COMME CISSÉ

Bruno Govers

Sous la coupe du tandem Cossey-Lubanski, le Burkinabé (qui n’a jamais que 21 ans !) est plus brillant que jamais.

Snobé par Slavoljub Muslin, qui lui préférait son compatriote Goran Drulic à la pointe de l’attaque, Aristide Bancé était sur le départ en décembre passé. Tout portait même à croire, à un moment donné, que l’attaquant burkinabé allait poursuivre sa carrière à Al Nasr, dans les Emirats Arabes Unis. Le remplacement du technicien serbe &-monténégrin, par Aimé Anthuenis d’abord, puis par le duo formé de Rudi Cossey et Wlodek Lubanski, le poussa à réviser son intention. Bien lui en prit car depuis le début du deuxième tour, le grand blond waeslandien fait flèche de tout bois pour le plus grand bonheur d’un club qui lui a offert un contrat jusqu’en 2010.

Vos trois buts sur l’ensemble du premier volet de la compétition contrastent avec les deux hat-tricks que vous avez réussis après la trêve face à Beveren et Westerlo. Comment faut-il expliquer cette métamorphose ?

Aristide Bancé : Autant Slavoljub Muslin me marchandait son soutien, autant je jouis de la pleine confiance de ceux qui l’ont remplacé. Rudi Cossey, qui était T2 au moment de mon arrivée en janvier 2003, m’a toujours eu à la bonne…, contrairement à certains qu’il a secondés avant de reprendre lui-même les rênes. Je songe non seulement à Muslin mais aussi à Franky Van der Elst. Avec lui, j’avais été condamné immédiatement. Aujourd’hui, j’ai le sentiment de revivre. J’essaie de ristourner par de bonnes prestations sur le terrain ce que les deux nouveaux coaches ont fait pour moi. Je dois énormément à Wlodek Lubanski également. En tant qu’ancien grand attaquant, il sait de quoi il retourne et j’ai droit chaque semaine à des entraînements spécifiques. Je me suis déjà bonifié de manière très sensible, devenant plus calme face au gardien adverse, par exemple.

Votre spécialité, c’est manifestement le jeu de tête puisque la moitié de vos buts ont été inscrits de cette manière.

C’est effectivement mon point fort. Et, ce qui ne gâte rien, je suis aussi à l’aise sur les centres qui me parviennent du flanc gauche que du couloir opposé. En revanche, pour ce qui est du jeu au pied, la différence est grande entre le droit et le gauche. Celui-là, c’est vraiment une calamité (il rit). Avec le temps, j’essaie d’atténuer les différences. Mais je regrette amèrement, aujourd’hui, de ne pas avoir écouté davantage le père de Djibril Cissé, qui fut l’un de mes formateurs à l’ECAF à Abidjan. Il me répétait sans cesse qu’il ne suffisait pas seulement de travailler ses points forts. Il fallait aussi remédier dès son plus jeune âge à gommer les points faibles. Moi, je ne l’ai jamais entendu de cette oreille. J’aurais dû être plus malin… A cette époque, je ne jouais pas en pointe mais dans l’entrejeu, comme pare-chocs devant la défense. C’est évidemment une position où il est important de pouvoir se débrouiller des deux pieds. Dans une certaine mesure, je pense que j’en subis toujours les conséquences. Je délivre aussi rarement des assists par exemple. C’est sans doute dû au fait que je préfère tenter crânement ma chance au but, quitte à rater, en lieu et place de donner une passe hasardeuse.

Avec Copa et Ouattara

Comment un Burkinabé de naissance, comme vous, a-t-il abouti un jour dans la capitale ivoirienne ?

Beaucoup de compatriotes empruntent le même chemin. Les conditions de vie sont nettement meilleures chez le voisin. Certains adoptent même la nationalité ivoirienne, comme… Aruna Dindane dont la famille était pourtant d’origine burkinaise. Faute de travail à Ouagadougou, mes parents avaient mis le cap sur Abidjan, où la main-d’£uvre était la bienvenue. Mon père a travaillé dans une firme vendant du matériel électrique tandis que ma mère était active dans la restauration. A 14 ans, à l’occasion d’un tournoi inter quartiers, j’ai été repéré, au même titre que deux autres jeunots, qui jouaient dans la même équipe que moi : Boubacar Barry Copa et Sekou Ouattara. Tous deux se sont retrouvés à l’Académie Jean-Marc Guillou, à Sol Béni, tandis que j’ai été dirigé vers Williamsville, dans une école de football montée par le paternel de l’actuel joueur de Liverpool. C’est lui qui a été mon instructeur. Un an plus tard, j’ai quitté son centre pour rejoindre l’un des grands noms du football local : le Stade, qui lutte pour ainsi dire chaque année avec l’ASEC et le Stella pour le titre. Même si j’ai poursuivi mon écolage là-bas, je serai toujours reconnaissant à Cissé Senior de m’avoir donné une chance.

Vos cheveux peroxydés, c’est pour imiter Djibril ?

J’ai voulu faire comme lui, effectivement. Pour un jeune attaquant africain, Djibril, c’est un peu le modèle. A Lokeren, il y a un autre exemple dont j’espère m’inspirer un jour : Jan Koller. Le géant tchèque a transité ici avant de faire fureur à Anderlecht puis à Dortmund. La Bundesliga recueille d’ailleurs mes faveurs si, un jour, je devais quitter la Belgique pour une autre compétition en Europe. Un club me plaît d’ailleurs tout particulièrement là-bas : le Werder Brême. J’aime le style de cette équipe ainsi que son buteur, Miroslav Klose. C’est vraiment un tout bon. Mais je ne suis pas encore prêt pour le football en Allemagne. A 21 ans, je dois encore continuer ma progression ici. A Lokeren pour l’instant puis, pourquoi pas, dans un club du top.

Anderlecht hésite, semble-t-il, entre Salou Ibrahim (Zulte Waregem) et vous ?

C’est normal qu’il songe à une solution de rechange pour Nicolas Frutos. Dans ce cas, on peut comprendre que le nom du Ghanéen, ainsi que le mien, aient été cités. Salou Ibrahim est évidemment un tout bon attaquant. Le Club Bruges l’a d’ailleurs dans le viseur aussi. Par rapport à lui, je possède une plus grande expérience au sommet, vu que je suis ici depuis trois ans. Et je suis plus jeune aussi, puisqu’il accuse cinq ans de plus que moi. Si je suis transféré à Anderlecht et lui à Bruges, ou vice-versa, tout le monde y trouvera peut-être son compte (il rit). Pour moi, de toute façon, la balle est dans le camp de Lokeren puisque j’y ai paraphé un nouveau contrat de longue durée.

Comparé à Vieira

Au mercato, vous aviez failli aboutir non seulement à Dubaï mais aussi au FC Brussels ?

Al Nasr ne me disait absolument rien qui vaille. Tout au long de ma période d’essai, j’y ai été abandonné à mon sort. En outre, personne ne maniait la langue française là-bas et je ne comprenais pas un traître mot de ce qui était stipulé dans le contrat que le club était disposé à m’offrir. Au Brussels, tout devait être fait à la va-vite aussi. Comme il y avait du changement à Lokeren, j’ai préféré patienter, quitte à délaisser le club en fin de saison. En définitive, j’ai choisi la stabilité.

En début de carrière, pourtant, vous aviez la bougeotte : trois clubs en trois ans en Côte d’Ivoire.

Au Stade, vu mes 15 ans, j’avais été incorporé chez les jeunes. Après quelques mois, j’avais la perspective de débuter en équipe fanion à Daoukro, un club qui venait tout juste de rejoindre l’élite du football ivoirien à ce moment. Son entraîneur me voulait absolument car il voyait en moi un futur Patrick Vieira (il rit). Par la suite, pour une question de sous, je suis passé au FC Athlétique avant de rallier Ouagadougou et le FC Santos.

Un retour dicté par la guerre civile ?

Oui, malheureusement. En tant que Burkinabé, je n’étais pas à l’aise car le conflit, au départ, était principalement ethnique. Moi-même, je n’ai jamais été menacé. Il est vrai que je restais cloîtré le plus souvent chez moi. Le soir, il était tout à fait exclu que je sorte, par exemple. Régulièrement, j’entendais des détonations et des balles siffler dans le quartier où je résidais. J’ai perdu aussi quelques connaissances, tombées sous les balles. A un moment donné, je me suis dit qu’il était risqué de rester. Et je suis retourné avec mes parents à Ouagadougou. C’est là, au FC Santos, que tout a pris une nouvelle orientation : j’ai été aligné pour la première fois en pointe, signant 9 buts en 7 matches. Puis, Lokeren s’est manifesté par l’intermédiaire de son manager, Willy Verhoost. Ce fut le début d’une belle aventure.

Vous avez marqué davantage de buts cette saison (15 dont 12 depuis janvier, contre 9 à Frutos) qu’au cours de vos deux premières années en Belgique, lorsque vous aviez paraphé chaque fois 6 buts. Est-ce votre véritable départ ?

J’en ai bien l’impression. Au début, ce n’était pas évident, pour moi, de me situer. Car chaque entraîneur attendait toujours quelque chose de particulier de moi. Parfois, je me suis régalé. Avec Willy Reynders, par exemple, ou avec le staff technique actuel. Parfois, aussi, je me suis posé pas mal de questions. A présent, j’ai l’impression d’avoir assimilé l’essentiel. Je sais comment me déplacer judicieusement et les autres savent comment me faire parvenir de bons ballons. Ma carrière démarre seulement.

De quoi rêvez-vous ?

D’un parcours fructueux en Europe, d’une part, et de grandes prestations avec les Etalons, mon équipe nationale. Nous avons hélas loupé notre qualification pour la Coupe du Monde et il nous faut désormais veiller à être présent au Ghana, à l’occasion de la CAN 2008. C’est tout à fait faisable car nous avons une bonne équipe, à connotation belge avec Badou Kéré de Charleroi, Lamine Traoré d’Anderlecht et l’ancien puncheur de Genk, Moumouni Dagano.

Qui est le plus populaire ?

Au pays, c’est Moumou. Par contre, je peux compter sur plus de sympathie que lui à Abidjan. Ce n’est pas étonnant, en ce sens que je me suis inspiré de ce que d’autres font sur place pour organiser des entraînements à Williamsville. Pour le moment, un groupe d’une trentaine de joueurs âgés de 12 à 18 ans s’entraînent là-bas avec du matériel que j’ai moi-même fourni : des anciennes tenues de Lokeren et des ballons Select que le club n’utilise plus. D’ici un an ou deux, j’espère que l’un ou l’autre de ces garçons marchera sur mes traces. Ce serait merveilleux, en tout cas.

BRUNO GOVERS

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