Comme un poisson dans l’eau

Pendant que les coureurs luttent pour le titre, on se dispute des contrats.

1. Inflation

Depuis que le Mur de Grammont a été sacrifié et que les tentes VIP ont envahi le Tour des Flandres, les amateurs redoutent que les intérêts sportifs et le caractère populaire du cyclisme ne souffrent de la mode des événements VIP.  » On change de point de vue quand on connaît les budgets nécessaires à la mise sur pied d’une course « , affirme Jurgen Potemans, coordinateur du championnat de Belgique à Geel.  » Sans VIP, ce championnat n’aurait pas lieu. Le cyclisme vit un tel boom que l’organisation de cette épreuve requiert un budget d’environ un demi-million. Or, les droits TV ne rapportent rien à l’organisateur : nos revenus proviennent exclusivement du sponsoring et de la vente de billets et de packages de sponsoring.  »

Geel accueille 6.000 VIPs, soit 1.500 de plus que Renaix il y a cinq ans. Si le ciel est clément, on comptera quelque 30.000 spectateurs. Les VIP représentent donc un cinquième de l’assistance.  » Le sponsoring a atteint ses limites « , précise Els De Ceuster, directrice du marketing de DMC, un fabricant d’engrais qui sponsorise le championnat, contre 25.000 euros.  » Il est normal que les organisateurs tentent de professionnaliser les événements VIP et d’en faire une source de rentrées. Le cyclisme est sous-financé. De nouveaux fonds permettent d’organiser plus d’animations annexes, ce qui profite aussi aux supporters classiques. Dimanche, ils assisteront ainsi à une série de shows.  »

Cette inflation des VIP suscite des frictions au sein de ceux-ci : une formule est-elle encore exclusive quand elle est accessible à plusieurs milliers d’autres ?  » Lors de certains événements, le concept de VIP est vidé de sa substance « , opine De Ceuster.  » Le cyclisme échappe quand même à ce problème grâce à la variété des formules tandis que dans un stade de football, elles se ressemblent toutes : on se retrouve chaque semaine autour du même terrain et au fond, seul le menu change. Le cyclisme permet aussi de louer des installations le long du parcours et d’y organiser ses propres arrangements. « 

2. Différenciation

Les équipes belges invitent mille personnes au total mais pas dans les trois espaces hospitality qui abritent les 5.000 autres VIP, invités par les sponsors de l’organisation et de la fédération. Les équipes établissent leur propre programme.

La Loterie Nationale reçoit ses VIP au Village Lotto, dont l’implantation varie de course en course, d’une cave d’abbaye à une tente ou un bateau. Un quizz de cyclisme distrait les invités, qui peuvent aussi se mesurer sur un home-trainer ou aux pronostics, tout en passant au buffet et en regardant la course.  » Le cyclisme est un sport populaire et nous nous adressons aussi à Monsieur Tout-le-Monde « , commente Marc Frederix, directeur du marketing, du sponsoring et de la communication externe à la Loterie.  » Nos arrangements VIP reflètent notre philosophie : nous sommes proches des consommateurs, de ceux qui jouent au Lotto.  »

Comme l’équipe compte 19 Belges, ce championnat de Belgique est donc un événement très important. Le village a été rebaptisé Lotto-Belisol. Nouveau dans le peloton, Belisol, qui fabrique des portes et des fenêtres, reçoit 60 VIP dimanche.  » Nous nous adressons aussi au grand public « , précise Marko Heijl, responsable des relations publiques.  » Les Belges adorent le cyclisme, ils remplissent fidèlement leur billet Lotto et ils ont aussi une brique dans le ventre.  »

3. Variation

Les organisateurs tentent d’offrir des expériences uniques. Le bus VIP continue à récolter du succès dans les étapes en ligne, où il peut emprunter des raccourcis.  » Ce minibus ne peut convoyer que sept invités « , explique Brunhilde Verhenne (Omega Pharma).  » Au Tour, deux bus transportent nos partenaires commerciaux. Par contre, une formule VIP le long du parcours permet d’inviter plus de monde.  »

Au Tour de France, il y aura des vols VIP en hélicoptère. Prix pour un vol de trois personnes : 6.500 euros.  » On ne peut pas aller plus loin « , s’exclame Heijl.  » Après tout, le nec plus ultra reste identique : suivre la course dans la voiture du directeur sportif. Aucune autre formule ne permet de vivre la course avec la même intensité. « 

Ces places sont rares.  » Encore faut-il que le directeur sportif soit d’accord. Lors du dernier championnat de Belgique, Hilaire Van der Schueren s’arrêtait à notre tente à chaque tour pour emmener des VIP. Nos invités s’étonnent de cette proximité et ils vivent des moments plus intenses qu’en football « , précise Els De Ceuster.

4. Segmentation

Jadis, il suffisait d’être copain avec le sponsor pour suivre la course. Quick-Step procède à une évaluation permanente de ses clients.  » On attribue un score aux clients. Comment ont-ils aménagé nos produits dans leur showroom ? Comment communiquent-ils ? Assistent-ils aux événements, aux ateliers et aux formations que nous organisons ? Nous les classons en fonction de ces critères avant de les inviter « , explique Philiep Caryn, responsable de la communication et du sponsoring du groupe.

La formule conserve son attrait.  » Au début de l’année, chacun sait quels objectifs il doit atteindre. Nous gâtons souvent nos invités au championnat de Belgique, puisque nous le gagnons en moyenne une fois tous les trois ans. Les gens aiment être invités par une équipe cotée. « 

La segmentation s’opère aussi géographiquement.  » Le championnat de Geel est l’occasion rêvée d’inviter nos relations d’Anvers et alentours. Au Tour des Flandres, nous invitons des Flandriens alors que Liège-Bastogne-Liège est plutôt réservée à nos VIP wallons. Nous nous limitons à un lunch.  » Quick-Step a 200 invités, qui coûtent chacun 200 euros.

5. Evaluation

Que rapporte l’invitation de relations au championnat de Belgique ?  » On ne peut l’exprimer en chiffres « , répond Heijl (Belisol).  » Quand nous réalisons de meilleures ventes, nous ne pouvons pas isoler l’impact des activités VIP mais il est certainement positif. Quand on a vécu une course avec un client, le prochain entretien professionnel se déroule dans une atmosphère positive. « 

Heijl relativise l’investissement :  » Jadis, on allait au restaurant à l’occasion d’un meeting professionnel et c’était extrêmement onéreux. Maintenant, on approfondit les relations d’affaires durant une course. Ce genre d’arrangement permet d’offrir aux gens un événement qu’ils ne pourraient pas acheter ailleurs. « 

Grâce à son circuit local, le championnat de Belgique présente un avantage supplémentaire :  » Le client passe toute la journée dans le même espace que vous « , souligne Caryn (Quick-Step).  » Tout le monde veut être invité au Tour mais c’est le chaos puisqu’on change constamment de location. Il est beaucoup plus facile de bavarder pendant le championnat de Belgique. Et quand on informe bien les distributeurs à propos d’un produit, le consommateur final suit automatiquement. « 

Pour DCM, il était exclu de sponsoriser une équipe sans organiser de tels événements.  » Le client pourrait réagir négativement « , estime Els De Ceuster.  » Il se dit que si vous avez de l’argent à donner à une équipe, vous pouvez aussi bien diminuer le prix de vos produits. Comme nos clients profitent du sponsoring, ils le perçoivent très positivement. De même, nous réservons toujours vingt places aux membres de notre personnel, pour que nos collaborateurs se sentent impliqués dans notre sponsoring et acceptent mieux nos investissements. Cela aussi, c’est du bénéfice. « 

PAR BENEDICT VANCLOOSTER – PHOTOS: IMAGEGLOBE

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