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Comme un pilote de chasse

Après l’argent Après l’argent olympique en 2018 et le titre européen au début de cette année, Bart Swings (28 ans) visera sa première médaille d’or au Championnat du Monde à Salt Lake City, dimanche soir. Pourquoi brille-t-il autant en départ groupé ? Analyse, sur base de quatre thèmes, réalisée par Swings lui-même.

1. Technique

Bart Swings : Un départ groupé, ce sont 16 tours de 380 mètres, soit au total plus de 6.000 mètres. La distance varie, on ne parcourt pas 400 mètres par tour comme dans la plupart des autres disciplines, nous patinons sur la piste d’échauffement, la plus proche de la plaine centrale. Comme elle n’est pas réglementée, cette piste varie en largeur. Plus elle est large, plus les virages sont serrés.

A cause de cette force centrifuge supérieure, il faut, davantage encore que lors des courses traditionnelles, exercer une pression sur les jambes et se pencher pour ne pas rater son virage. C’est la succession de 32 virages qui rend le départ groupé si dur. A plus forte raison en altitude, comme ce sera le cas à Salt Lake City ( 1.300 mètres, ndlr), avec des vitesses encore plus élevées. C’est la raison pour laquelle d’anciens spécialistes du short-track brillent souvent dans le départ groupé, car ils sont habitués à des virages encore plus serrés.

Une fois par semaine, je m’entraîne spécifiquement sur cette vitesse très élevée dans les virages, afin de pouvoir les aborder en pleine confiance et à pleine puissance, sans craindre de tomber. Ce qui m’est, hélas, arrivé dans le dernier virage du Championnat du monde, l’an passé à Inzell, lorsque j’étais trop enthousiaste. Je savais, en effet, que c’est là que je devais faire la différence, si je ne voulais pas être dépassé dans la dernière ligne droite, comme je l’avais été par Seung-hoon Lee aux Jeux de PyeongChang. Mon pied était trop penché, et ma chaussure a touché la glace, entraînant ma glissade.

Parfois c’est la guerre, comme lors d’un sprint massif en cyclisme, mais sans devoir tenir un guidon.  » Bart Swings

Cette chute ne m’a pas traumatisé, comme cela avait parfois été le cas après un crash en roller ( l’autre spécialité de Swings et son premier grand  » amour « , ndlr). Pourtant, il m’arrive encore souvent de penser : zut, pour le même prix je pouvais être champion du monde. C’est pour cela que le titre européen à Heerenveen ( le 12 janvier, ndlr) m’a tellement fait plaisir, même si dans le dernier virage, je me suis dit : non, pas cette fois-ci…

Ce qui est important aussi, dans le départ groupé : dans les lignes droites, il faut profiter le plus possible du sillage des patineurs qui nous précèdent. Les patineurs qui ne sont pas habitués à courir en peloton économisent très peu d’énergie de cette manière. Moi, en revanche, je suis capable de me laisser aspirer. Une technique que j’ai développée dans le roller, mais aussi dans les quatre à cinq marathons de patinage (125 tours) auxquels je participe chaque saison.

La grande différence avec les courses traditionnelles, c’est que sur 5 ou 10 kilomètres, il faut pousser continuellement sur ses jambes, alors que dans le départ groupé, il ne faut pas autant pousser sur la glace dans les lignes droites car lorsqu’on est proche du patineur qui vous précède, on peut profiter de l’aspiration. Davantage encore qu’en cyclisme, où les roues doivent surmonter la résistance au frottement sur le sol, alors que celle-ci est moindre en patinage du fait de la glisse.

Tout le monde n’est pas capable, non plus, de se battre pour sa position au sein d’un groupe. Mais pour moi, c’est un jeu d’enfant. Certes, il arrive que l’on pousse et que l’on tire, mais beaucoup moins qu’en roller. Le risque de blessure en cas de chute, dû aux lames bien aiguisées sous les patins, est cependant bien plus élevé. Cela incite à davantage de prudence, d’autant que sur ces fines lames, on se met soi-même en danger si l’on exécute des manoeuvres un peu folles. En roller, on est plus stable parce que les roulettes sont plus larges, et on peut plus facilement changer de direction, plus rapidement effectuer des corrections. Parfois c’est la guerre, oui, comme lors d’un sprint massif en cyclisme, mais sans devoir tenir un guidon.

Une autre différence avec le roller, c’est le finish. En roller, on peut étendre une jambe le plus loin possible vers l’avant, pendant que l’autre s’étire vers l’arrière. En patinage, on peut seulement étendre légèrement une jambe vers l’avant, mais il faut continuer à s’appuyer sur l’autre jambe. »

2. Matériel

 » Un aspect souvent négligé du patinage de vitesse : le fait d’aiguiser les ‘couteaux’. Les fers ne sont pas complètement droits. Car, si l’on patinait sur la surface très mince des lames, on serait quasiment incapable de négocier un virage à haute vitesse. C’est la raison pour laquelle un spécialiste arrondit la lame et la plie un peu. Un travail très élaboré qui permet au couteau d’être un peu ‘tordu’, afin que l’on puisse tourner à gauche dans les courbes et former une sorte de ‘S’ sur la glace dans les lignes droites. Cet équilibre, entre l’arrondi et le côté plié, est très délicat. On ne peut pas beaucoup arrondir et un peu moins plier, ni l’inverse.

Tout dépend aussi de la sensation et du poids du patineur, du fait que la glace soit dure ou molle, et de la discipline que l’on pratique. Pour un départ groupé, il vaut mieux que le couteau soit plus arrondi, vu les virages plus serrés. La difficulté, lors d’un Championnat d’Europe ou du monde, c’est que toutes les épreuves se disputent sur quatre jours. Le 1.500 mètres et le départ groupé ont même lieu le dernier jour. Changer de lame entre les deux épreuves est impensable. Les avantages que procure un plus grand arrondi ne pèsent pas bien lourd face à l’adaptation qu’il faut effectuer. C’est possible aux Jeux Olympiques, car les épreuves s’étalent sur près de deux semaines. Après le 10 kilomètres, à PyeongChang, j’ai même eu neuf jours pour me préparer au départ groupé. Aux prochains Jeux de Pékin, je changerai donc de lame, mais pas au prochain Championnat du monde.

Cette saison, je possède aussi de nouvelles chaussures, car ma paire précédente avait été endommagée lors de ma chute dans le départ groupé du Championnat du monde. J’aime rester fidèle à une même marque, mais cette année, une année non-olympique, je suis passé de Groothuis à Viking. Cette adaptation-là est délicate également, elle ne se fait pas du jour au lendemain. Aujourd’hui, après quelques mois, je ne suis pas encore tout à fait habitué.

Ces chaussures sont bien à ma mesure, et surtout plus solides que ma paire précédente, avec quatre couches de carbone au lieu de trois. Je les ai choisies dans l’optique du départ groupé, car une plus grande stabilité autour de la cheville aide à négocier des virages plus serrés. On a certes une moins bonne sensation dans les lignes droites, mais il est important de prendre de la vitesse dans les virages.

Ma tenue est différente dans le départ groupé également : sans capuchon sur la tête, car nous portons un casque, et plus lourde, car la protection en Kevlar est supérieure, afin d’éviter de se couper lors d’une chute. C’est la raison pour laquelle une telle tenue est moins souple, mais j’ai déjà couru des marathons de 125 tours en étant équipé de la sorte. Alors, 16 tours, ce n’est pas un problème. Elle est en caoutchouc, fabriquée de telle sorte qu’elle vous soutient lorsqu’on se penche pour patiner. Le kinesio tape, que certains cyclistes utilisent lors d’un contre-la-montre, est dès lors superflu, d’autant que mes muscles du dos sont solides. Il est cependant très difficile de patiner en se tenant droit avec une telle tenue, c’est la raison pour laquelle les patineurs l’ouvrent directement après l’arrivée. »

Bart Swings :
Bart Swings :  » L’inconvénient, c’est qu’en tant que Belge, je me retrouve souvent seul, alors que d’autres pays, comme les Pays-Bas, alignent deux patineurs. « © BELGAIMAGE

3. Physique

 » Dans le départ groupé, la différence d’effort entre les lignes droites – à cause de l’aspiration – et les virages rapides – avec plus de pression sur les jambes – est grande, notamment en raison des nombreux changements de rythme. C’est ma grande force, je suis capable d’utiliser le moindre moment de répit pour récupérer. Ce qui me permet d’accélérer plusieurs fois durant un sprint intermédiaire et d’encore garder suffisamment d’énergie pour le sprint final. On l’a constaté également lors des tests à l’effort en cyclisme. Après avoir développé 400 watts pendant quatre minutes, on mesure votre acide lactique une ou deux minutes plus tard, car après un tel effort, le lactate reste longtemps dans votre sang. Du moins chez la plupart des athlètes, car chez moi, l’acide lactique redescend déjà après une minute.

C’est la succession de 32 virages qui rend le départ groupé si dur. » Bart Swings

Une qualité rare, que je dois au fait d’avoir disputé, dès mon plus jeune âge, de nombreuses courses aux points en roller. Dans cette discipline, il faut sprinter tous les deux tours, pendant dix minutes. C’est une discipline très exigeante, mais elle est de loin ma préférée. En disputant ces épreuves pendant l’été, et en m’entraînant souvent sur ces sprints répétés, explosifs et très courts, je n’ai même plus besoin de m’entraîner à cela pendant l’hiver. C’est ancré en moi.

Après un départ groupé, je suis dès lors moins fatigué qu’après un 5 kilomètres. C’est pourtant un effort un peu plus court ( environ 6 minutes, contre environ 7,5 minutes, ndlr), mais on essaie constamment de dépasser ses limites. Dans un départ groupé, l’acide lactique peut monter plus haut après un sprint intérmédiaire et après le sprint final, mais pas pendant toute la course. Même si cela dépend aussi, en partie, de la difficulté de la course et de vos concurrents. Grâce à mon passé en roller, et pour avoir couru contre les autres durant toute ma carrière, je peux encore davantage repousser mes limites dans un départ groupé que dans une course sur une certaine distance, où l’on court surtout contre soi-même. Je suis alors capable de complètement me lâcher, à la condition que je me sente bien physiquement. Davantage que la technique, cela influence mon état mental. Si ce n’est pas le cas, je ne fais peur à personne. » ( il rit)

4. Tactique

 » Dans un départ groupé, tout l’art consiste, pour moi en tout cas, à patiner continuellement devant. C’est le cas aussi en roller : si, dans la course aux points, je ne figure plus parmi les cinq premiers, je me porte de nouveau vers l’avant. Cela demande moins d’énergie que si l’on doit produire son effort depuis l’arrière. Dans les épreuves de Coupe du monde du départ groupé, cette tactique ne se révèle cependant pas toujours à mon avantage. Là, lors d’une attaque, on spécule davantage et on observe les autres. Je suis parmi les plus observés : Swings va-t-il réagir ou pas ? Car les autres savent que je comble souvent l’écart. Mais, si je le fais trop souvent, avec des sprinteurs dans mon sillage, j’en paie évidemment le prix à la fin. Ce n’est pas un hasard si ma dernière victoire en Coupe du monde remonte à 2016. Malgré tout, je suis souvent monté sur le podium.

Pour moi, les championnats sont plus faciles, car les concurrents bluffent moins fréquemment. Personne ne veut laisser échapper un titre, cela va de soi. Et donc, tout le monde fait la course. La plupart des participants, en tout cas. La course est alors plus dure. Et, vu ma condition physique, c’est à mon avantage. J’ai plus de chances de battre de purs sprinteurs, comme Joey Mantia et les Sud-Coréens qui ne comptent que sur leur sprint final. Quoi qu’il en soit, cela reste un exercice d’équilibre entre combler soi-même les trous – en sachant que j’en suis capable – et conserver suffisamment d’énergie pour le sprint.

L’inconvénient, c’est qu’en tant que Belge, je me retrouve souvent seul, alors que d’autres pays peuvent aligner deux patineurs de haut niveau, à l’image des Pays-Bas avec Jorrit Bergsma et Arjan Stroetinga. Ils adaptent systématiquement leur tactique en fonction de moi, afin de me fatiguer, comme cela a été le cas au au Championnat d’Europe, lorsqu’ils ont attaqué à tour de rôle. Mais lorsqu’un Italien s’est échappé, Bergsma a dû réagir, à plus forte raison devant son public à Heerenveen. Et j’ai pu en profiter.

Je ne collabore pas avec des patineurs d’autres pays. Sauf dans les longs marathons de patinage, où je forme une équipe avec… Bergsma et Stroetinga, eh oui ! Je pourrais également le faire dans les épreuves de Coupe du monde, et j’augmenterais alors mes chances de remporter la victoire et la prime qui va avec. Mais je ne le fais pas, car je n’apprendrais rien dans l’optique des championnats bien plus importants où je dois bel et bien les affronter.

A cause de cet aspect tactique, et parce que mes chances de médaille sont plus grandes dans le départ groupé, je suis souvent plus stressé le jour de la course qu’avant les épreuves courues sur une certaine distance. Avant le départ, j’imagine tous les scénarios possibles et imaginables : quel adversaire je dois tenir à l’oeil, face à qui je dois réagir, à quel moment puis-je moi-même attaquer.

Le plus curieux, c’est que pendant la course, je ne m’en tiens pas nécessairement au plan. Je fais plutôt confiance à mon instinct. Heureusement, cet instinct est souvent très proche de ma tactique. Car j’évalue chaque détail après chaque course : qu’ai-je bien fait et mal fait ? Donc, mon instinct est déjà programmé à l’avance, en quelque sorte. C’est aussi l’une de mes qualités. Car dans un départ groupé, on prend peut-être une centaine de décisions instinctives en quelques minutes, comme cela peut être le cas d’un pilote de chasse. Il faut effectivemencer lancer ses missiles au bon moment. »

Porté par le vent

 » Un autre élément dont il faut tenir compte pour les vitesses élevées dans le départ groupé, c’est la circulation de l’air sur la piste « , raconte Bart Swings.  » Avec un peloton d’une vingtaine de patineurs, elle est bien plus élevée que lorsqu’on patine à deux. On peut donc mieux profiter de ce déplacement d’air, qui vous porte littéralement. Même les patineurs du groupe B des épreuves classiques se montrent proportionnellement plus rapides que les meilleurs patineurs du groupe A car, dans le groupe B, ils sont à quatre sur la glace : deux prennent le départ, et après un demi-tour, les deux autres se lancent. En plus, quatre autres s’échauffent. Avec huit hommes sur la piste, la circulation de l’air est plus importante qu’avec deux fois deux, comme c’est le cas dans le groupe A. Sur 500 mètres, où tout se joue au centième de seconde, certains patinent même délibérément dans la direction opposée pendant l’échauffement, afin de casser le plus possible la circulation de l’air des sprinteurs sur la piste. Il n’y a pas de petit profit.  » ( il rit)

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