COMMENT FAIRE DÉJOUER LE TOP 6

Le système déroutant d’Aleksandar Jankovic, l’amour de la vitesse de Fred Vanderbiest et le travail de longue haleine de Peter Maes se rencontrent pour évoquer ceux qu’ils ont fait trembler cette saison. Entretiens croisés.

Ils sont de ceux qui regardent les géants dans le blanc des yeux. Tous ont pris au moins dix points face aux six meilleures équipes de la phase classique. La défense à trois d’Aleksandar Jankovic, les automatismes rodés par Peter Maes et la vitesse d’exécution prônée par Fred Vanderbiest ont fait de Malines, Lokeren et Ostende de véritables obstacles sur la route des Play-offs 1 pour les six équipes qui se disputeront le titre. L’occasion de rencontrer le trio pour évoquer avec eux forces, faiblesses et philosophie de jeu des équipes qui animeront la fin de saison.

Avec sa victoire en finale de la Coupe, Bruges se profile un peu plus comme le favori pour le titre. Même sans Vázquez ?

FredVanderbiest : Le jeu du Club a tout de même évolué. Avant, Vazquez se déportait sur la droite pour demander le ballon, et Refaelov rentrait dans l’axe. Maintenant, l’Israélien est plus fixe en 10, et le Club est plus vertical. On cherche De Sutter, et les joueurs de rupture partent dans son dos.

PeterMaes : La grande force de Bruges, pour moi, c’est qu’il peut capitaliser sur sa bonne organisation défensive. Et là, la clé, c’est Timmy Simons. Il pense toujours défensivement quand les autres attaquent. Le plus important pour le Club, c’est que Simons ne se blesse pas.

Vanderbiest : J’ai entendu dire qu’il n’avait manqué qu’un entraînement cette année. Et encore, c’est Preud’homme qui l’a laissé au repos. Il est essentiel à l’équilibre de l’équipe. Tous les deuxièmes ballons sont pour lui.

Malines est sans doute l’équipe qui a posé le plus de problèmes à Bruges cette saison. C’était quoi, le secret ?

AleksandarJankovic : Quand vous jouez contre une équipe qui veut à ce point imposer son jeu, il faut garder le ballon. Imposer votre style. C’est primordial au niveau tactique, surtout en déplacement. Il faut couper la communication entre le rival et son public. Et ça, vous le faites avec une possession de balle, pas en restant à dix derrière.

 » Bruges réagit, Gand agit  »

L’une des clés pour gêner le jeu offensif de Bruges, n’est-ce pas de bloquer les montées de Meunier ?

Jankovic : C’est un joueur très dangereux, oui. Vous êtes focalisé sur l’arsenal offensif, et lui jaillit de la troisième ligne, peut aller vers le but et marquer.

Maes : De Bock est plus défensif de l’autre côté, mais c’est indispensable pour l’équilibre. Si tu as 60 % de tes qualités offensives à droite, il n’en faut que 40 à gauche. C’est une question de compensation.

Vanderbiest : Aleksandar a contrarié Meunier avec des joueurs qui partaient de l’intérieur du jeu pour plonger dans le dos des backs. Nous, même à dix, on a su le perturber en mettant un joueur mobile entre les lignes, avec une bonne vitesse. Moi j’ai choisi Ruiz. Chaque fois que Bruges perdait la balle, on jetait le ballon dans le dos de Meunier. Ça peut perturber le Club, surtout que Duarte n’aime pas trop sortir de position. Gand a fonctionné de la même façon avec Simon.

Jankovic : C’est surtout face à ce genre de situation que Denswil est un vrai renfort. Il est rapide, déborde de confiance et sait presser l’espace devant lui. Avec un tel joueur, Bruges n’a pas peur de mettre sa ligne défensive très haut et de courir après un Chevalier sur 50 mètres.

Maes : Même sans l’apport de Meunier, Bruges aura toujours les individualités pour faire la différence à tout moment. On l’a encore vu en finale de la Coupe.

Vanderbiest : Pour moi, Bruges reste tout de même une équipe qui joue avant tout en réaction. Gand, par contre, tente vraiment de faire le jeu.

Le développement des automatismes offensifs des Gantois est impressionnant. Comme si Vanhaezebrouck y travaillait déjà depuis des années.

Vanderbiest : Avec lui, il n’y a pas vraiment de surprise. Tout le monde sait qu’il joue en 3-5-2, mais ça marche. À Courtrai, Oussalah prenait tout le flanc gauche. Ici, c’est Foket qui le fait à droite. Mais les Gantois ont énormément de vitesse.

Maes : C’est certainement l’équipe qui a le plus d’identité parmi les six. C’est une véritable force.

Jankovic : Ils ont rassemblé beaucoup de joueurs qui prennent l’espace autour de Depoitre. L’équipe a été construite autour de son profil. Il sait garder le ballon, les autres peuvent s’appuyer sur lui.

Vanderbiest : C’est un garçon intelligent et il a beaucoup progressé dans sa position devant le but. Et avec le système de Gand, il peut aller chercher les combinaisons sur les flancs avec Foket et Dejaegere. Il est très bien entouré parce que Vanhaezebrouck met énormément de joueurs dans le rectangle.

Maes : Maintenant, il faut voir s’ils pourront jouer de manière aussi dominante en play-offs 1. Je pense qu’ils vont devoir s’ajuster, se donner un peu plus de protection.

Vanderbiest : Leur force, justement, c’est qu’ils savent varier : ils passent à quatre derrière dans les moments plus difficiles, puis repassent à trois dans leurs temps forts. C’est très difficile de s’adapter à leur jeu.

Jankovic : Avoir un plan B, voire un plan C, c’est le plus important. L’idéal, c’est même de pouvoir changer de plan en cours de match. On se sent plus à l’aise et plus en confiance dans ce cas-là.

 » Anderlecht est tributaire du niveau de Praet et Defour  »

Cette absence de plan B, c’est justement le problème rencontré par Anderlecht ?

Maes : Vous savez, dans les PO 1, c’est souvent la force du milieu de terrain qui fait la différence. Avec Dendoncker, Defour et Tielemans, le Sporting a été très bon contre Genk.

Jankovic : Le détonateur de cette équipe, c’est Defour. Par sa personnalité, son volume de jeu et sa générosité sur le terrain, il rend les autres meilleurs.

Mais aujourd’hui, on a l’impression qu’il n’y a plus que Mitrovic qui est capable de marquer un but, ça ne rend pas l’équipe trop prévisible ?

Maes : À un moment, on disait que toute l’équipe marquait sauf Mitrovic. Maintenant, c’est l’inverse.

Jankovic : Depuis plusieurs semaines, Mitrovic est mis dans des conditions idéales par l’équipe.

Vanderbiest : Je pense que le niveau d’Anderlecht dépendra de celui de Praet et de Defour. En forme, ils permettent au Sporting de jouer dix mètres plus haut, et Mitrovic a besoin d’être proche des seize mètres. Si tu parviens à maintenir Anderlecht à trente mètres de ton but, ça devient difficile pour eux.

Pour jouer aussi haut, la présence de Mbemba en défense centrale n’est-elle pas indispensable ?

Vanderbiest : Si Mbemba et Defour reviennent, Anderlecht pourra réussir la même chose que l’an dernier, avec un pressing très haut. Mais sans eux…

Maes : L’autre problème, c’est que le triangle de l’entrejeu est moins clair qu’à Bruges. On ne peut pas dire qu’il y a un véritable numéro six. C’est moins lisible pour l’adversaire, mais aussi pour la défense. Quand elle est mise sous pression, comme contre Bruges, on a vu que c’était gênant.

Jankovic : Je ne sous-estimerai jamais Anderlecht, parce qu’ils ont une telle force collective qu’ils peuvent faire exploser un joueur à tout moment. Il y a quelques mois, Mitrovic était plus que critiqué… N’oublions pas Cyriac, qui a un profil extrêmement rare et très difficile à contrôler.

Du côté du Standard, ça coince plutôt du côté de l’identité de jeu. Les Rouches ne sont-ils pas trop prévisibles pour être crédibles en PO 1 ?

Jankovic : Vous savez, Garrincha était très prévisible, mais on ne pouvait pas l’arrêter.

Maes : La force du Standard, c’est surtout une bonne organisation qui leur permet de partir vite en profondeur.

Vanderbiest : L’identité du Standard, c’est sa vitesse d’exécution. Déjà l’an dernier, avec Ezekiel et Batshuayi, c’était le cas. Vukomanovic a tenté de mettre en place un système avec Faty à la construction, qui décrochait entre les deux centraux. Mais face à nous, ça n’a pas fonctionné.

Jankovic : Cette équipe est construite pour jouer un peu plus bas, pas pour attaquer tout le temps. Et il ne faut pas oublier qu’ils ont changé d’entraîneur deux fois. C’est logique qu’ils aient moins d’automatismes. Leur atout pour ces PO, ce n’est certainement pas la tactique. Pas parce que Riga est mauvais, mais parce qu’il n’a pas le temps.

Vanderbiest : Maintenant, ils évoluent dans un autre registre. De Camargo joue en soutien d’un attaquant plus rapide, que ce soit Ezekiel ou Jeff Louis.

Maes : Louis a énormément de qualités. Il pourrait être la surprise des PO.

Jankovic : C’est une bombe sur le terrain, il peut débloquer un match tout seul. C’est le profil de joueur dont un entraîneur raffole. Si une équipe peut créer la surprise, ce sera le Standard.

 » A part le Standard, la surprise peut venir de Courtrai  »

Les Rouches sont les plus à mêmes de bousculer le top 3 dans les Play-offs ?

Vanderbiest : Pour moi, s’il y a une équipe qui peut créer la surprise, c’est Courtrai. Ils ont une grande facilité à marquer.

Maes : C’est une équipe très difficile à jouer sur son terrain.

Vanderbiest : Oui, c’est un stade chaud, avec le public très proche des joueurs. Le terrain est petit, un peu en pente, et ça convient très bien à leur jeu très physique.

Jankovic : Courtrai n’a rien à cacher. Un plan sans ballon, un plan en possession, et ça n’a pas changé depuis le début du championnat. Mais ils ont les automatismes, la continuité et la confiance.

Vanderbiest : Et une paire offensive très complémentaire et redoutable. Entourée de trois ou quatre joueurs qui jouent très bien entre les lignes.

Jankovic : Marusic, c’est un très bon transfert. Il peut faire la différence avec sa vitesse, il pèse sur le match.

Comment Yves Vanderhaeghe a-t-il posé sa griffe sur cette équipe ?

Maes : Il a surtout apporté de l’enthousiasme. Vanhaezebrouck restait au-dessus de ses joueurs, Yves s’est installé parmi eux.

Vanderbiest : Cette équipe joue comme quand Yves était sur le terrain. Ce n’est pas toujours beau à voir, mais ils savent très bien où sont leurs qualités et leurs limites. Ils sont très réalistes.

Jankovic : Jouer plus bas et défendre, ce n’est pas un problème pour eux, ils sont armés pour ça avec Santini en 9,5 qui dévie les ballons, et Chevalier qui traîne toujours sur la ligne du hors-jeu.

Vanderbiest : On en revient encore à la vitesse d’exécution. Le joueur qui évolue autour de l’attaquant de pointe et qui apporte de la profondeur. Ces paires offensives seront déterminantes. Dans toutes les équipes qui jouent un rôle en vue dans notre championnat, c’est ce système qui prévaut.

En matière de duo offensif, Charleroi est plutôt bien armé avec Fauré et Kebano.

Jankovic : La manière dont Fauré pèse autant sur le championnat à son âge, c’est remarquable. Il améliore les autres, parce que des automatismes se créent autour de son profil.

Vanderbiest : L’an dernier, ils s’adaptaient beaucoup plus à l’adversaire. Cette saison, ils ont une vraie identité. Ils ont moins besoin de la possession parce qu’ils sont très bien organisés. On sait que tactiquement, Mazzù, c’est très fort. Et il y a surtout Kebano.

Maes : La force de Charleroi, c’est sa bonne organisation, et sa faculté de marquer à n’importe quel moment. J’attends beaucoup de cette équipe. Leurs reconversions offensives seront la clé de leur réussite.

Des reconversions qui trouvent souvent Tainmont comme point de chute…

Maes : Oui, il doit recevoir le ballon dans la dernière phase de la reconversion.

Jankovic : Il s’est véritablement révélé, avec ses centres à mi-distance. C’est un profil quasiment inédit dans le championnat, à part peut-être Schouterden à Westerlo.

Vanderbiest : C’est un ailier qui sait centrer de la ligne de touche et te la mettre sur la cravate. Et ça, il n’y en a pas beaucoup. Mais je trouve que sa grande qualité, c’est sa pénétration dans le rectangle quand le ballon vient de la droite. Il est toujours bien positionné dans les seize mètres.

Jankovic : Mazzù aime aussi aligner un deuxième attaquant sur le côté droit, comme Kitambala qui peut plonger et apporter plus de présence dans le rectangle quand Tainmont reçoit un ballon de centre.

Maes : Charleroi peut quand même avant tout miser sur le talent individuel de Kebano. Comme Anderlecht avec Praet ou Bruges avec Vázquez ou Refaelov. Les autres équipes n’ont pas ce profil, et devront donc être fortes collectivement. Ce sera intéressant de voir quelle approche va prendre le dessus, entre ces équipes qui jouent avec un vrai numéro 10 et les autres, qui tablent plus sur le collectif pour animer leurs attaques.?

PAR GUILLAUME GAUTIER – PHOTOS : BELGAIMAGE

 » Le joueur le plus important à Bruges, ce n’est pas Vázquez mais Simons.  » Fred Vanderbiest

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