les questions.  » Même celles concernant le Real Madrid « , sourit-il. Le soir, au cours du gala, il posera avec la même gentillesse auprès de tous ceux qui voudront figurer avec lui sur la photo.

Quelle est sa meilleure place ?

Parmi les autres invités de la soirée, Fernando Gomes. Comme Eusébio, il a remporté à deux reprises le trophée de meilleur buteur européen (1983 et 1985).  » Mais moi, marquer des buts, c’était mon métier « , dit-il.  » Celui de Ronaldo est plutôt de les préparer. Son mérite en est d’autant plus grand, même s’il n’avait pas besoin de ce prix pour être le meilleur joueur du monde.  »

D’aucuns, au Portugal, affirment qu’il devrait cependant devenir l’attaquant de pointe d’une sélection qui, depuis le départ de Pauleta, se cherche un vrai buteur.  » Il peut y jouer ponctuellement mais le placer systématiquement en pointe, ce serait un crime « , dit Fernando Gomes.  » Ou alors, dans un 4-4-2 mais le Portugal forme tellement de bons ailiers… « 

Un des responsables de cette formation est présent dans la salle de remise du trophée. Assis à côté de la vice-championne olympique et sextuple championne d’Europe de triathlon, Vanessa Fernandes, il se fait le plus discret possible mais ne peut cacher son émotion. En sa qualité de responsable du recrutement du Sporting, c’est lui qui a autorisé le transfert à Alvalade de Cristiano Ronaldo. Mais aussi de Figo, Simão Sabrosa, Nani, Danny, Ricardo Quaresma. Excusez du peu. Ce n’est pas pour rien que, dans l’actuelle Ligue des Champions, le Sporting est le troisième club à aligner le plus de joueurs formés en son sein.

 » En 1963, j’ai passé un test au Sporting « , explique AurelioPereira.  » J’étais avec trois amis qui sont rentrés chez eux en pleurant : ils avaient été recalés car jugés trop petits. Ce jour-là, je me suis dit que, si un jour je devenais entraîneur, je ne jugerais jamais les gamins sur leur taille. D’ailleurs, il ne faut pas confondre qualités physiques et qualités athlétiques. Voyez Simão Sabrosa : il est puissant mais tout le monde riait de moi quand je l’ai transféré. En Iniciados (l’équivalent des Minimes, ndlr), il voulait arrêter car il était sur le banc. Je lui ai dit que je n’avais pas fait 400 km pour qu’il soit titulaire chez les jeunes mais en équipe première. Porto et Benfica transfèrent des joueurs de grande taille, nous transférons de grands joueurs. Ce qui compte, pour nous, c’est la relation entre le joueur et le ballon, ainsi que la vitesse d’exécution.  »

Talentueux, passionné et courageux

Deux critères auxquels Cristiano Ronaldo répondait parfaitement lorsque, à l’âge de 11 ans, il débarqua de son île. Aurelio jure toutefois ne pas avoir été convaincu tout de suite.  » Plus j’ai d’expérience, moins j’ai de certitudes « , dit-il.  » Je suis toujours sceptique quand quelqu’un dit qu’il a été conquis par un joueur après 10 minutes. Pour nous, il était très important de voir Ronaldo évoluer parmi nos jeunes, qui étaient déjà tous très bons. Si nous l’avions vu à Madère, il serait peut-être passé à travers. Je n’ai été certain qu’il réussirait une grande carrière que lorsque je l’ai vu porter le numéro sept de Manchester alors qu’il était encore Junior. Ce jour-là, j’ai compris que tout ce qu’il avait laissé entrevoir de bon lorsqu’il était au Sporting allait se confirmer. Le joueur qui réunit talent, passion pour le jeu, passion pour l’entraînement et passion pour son métier échoue rarement. Ronaldo possède tout cela. Il préférait s’entraîner qu’aller à la visite médicale. Et le soir, nous devions fermer la salle de fitness à clef pour ne pas qu’il y aille. De toute façon, nous n’aimions pas qu’il en fasse trop sur le plan musculaire. Nos jeunes doivent prendre le temps de mûrir et ils ont un programme strict à respecter. Celui-ci est établi en fonction du rapport entre leur taille et l’épaisseur du poignet. A 17 ans, le Ronaldo du Brésil était au maximum de sa puissance physique. Figo, lui, était beaucoup plus frêle. Mais il n’a jamais été blessé… « 

Selon Aurelio Pereira, le futur Cristiano Ronaldo est déjà au Sporting :  » Il s’agit d’un fils d’immigrés portugais en France, à Toulouse. Il a 11 ans et il me fait penser, en tous points, à Ronaldo. S’il continue de la sorte, il ira très loin. Depuis cette année, nous élargissons aussi notre champ de recrutement. Nous sommes allés faire de la captation aux Etats-Unis, essentiellement dans les régions peuplées d’enfants de Mexicains, Italiens, Espagnols et Portugais. Rien qu’à New York, on recense dix mille écoles de foot. Nous sommes revenus avec huit joueurs. Des gamins doués et sérieux. Un gros potentiel d’avenir.  » La remise du Golden Shoe 2020 aura-t-elle lieu à Manhattan ?

par augusto moreira – photo: reporters/ gouverneur

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