Comment il est devenu un homme

Matthias Stockmans
Matthias Stockmans Matthias Stockmans is redacteur van Sport/Voetbalmagazine.

Metz. Le berceau de la quiche, du poète Verlaine et d’un club de tradition. Sur les traces de l’ancien capitaine de Malines et du futur patron de Genk.

Metz est un nom qui résonne familièrement aux oreilles des Belges, ne serait-ce que parce qu’ils y passent sur la route des vacances, vers le sud de la France ou le soleil de l’Espagne. Non loin de la frontière avec le Luxembourg, cette ville de 130.000 âmes se trouve au bord de l’ Autoroute du Soleil, entre Bruxelles et Lyon.

Celui qui prend le temps de quitter l’autoroute est récompensé. La Moselle, une rivière de plus de 500 kilomètres qui sillonne des Vosges jusqu’à Coblence, en Allemagne, entoure la ville, ses cafés et ses restaurants, sis dans la verdure, au bord de l’eau, reliés par de multiples ponts. Les maisons en calcaire ocre sont ornées de volets blancs, restes de l’occupation allemande au siècle passé. Au Moyen Age, Metz a même été une des villes les plus importantes de l’Empire allemand.

Un vrai Belge

On retrouve trace de ces liens avec l’Allemagne au FC Metz aussi. Avec Strasbourg et Marseille, il est un des plus anciens clubs de foot professionnel de France. Le FC Metz est né de la fusion entre Alte Herren Metz, le FC Metis Metz et le Metzer SpVgg ex-club d’un championnat régional allemand du temps de la Première Guerre mondiale. Actuellement, le club évolue en D3 française et est dirigé par… Albert Cartier (ex-Brussels, La Louvière et Eupen).

Si l’équipe fanion a été rétrogradée, l’école des jeunes des Grenats reste considérée comme une des meilleures de France. Emmanuel Adebayor et Robert Pirès figurent parmi les anciens élèves de cette académie, comme Julien Gorius et Ludovic Obraniak, les deux plus grands talents de la génération née en 1984 et 1985. Obraniak évolue actuellement pour Bordeaux et est international polonais. Gorius a rejoint la Belgique en 2005. Il s’est produit trois saisons pour le FC Brussels avant de faire les beaux jours de Malines, pendant quatre ans. Le médian français vient d’être transféré à Genk, où il doit remplacer Kevin De Bruyne.

Longtemps, Gorius a été frustré de n’avoir pu émerger dans son club, mais ce sentiment s’est estompé, si l’on en croit sa s£ur, Sophie (24 ans). Elle nous reçoit dans son appartement, situé juste en dehors du centre. Julien a aussi une s£ur de cinq ans sa cadette, Lorène, mais elle est la seule du clan Gorius à n’être pas restée à Metz. Elle réside à Nice et travaille dans un hôtel Ibis. Julien parvient quand même à la revoir régulièrement : il a acheté une maison à Cannes et y passe ses vacances.

 » Julien songe déjà à sa vie après le football « , explique Sophie.  » C’est pour ça qu’il investit dans l’immobilier. Il a acheté plusieurs appartements en Belgique et à Cannes. « 

Sophie nous conduit à Moulins-les-Metz, la banlieue où ont grandi les Gorius. Oncles, tantes et grands-parents y vivent depuis des lustres dans un rayon de quelques kilomètres. Juste à côté de la ligne de chemin de fer, on découvre un terrain de foot à l’ombre d’un château d’eau. L’herbe fait un demi-mètre de haut et les deux buts rivalisent de décrépitude. Avant, c’était la plaine de jeux favorite de Julien.

 » Il aime tous les sports, en fait « , poursuit Sophie.  » Jusqu’à l’âge de cinq ans, il a une prédilection pour la moto. Il a alors un petit vélomoteur qu’il pilote avec beaucoup de concentration. Puis le football entre dans sa vie et dans la nôtre. Toute la famille se rend aux matches. Notre père n’a jamais joué à un niveau élevé mais est délégué d’une équipe de jeunes du FC Metz. Nous comprenons que le football est une chose sérieuse quand Julien passe deux ans au centre de formation de Madine, un centre de la Fédération française, comme Clairefontaine. Il y est formé de 12 à 14 ans. Julien a toujours été un garçon sérieux, surtout quand cela concerne le football. Il se souvient de tous les buts de Ronaldo – le Brésilien. C’était sa grande idole. Ensuite, il a adoré Zinédine Zidane. Julien aime bien le tennis aussi. Il a joué pendant des heures ici en bas, sur le parking.  »

Nous remarquons que l’appartement n’est pas très vaste pour une famille de cinq personnes. Il fait tout au plus 80 à 90 mètres carrés.  » Nous n’avons jamais trouvé notre foyer trop petit. Nous sommes des gens simples. Maman a longtemps été mère au foyer. Elle travaille maintenant comme serveuse dans une cantine scolaire et papa est peintre. Julien n’a jamais eu de grands besoins. Il n’est absolument pas matérialiste, même s’il s’intéresse plus à son habillement depuis quelques années. Il suit même la mode !  » Elle en rit.

Son frère lui manque-t-il ? Pas trop, apparemment.  » Il revient ici dès qu’il le peut. Il adore son neveu Ilhan. Ils ont déjà tissé des liens. Nous essayons aussi de lui rendre visite en Belgique, où il se sent maintenant chez lui. Seuls ses premiers mois à Bruxelles ont été difficiles. N’oubliez pas qu’il est arrivé chez vous à 19 ans. En plus, Julien est très attaché à sa famille. « 

Elle trouve d’ailleurs que son frère devient de plus en plus belge. La meilleure preuve ?  » Il ne me donne plus qu’une bise quand il me revoit « , rigole Sophie.  » Or, en France, on s’embrasse toujours deux fois. Il est devenu un vrai Belge ! « 

Les plus belles filles du pays

On peut conseiller un détour à Metz pour une autre raison que son architecture : les filles.  » Les plus belles du pays « , selon Lucas Molinari, qui en semble très fier. Lucas est le meilleur ami de Julien. Ils se connaissent depuis l’âge de cinq ans. Ils ont joué ensemble en équipes d’âge du FC Metz et ont fréquenté la même école. Lucas est aussi le petit-fils de Carlo Molinari, qui a été président du FC Metz de 1967 à 2009 et est actuellement vice-président du club de Lorraine.

Lucas est très connu dans la ville. Il nous emmène Place Saint-Jacques, le c£ur de Metz. Il faut le voir et y être vu. Julien Gorius aime s’y rendre quand il est en visite à Metz. Nous sommes installés à la terrasse d’un bar tendance depuis moins de cinq minutes quand six personnes viennent dire bonjour. Parmi eux, une blonde élancée, la cousine de Ludovic Obraniak. Lucas nous adresse un clin d’£il :  » Elle n’est pas mal, hein ? « 

Il allume sa cinquième cigarette en moins d’une demi-heure et continue de parler de son copain Julien.  » Je comprends que Julien s’épanche peu en Belgique. Il n’aime pas attirer l’attention, même pas quand il s’agit de football. Ne vous y trompez pas : il aime plaisanter et bavarder, mais seulement avec des gens qu’il connaît bien.

Julien a toujours été fidèle à sa ligne de conduite : le football est son métier et il le prend au sérieux. Même plus jeune, pas de sorties. Il ne nous a presque jamais accompagnés. Il n’a jamais eu de problèmes avec ses professeurs, ses entraîneurs, pas plus qu’avec ses camarades de classe ou ses coéquipiers. Depuis quelques années, il a appris à boire un peu d’alcool, il lui arrive de sortir le soir mais seulement quand son métier le lui permet. « 

De la terrasse, on aperçoit une série de fast-foods américains comme McDonald’s et Subway. Au fond, quelles sont les habitudes alimentaires de Julien Gorius ? Lucas fait la grimace.  » Oh là là. Il est le type le plus difficile que je connaisse de ce point de vue. Il n’aime pas les légumes, vraiment pas. Il est capable de retirer la feuille de salade de son hamburger. Quand il jouait pour le FC Brussels et habitait seul tout près de la basilique de Koekelberg, je lui rendais souvent visite. Trois ou quatre fois par mois, je montais à Bruxelles et je lui faisais la cuisine. Pas facile. « 

C’est le seul défaut que Lucas trouve à son ami d’enfance car il ne tarit pas d’éloges. Il n’interrompt son discours que le temps d’allumer une nouvelle cigarette. A la fin, il nous fait une confidence.  » Quand il jouait pour le Brussels, Julien m’a dit que s’il pouvait choisir une équipe du top en Belgique, ce serait Genk. Plus que le Club, Anderlecht ou le Standard. Il rêve aussi du championnat d’Espagne mais je crois qu’il est déjà bien content d’être là où il est. « 

Il est devenu un homme

Avant de nous rendre à Metz, nous avons demandé à Julien Gorius quel entraîneur a eu le plus gros impact sur sa carrière. Sans hésiter, il a cité Albert Cartier. Celui-ci est stoppeur titulaire dans l’équipe que le petit Julien a régulièrement admirée au Stade Saint-Symphorien, le port d’attache du FC Metz et ensuite, est devenu adjoint de l’entraîneur principal, Joël Muller. Ensemble, ils ont réussi la meilleure saison de l’histoire du FC Metz : en 1997-1998, le club a terminé à égalité de points avec Lens, qui a toutefois remporté le titre grâce à un meilleur goal-average.

Danny Boffin est alors la vedette de l’équipe. Cartier a aussi remarqué le talent de Julien et tenté de le lancer en équipe fanion mais Julien n’a finalement joué que deux matches de Coupe.

En 2005, quand Albert Cartier devient entraîneur du FC Brussels, il attire Gorius, sachant le joueur sur une voie de garage. On connaît la suite : il a ensuite rejoint Malines puis Genk. L’adolescent est devenu un homme.  » C’était nécessaire « , témoigne Cartier quand nous le rencontrons au club.  » Julien avait du talent mais il n’était pas assez présent, ni sur le terrain ni en dehors, alors que notre milieu est dur. C’est toi ou lui pour ce poste. Il faut savoir se profiler, se montrer. Julien était trop gentil et trop timide pour devenir footballeur professionnel. C’est lié à son éducation. Ses parents sont aussi des gens très respectueux et intègres. Pour l’obliger à s’endurcir et à s’engager davantage dans les duels, je l’ai même aligné dans l’entrejeu défensif . Un entraîneur couche toujours certains noms en priorité, sur sa liste. A la fin, il y a quelques noms interchangeables. Durant sa jeunesse, Julien a été dans cette catégorie, même au FC Brussels. Ce n’est qu’à Malines qu’il a franchi ce cap. Maintenant, il est parmi les premiers qu’un entraîneur reprend. Il faut le faire : un Français qui devient capitaine d’un club flamand comme Malines. Cela veut dire qu’il est devenu un homme. « 

MATTHIAS STOCKMANS

 » Il était trop timide pour devenir pro  » (Albert Cartier)

 » Il se met pas mal la pression mais est impossible à déstabiliser  » (Sa s£ur Sophie)

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