Comme un Simenon
La défenestration de l’ancien coach fédéral n’a pas changé le cours de l’histoire: les Rouches ont été battus au Lierse.
A l’Ombre de la Cathédrale. Cette enseigne aurait pu être le titre d’un des romans du plus célèbre écrivain liégeois, Georges Simenon, toujours l’auteur francophone le plus lu au monde avec ses 600 millions d’exemplaires vendus, même s’il s’est éteint en 1989.
Le décor est parfait: un bistrot ayant du caractère, l’accent de Tchantchès sur les lèvres des passants, la fin d’une aventure, quelques hirondelles qui passent dare-dare dans le ciel comme pour rappeler à leurs amies que l’automne est là et qu’il est temps de repartir vers le sud.
Le commissaire Maigret aurait aimé allumer une de ses bouffardes en s’installant à une des tables de l’ Ombre de la Cathédrale, le café d’ Henri Depireux où Robert Waseige déguste un petit noir bien serré .
Simenon a pondu 518 romans, Waseige a écrit 791 aventures en tant que coach en D1 belge. Même si le monde du football oublie vite, c’est plus qu’une bibliothèque, une vie… « Ma femme a découvert cette statique dans Sport-Foot Magazine deux jours après la fin de ma collaboration au Standard », dit-il avec une pointe de fierté, teintée d’ironie, dans sa voix.
En France, c’est la fête à Guy Roux pour ses 783 matches à la tête d’une équipe en D1. Personne n’a faitmieux que lui sur les terrains de l’Hexagone. En Belgique, oui. Mais chez nous, la longévité d’un coach ne suscite pas du tout le même intérêt. A un point tel que d’aucuns osent affirmer que Robert Waseige n’a pas de palmarès.
Il assume ses choix
« Je n’ai même pas envie de leur répondre mais il y a une Coupe de Belgique, deux autres finales de la même épreuve, des titres de vice champion, l’Europe avec tous mes clubs dont Winterslag venu de D3 et l’équipe nationale », dit-il. « Et puis, ces 791 matches sur les bancs de D1, ça résume tout ».
A 63 ans, l’entraîneur de Rocourt n’en restera pas là. Les événements de la semaine passée sont déjà digérés sinon oubliés, et son désir de rester dans les milieux du football est intact.
« Je ne vois pas du tout pourquoi je devrais mettre un terme à ma carrière », avance-t-il. « La santé ne me pose pas de problème. Je viens de voir mon cardiologue : tout va bien. L’envie de réaliser d’autres choses en D1 n’a pas diminué d’un cran, au contraire. J’ai déjà été contacté. On verra bien ce que cela donnera. Il faut laisser le temps au temps. Les projets et les ambitions s’affineront. Mais il est évident que je ne me lancerai pas dans une aventure où tout est à refaire avec un outil, noyau et infrastructure, de qualité insuffisante. La Belgique ou l’étranger? Je ne sais pas. Mais ce ne sera pas Tombouctou… »
Robert Waseige est donc aussi inoxydable que Guy Roux. « C’est la vie », commente-t-il. Malgré une aussi longue carrière, on peut se tromper. « Heureusement car c’est humain… », lit-on dans ses yeux.
Mais il n’y aura aucun regret dans son analyse des événements récents. Le dos à peine tourné, il a été chargé de tous les péchés de la terre. Ivica Dragutinovic n’y a pas été de main morte dans la presse. Il n’a pas hésitéà déclarer à la presse 24 heures avant le voyage au Lierse que l’ancien coach était responsable à 70% des soucis du Standard car c’est lui qui composait l’équipe. Robert Waseige n’individualise pas le problème, ne désigne personne du doigt (« Je n’ai pas envie de nuire au bon déroulement de la carrière des joueurs ») mais rappellera que le capitaine des Rouches avait régulièrement négligé son boulot défensif.
Face à Bruges, Robert Waseige l’installa dans la ligne médiane car, préoccupé par ses désirs offensifs, Capitaine Drago avait oublié de fermer la porte lors du premier but de Gert Verheyen. Un des nombreux défauts d’une équipe au potentiel surfait? Après coup, Robert Waseige ne regrette toujours pas d’avoir quitté l’équipe nationale pour l’éternel chantier liégeois et d’être passé de Belgique-Brésil aux matches du Standard.
« Si c’était à refaire, j’exprimerais le même choix mais j’éviterais de commettre une erreur… », avance Robert Waseige. « Je croyais connaître le groupe. Ce n’était pas le cas car tout avait été très vite. J’avais opté pour le Standard le jour du départ pour le Japon. J’avais une vue extérieure des potentialités du club comme c’était le cas pour Anderlecht, Bruges, Genk ou Mouscron, entre autres ».
Des affirmations qui prouvent que Waseige n’avait pas eu de contacts longtemps à l’avance, comme la presse populaire l’affirma, avant de se destiner au Standard. Si cela avait été le cas, le technicien de Rocourt aurait profilé le groupe en fonction de sa philosophie. « Ce défi liégeois, j’avais envie de le relever », répète-t-il. « Ma découverte du groupe a révélé autre chose par rapport à ce que j’attendais. C’est une leçon pour moi, un élément de réflexion pour ceux qui reprennent une équipe ». Il faut passer soi-même le groupe au rayon X et ne pas se contenter des radiographies faites par le club. « J’assume, je suis responsable mais pas coupable », reconnaît–il. « C’est fait, je n’ai pas de regrets par rapports à mes choix car je n’ai jamais eu de plan de carrière et cela ne changera pas ».
N’ayant pas une once de chance, le Standard rate sa mise à feu face à Mouscron (transformation d’un penalty raté par Ali Lukunku avant de céder d’une pièce en fin de match: 0-3) et à Charleroi où il mena deux fois (3-3) mais ne ramena qu’un point. Le titre avait été évoqué mais la queue du classement était le seul ciel des Liégeois. Piégé par les mirages de l’équipe (pas de patron, pas de grande ligne médiane, Ole-Martin Aarst blessé, une défense vite dans le rouge et dans le doute), Robert Waseige mesure alors qu’il ne quittera jamais son bleu de travail pour un smoking.
La furia liégeoise, un concept réducteur
« Je me suis dit qu’il faudrait plus de temps que prévu afin de mettre la matière existante en place », avance-t-il. « Mon intention était de jouer une sorte de 4-3-3 avec accents mis sur la vitesse et les contres. Je voulais qu’il y ait assez de main d’oeuvre en zone de vérité adverse sans oublier le repli, la récupération au milieu, sur les ailes avec une défense à la hauteur.Le groupe avait le profil technique afin d’évoluer de la sorte. Mentalement, je me suis rendu que c’était différent ».
Robert Waseige ne mettra pas l’accent sur une défense du style portes ouvertes. N’était-elle pas trop courte au niveau du talent et de la vitesse pour évoluer à plat? A part Onder Turaci, aucun arrière liégeois n’évolue à un niveau satisfaisant. Waseige a toujours pris la défense de Godwin Okpara et d’ Eric Van Meir. « Ce dernier a des qualités connues et reconnues : c’est un arrière classique. Il n’a jamais été rapide mais a toujours apporté beaucoup d’autres choses ». L’attaque, mal ou pas soutenue par une ligne médiane inexistante sur le plan mental, s’anémie de plus en plus. MichaëlGoossens dans le doute, Lukunku éternellement à l’infirmerie, Aarst revenant de blessure, il ne restait plus que Gonzague Van Dooren. Waseige loue l’engagement de Van Dooren mais ce secteur était trop limité dans ces conditions.
La direction pousse depuis longtemps RabiuAfolabi et JosephEnakharire dans le noyau: c’est trop court. Dans la ligne médiane, Johan Walem et Harald Meyssen ne portent pas le danger dans le camp adverse. Ces manquements firent mal contre Anderlecht, Mons et Bruges. L’absence de gestion tactique venant du groupe a souvent été soulignée par Robert Waseige: « Il ne faut pas être ringard et parler sans cesse des années ’70. La furia liégeoise est un concept réducteur. Il y a eu différentes époques et celles de très haute conjoncture ont été marquées par un gros engagement, certes, mais surtout par des personnalités qui savaient mettre le feu, évidemment, et surtout géraient les événements et le jeu. Je ne vais pas faire un cours d’histoire et je ne citerai que trois noms: Roger Claessen, Eric Gerets et surtout Wilfried Van Moer. Des caractères en béton, de très fortes personnalités ».
Autrement dit, le Standard n’avait pas en son sein de véritables chefs de file.
« Les défaites ont accentué un phénomène de repli mental », affirme Robert Waseige. « Le groupe a oublié des principes très simples. J’ai suivi avec intérêt la manière de jouer des Norvégiens de Stabaek à Anderlecht en Coupe de l’UEFA. Les Nordiques ont tout donné de la première à la dernière minute de jeu. Il y avait de l’engagement, du coeur à l’ouvrage: une leçon pour certains, pas seulement au Standard, qui n’ont pas bien compris que le football est de plus en plus total. Cela demande de l’engagement durant 90 minutes pour aller le plus loin possible. Belle leçon de persévérance, vraiment… Stabaek a démontré l’importance de l’esprit de sacrifice. C’est une notion qui n’a pas été intégrée par tous les groupes de D1 ».
Besoin de temps
Prenant un peu tard conscience du problème psychologique, le Standard engage trois joueurs. « Pour moi, c’était la réaction positive d’une direction ayant envie de changer le cours des choses », lance Robert Waseige. « J’avais besoin de temps et d’un déclic, d’une série de victoires pour retrouver un certain confort. Tout n’aurait pas pu devenir brillant du jour au lendemain. On ne transforme pas du plomb en or. J’étais toutefois certain que cela ne pouvait qu’aller mieux. Frederik Söderstöm a la mentalité des gars de Stabaek: il ne se pose pas de question, y va, plonge sous le capot du moteur, n’a pas d’état d’âme et rééquilibre le milieu du terrain. Fabian Carini a sa carte de visite. Et il en va de même pour Aleksandar Mutavdzic qui est un infiltreur. Le débat des gauchers était un faux débat. Personne n’en aurait parlé sans la blessure de Jonathan Walasiak. La carence au niveau de la confiance, c’était cela le noeud du problème. Ce club a une histoire lourde à porter et les attentes sont de plus en plus importantes. Quand on m’a annoncé que c’était fini, j’ai pris un coup de poing au plexus. Dur, mais je n’en suis pas mort et je maintiens que ce club va retrouver sa grandeur. Les résultats ne sont pas bons, c’est vrai, mais on y travaille beaucoup et l’outil est magnifique, probablement le plus moderne de Belgique. Sclessin, c’est une belle maison et on finira pas y vivre très confortablement. Sa direction a investi des sommes considérables… »
Luciano D’Onofrio annonça lui-même la décision de fin de collaboration à Robert Waseige. « Je ne l’ai jamais vu aussi désolé », dit Robert Waseige. Le lendemain, Alphonse Costantin et Michel Preud’homme convoquaient la presse. Preud’homme est désormais plus présent dans les médias. Ce fut le cas au Lierse où il a pris la défense de Dominique D’Onofrio, le successeur de Robert Waseige. Une petite phrase de ce dernier dans Le Soir était intéressante: « Je n’ai pas beaucoup vu Michel ces derniers temps… » Le directeur technique a été en vacances en début de saison: y avait-il un éloignement entre Waseige et Preud’homme? Ce dernier préférait-il se tenir à l’écart pour ne pas couler avec un navire en détresse?
En réalité, comme il l’a dit au Lierse, Michel Preud’homme est un conseiller, pas un décideur. Les caps sont fixés par le conseil d’administration. Luciano D’Onofrio s’est battu à fond pour que Robert Waseige reste en place. Cette défenestration est une défaite pour lui. Le conseil d’administration est formé par 11 personnes: Robert Louis-Dreyfus, Robert Collignon, Maurizio Delmenico, Jean-Louis Dupont, Jean-Claude Fontinoy, Jean-Pierre Grafé, Robert Lesman, Jean-Yves Reginster, Tom Russel, Louis Smal, Martin Steinmeyer. C’est évidemment à ce niveau que la sentence est tombée. Luciano D’Onofrio est leur conseiller, et un investisseur, même s’il n’apparaît pas dans l’organigramme. Les Liégeois du conseil d’administration auraient certainement accordé du répit à Waseige. Qui a fait basculer la décision? Le nom de Robert Lesman a été cité. Il aurait l’oreille de RL-D et demeure un important actionnaire du Standard où il a englouti des fortunes. L’investisseur anversois n’a jamais été un partisan de Robert Waseige. Il avait été à la base de la rupture entre Waseige et les Rouches il y a quelques années et n’hésitait alors pas à téléphoner à des joueurs ou à proposer des compositions d’équipes aux coaches.
Y a-t-il des problèmes internes?
En poussant le conseil d’administration dans la direction d’une fin de collaboration, n’a-t-il pas retrouvé plus d’influence et réduit l’impact de Luciano D’Onofrio (qui a composé le groupe depuis quatre ans), obligé de larguer Robert Waseige, son ami, qu’il admire depuis toujours? Les mauvais résultats sont évidemment à la base de tout dans les clubs, c’est évident, et le Standard n’échappe pas à cette loi. Pourtant, la patience est souvent le meilleur des médicaments en cas de maladie: pourquoi n’en a-t-on pas eu cette fois? Pour masquer autre chose que la recherche d’un nouvel équilibre tactique? De vieilles rancoeurs? Les manquements au sommet? Des manoeuvres internes? Un manque de return sportif vu les investissements?
Robert Waseige n’avait pas à se soucier de tout cela. Il a croisé Robert Louis-Dreyfus plusieurs fois, avant et pendant son troisième passage au Standard, mais cela n’a jamais été plus loin. Le coach avait son boulot: l’équipe lui prenait tout son temps. La décision a probablement été prise après la défaite à Mons où le Standard joua à 10 contre 11 suite à l’exclusion d’Eric Van Meir. Sans une erreur défensive globale (centre venu de la gauche, Rabiu Afolabi surpris par Cédric Roussel), le Standard serait revenu avec un point.
« Là aussi, la chance ne nous pas souri », dit Waseige. L’ultimatum fut posé. Il aurait été prolongé si le Standard avait ensuite pris la mesure de Bruges. Le coach liégeois avait une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Qui l’a laissé tomber? Robert Waseige ne regrette rien.Il allume un bon cigare. Ce n’est pas l’habitude de l’inspecteur Maigret: le héros de Georges Simenon préfère la pipe et aurait besoin de plus d’une blague de bon Semois pour résoudre les nombreuses énigmes de L’affaire Standard. La preuve au Lierse: à suivre…
Pierre Bilic
« Je continue. La Belgique ou l’étranger? Je ne sais pas. Mais ce ne sera pas Tombouctou… »
« J’ai pris un coup au plexus. Dur, mais je n’en suis pas mort »
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