© getty

Comment le frêle Wout est devenu van Aert, le coureur le plus polyvalent du monde

D’abord fragile, il a conquis trois maillots arc-en-ciel en cyclocross avant de devenir le coureur le plus polyvalent du monde. Voici comment Wout Van Aert (26 ans) a ajouté une nouvelle couleur à sa palette de talents, année après année. Analyse d’un corps qui vise à nouveau la victoire au Mondial, contre le chrono et sur route.

L’athlète complet

Ceux qui ont vu Wout van Aert en néophytes (2008-2010) et durant sa première saison en juniors (2010-2011) n’auraient jamais imaginé qu’il deviendrait un athlète aussi complet. Il n’avait même obtenu une place dans l’équipe formatrice de Telenet-Fidea que parce qu’il était copain avec Daan Soete, qui était considéré comme un grand talent. Woutje, comme on l’appelait, buvait souvent la tasse dans le vivier de coureurs plus costauds que lui.

Wout est capable de gagner à peu près toutes les classiques d’un jour, mais un grand tour ? Jamais.  » Marc Lamberts

Wout ne révèlera son talent que durant sa deuxième année en juniors (2011-2012), en remportant la médaille d’argent au Mondial de Coxyde, derrière son éternel rival, Mathieu van der Poel. L’été suivant, en 2012, Van Aert, qui a presque 18 ans, suit le conseil de Peter ‘t Seyen, le médecin de Telenet-Fidea, et frappe à la porte de Marc Lamberts, l’entraîneur de Jurgen Van den Broeck et Bart Wellens. « Un enfant de choeur de 1m70 et 63 kilos », se rappelle Lamberts. Il relève ce qu’il considère comme un défi, car il a décelé pas mal de chevaux sous le petit capot. Il suffit d’attendre le pic de croissance du Campionois pour découvrir l’étendue réelle de ses possibilités. Il gagne 17 centimètres et onze kilos. En muscles, car il est de type mésomorphe et gagne aisément en force.

À l’été 2014, Van Aert se rend également au centre de revalidation Move to cure du kinésithérapeute Lieven Maesschalck. Suite à une chute, il souffre d’un déséquilibre musculaire. Maesschalck, son bras droit Bert Driesen et le chiropracteur Frederic Rogiers résolvent le problème avec des exercices de stabilisation et de musculation. Van Aert a une révélation : on l’a guéri, mais on a aussi renforcé tout son corps, du bassin au bas du dos, en passant par les genoux. Il est plus équilibré, plus stable, bien que Maesschalck et consorts aient veillé à ce qu’il ne développe pas trop sa musculature.

Tom Dumoulin et Wout van Aert consolent Primoz Roglic, dépossédé du maillot jaune par son compatriote Tadej Pogacar, à l'issue du chrono.
Tom Dumoulin et Wout van Aert consolent Primoz Roglic, dépossédé du maillot jaune par son compatriote Tadej Pogacar, à l’issue du chrono.© getty

Woutje devient Wout en un rien de temps. Un chêne qui a toutefois failli être brisé au Tour 2019, quand une barrière a déchiré sa cuisse droite. L’arrachement tendineux dont il souffre risque alors d’hypothéquer sa carrière, après une première opération en France. Heureusement, le chirurgien orthopédiste Toon Claes de l’AZ Herentals le retape. Il s’astreint ensuite à une longue revalidation qui porte ses fruits : après l’hiver, Van Aert ne conserve de l’accident qu’une cicatrice et des muscles qui se raidissent un rien plus vite. Il doit ce succès à des exercices préventifs de stretching. Marc Lamberts est soulagé : Van Aert n’a rien perdu de sa force pure. L’athlète complet est de retour. Ses bras et son buste sont moins musclés qu’avant, mais sur route, ce n’est pas utile.

Wout boit et mange efficacement

Dès le début de leur collaboration, Marc Lamberts a insisté sur l’importance d’une bonne alimentation. Du jus de betterave rouge avant une course, au moins un bidon par heure en course, cinq après, six repas légers, avec suffisamment de protéines, et chaque soir, de la maquée maigre avec du miel pour améliorer la récupération musculaire. L’élève suit les conseils de son coach à la lettre.

Van Aert franchit un pas supplémentaire en 2019, quand il rejoint Jumbo-Visma et utilise sa FoodApp. Martijn Redegeld, le nutritionniste de l’équipe, calcule à la calorie et au gramme près ce qu’un coureur peut consommer pour compenser ses dépenses énergétiques au jour le jour, en fonction de son métabolisme. Van Aert, qui pèse un peu plus de 80 kilos au sortir de l’hiver, atteint progressivement son poids de forme pour le Tour (77 kilos) et abaisse son pourcentage de graisse corporelle à 6% en consommant entre 200 et 300 calories de moins par jour, ce qui lui permet de perdre 200 à 300 grammes par semaine, sans avoir faim. Après le stage à Tignes, en juillet, Van Aert est plus affûté que jamais.

Van Aert ne souffre pas de la canicule, grâce à la fueling strategy de Jumbo-Visma, qui poste une volée de soigneurs sur le parcours pour donner le bon nombre de bidons au bon moment aux coureurs. C’est le cas aux Strade Bianche, qui se déroulent avec une température de près de quarante degrés.  » Wout ne sue pas excessivement et ne perd pas trop de minéraux, comme Sven Nys jadis « , raconte Marc Lamberts. « Quand on parvient à compenser cette perte limitée et qu’on refroidit le corps avec des glaçons dans le cou ou même en en mangeant, on peut minimiser l’impact de la canicule. Ça n’a rien de révolutionnaire. Tout dépend de l’exécution pratique de ces méthodes. »

Lamberts ne fait pas de mystère à ce propos : comme presque tous les coureurs Jumbo-Visma, Van Aert consomme des cétones. « Ce produit est parfaitement légal, ce n’est pas du dopage. Il est surtout utile pour la récupération et c’est pour ça que nous y avons recours. Croyez-moi, beaucoup d’autres équipes le font. Les stocks du producteur américain étaient d’ailleurs épuisés après le Tour. »

Un athlète endurant et un gros moteur

En 2014, Rob Peeters, coéquipier de Van Aert chez Vastgoedservice, a expliqué à quel point le coureur, qui avait alors 19 ans, l’avait impressionné durant un stage à Livigno. « Wout se sentait de mieux en mieux à la fin alors que nous étions fatigués. 95% des crossmen craquent s’ils adoptent son volume d’entraînement. Celui qui veut suivre Wout chaque jour revient cassé. »

Son aptitude exceptionnelle à la récupération a été manifeste au Tour. Van Aert a décidé de se livrer à fond dans le contre-la-montre de La Planche des Belles Filles, en concertation avec les entraîneurs de Jumbo-Visma, partiellement en s’appuyant sur ses paramètres des étapes précédentes. Le Campinois avait certes reconnu qu’il se sentait à plat après sa troisième place dans l’étape de montagne du Plateau de Glières, mais c’était relatif. « Durant la troisième semaine, Wout n’était certainement pas plus fatigué que les coureurs de classement. Initialement, nous ne savions pas vraiment comment il allait se comporter pendant aussi longtemps, mais il en est donc capable. Il le doit aussi à la stratégie nutritionnelle de Jumbo-Visma : la FoodApp lui a permis d’ingérer le nombre exact de calories chaque jour. »

Comment le frêle Wout est devenu van Aert, le coureur le plus polyvalent du monde
© getty

Van Aert récupère vite et il possède un gros moteur. Lamberts l’a remarqué dès le début de leur collaboration et en a encore augmenté la puissance, sans jamais exagérer. Il le fallait pour que Van Aert puisse rivaliser avec Mathieu van der Poel en cross.

Lamberts ne souhaite pas communiquer de chiffres actuels, mais en décembre 2015, le Campinois nous a donné de bonnes indications. Pendant un test à la Bakala Academy de Louvain, il avait développé 420 watts par blocs de huit minutes, autant que Zdenek Stybar durant ses meilleures années et seulement quarante watts de moins que le record de Tom Boonen, plus lourd. Van Aert possédait déjà la qualité rare de flirter pendant une heure avec son maximum sans s’acidifier : un pouls moyen de 190 à 197 pour une capacité maximale de 207. Ces qualités lui permettent de se distinguer en contre-la-montre aussi. En mai 2016 déjà, il avait battu Tony Martin au prologue du Tour de Belgique et ces deux dernières années, il a ajouté à son palmarès deux titres nationaux et une victoire au Dauphiné

Wout entraîne son sprint de manière spécifique deux à trois fois par semaine, pendant ses longues sorties. Marc Lamberts

Lamberts s’est attelé à faire fonctionner ce gros moteur dans des courses sur route de 200 kilomètres, puis dans des classiques de plus de 250 kilomètres. Il a augmenté et intensifié les séances d’endurance pour augmenter la VO2Max de Van Aert et relever son plafond anaérobique. Ces deux derniers mois démontrent que son plan a parfaitement fonctionné.

Depuis 2019, Lamberts a recours à l’INSCYD Testing Protocol, un logiciel conçu et commercialisé par l’entraîneur allemand Sebastian Weber, mais basé sur les théories d’entraînement du physiologiste belge Jan Olbrecht. Celui-ci a déjà consacré un livre, The Science of Winning, à ce sujet en 2000 et l’a appliqué à des nageurs néerlandais comme Pieter van den Hoogenband et au triathlète Luc Van Lierde, puis à Frederik Van Lierde et de nombreux autres athlètes de haut niveau. « J’utilise ce livre depuis vingt ans », déclare Lamberts. « J’établissais les schémas de Wout de cette façon avant même qu’il rejoigne Jumbo-Visma. La seule différence est qu’après un seul test INSCYD, avec quelques gouttes de sang, on dispose de beaucoup plus de paramètres qu’avec un simple test de lactate. Le test mesure notamment la VLaMax, qui indique la vitesse à laquelle le corps produit du lactate et dévoile donc l’explosivité d’un coureur comme son niveau d’endurance. Je peux ainsi continuer à faire progresser Wout. »

Le sprinteur

Novembre 2014, Van Aert remporte le cross de Hammes après être revenu sur Mathieu van der Poel dans un sprint phénoménal. Un mois plus tard, Marc Lamberts prédit, dans les colonnes de HUMO : « Wout réussira même dans un sprint massif. » Le Campinois atteint déjà un pic exceptionnel, nous dit-il un an plus tard : 1.500 watts en moyenne sur dix secondes. « Je m’y exerce beaucoup avec Niels Albert ( son ancien coach en cross, ndlr). Sur une côte de 300 mètres. Il est à moto et je suis, à fond. Cinq ou six fois d’affilée.  »

Van Aert n'a réellement pris conscience de ses qualités au sprint que l'année dernière, au Dauphiné.
Van Aert n’a réellement pris conscience de ses qualités au sprint que l’année dernière, au Dauphiné.© Getty Images,

En 2017, au Tour des Onze Villes brugeoises, Van Aert bat dix concurrents, parmi lesquels Van der Poel, et au GP Pino Cerami, il coiffe le véloce Luxembourgeois Jempy Drucker. Comme il prépare souvent le sprint d’un coéquipier, Lamberts doit le convaincre qu’il est également en mesure de gagner des sprints au niveau WorldTour.

Le déclic s’est produit l’année passée, au Dauphiné. Après une troisième et une deuxième place, il bat Sam Bennett et Julian Alaphilippe dans une arrivée en légère montée. Le coureur Jumbo-Visma prend enfin conscience de ses possibilités. Il en a confirmation au Tour, dans l’étape en éventails d’Albi, et au Tour qui vient de s’achever, avec deux succès d’étape. C’est chaque fois la même rengaine : un sprint bien droit, le corps compact, bien horizontal, une aérodynamique parfaite. La souplesse de ses épaules et sa stabilité lui permettent de sprinter comme un spécialiste du chrono. Athlète complet, il parvient à imprimer la bonne dose de puissance à son coup de pédale dans les efforts maximaux. Sans perte de puissance et dès les premiers mètres.

Malgré ses longues séances d’endurance, Van Aert n’a pas perdu en puissance. « Il a perdu un pourcent de fibres musculaires rapides, mais ça n’a guère d’impact sur son sprint », explique Marc Lamberts. « Surtout pas au terme d’une épreuve pénible, quand la fraîcheur joue un rôle important. De toute façon, Wout entraîne son sprint de manière spécifique deux à trois fois par semaine, pendant ses longues sorties. »

Selon Lamberts, une seule chose a changé : la capacité de son poulain à accélérer trente ou quarante fois après un virage, ce qui peut se payer sur des cross sinueux et très rapides. « De ce point de vue, Wout est désormais plutôt un coureur sur route qu’un crossman. »

Le semi-grimpeur

« Hier, j’ai été humilié en montagne par quelqu’un qui gagne le sprint massif aujourd’hui. Crazy ! » a déclaré son coéquipier George Bennett après le triomphe de Wout van Aert à Privas, alors que dans l’ascension vers Orcières-Merlette, il avait emmené le peloton du kilomètre 3,4 au kilomètre 1,4 avant l’arrivée. Pendant quatre minutes et 46 secondes, sur des tronçons de 7% en moyenne, à près de 500 watts, soit 6,4 watts par kilo.

Son passage en tête au Grand Colombier, à la fin de la deuxième semaine, a été encore plus impressionnant, car il avait déjà franchi deux cols pentus. Van Aert a pédalé 7,7 kilomètres en tête sur des passages entre 9 et 10%, pour un effort de 23 minutes et dix secondes. Son chrono dans La Planche des Belles Filles (16’52 »), le troisième après Tadej Pogacar (16’11 ») et Richie Porte (16’32 »), n’est donc pas surprenant. Ce sont des efforts d’une vingtaine de minutes et Van Aert sait exactement ce dont il est capable, puisqu’il se base sur des données antérieures. Il peut aussi user d’une fréquence élevée, qu’il a travaillée avec Marc Lamberts quand il se concentrait sur le cyclocross.  » Wout n’est pas un Lance Armstrong, qui dépasse les cent tours par minute, mais malgré sa puissance, il grimpe en souplesse.  »

Marc Lamberts n’a donc pas été surpris par les performances de son poulain. « Il n’a pas atteint de wattage inédit par rapport au stage de Tignes. Ce qui m’a surpris, c’est qu’il a tenu trois semaines et pas seulement à Orcières-Merlette, ainsi qu’au Grand Colombier, après avoir franchi plusieurs cols. Compte tenu de son poids, il doit développer 60 à 70 watts de plus que les grimpeurs et il gaspille donc de l’énergie. »

Après une vingtaine de minutes, il est aussi logique qu’il atteigne son seuil anaérobique, déterminé par le wattage par kilo, crucial en montée. Tadej Pogacar, qui pèse 64 kilos, et les autres coureurs de classement ont pu poursuivre leur effort jusqu’à l’arrivée, 8,8 kilomètres ou 22 minutes et 25 secondes de plus que Van Aert. De même qu’au Col de la Loze, le Campinois a relâché son effort juste avant les sept derniers kilomètres, très raides, après une ascension de quatorze kilomètres.

Certains analystes, parmi lesquels Bradley Wiggins, estiment que si le Belge perdait quelques kilos, il pourrait rivaliser avec les meilleurs grimpeurs et gagner le Tour. Marc Lamberts n’y croit pas. « Je ne l’entraînerai pas, ni maintenant ni à l’avenir. Wout pèse 77 kilos et n’a que 6% de graisse. Pour perdre trois ou quatre kilos, il devrait s’entraîner des mois en ingérant trop peu de calories, son pourcentage de graisse descendrait à 4 ou 5% et il s’exposerait à une perte de puissance ou au surentraînement. Il creuserait sa tombe. Physiquement et mentalement. Wout peut gagner Liège-Bastogne-Liège et à peu près toutes les classiques d’un jour, mais un grand tour ? Jamais. Surtout pas sur les tracés actuels, avec moins de contre-la-montre et des cols de plus en plus raides. Qu’on laisse Wout se concentrer sur ce qu’il fait bien. C’est déjà phénoménal. »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire