Coeur de Pirate

L’Américain d’Anderlecht a été intronisé au sein du Hall of Fame de son ex-université de Seton Hall dans le New Jersey le 11 juin dernier.

Les noms sont enchanteurs : Garden State Parkway, South Orange, Ivy Hill Park… mais en même temps trompeurs. Nous sommes dans la grande banlieue de New York City. L’autoroute qui longe Newark et son aéroport gigantesque n’incite pas à la flânerie bucolique. Et les quartiers proches de la sortie N° 144 ne sont pas spécialement recommandés aux esthètes. Cependant, au fur et à mesure que l’on s’approche de Seton Hall, les rues et les maisons, bien que toujours modestes, se font plus coquettes. Le campus de 23 hectares quant à lui est un havre de calme et de verdure.

 » Tout a commencé en 2003. J’avais 18 ans et je vivais à Huntington Beach (Los Angeles). Nous étions à quelques mois de la fin de l’année scolaire et contrairement à pas mal de copains qui avaient déjà tout planifié pour leurs études universitaires et avaient décroché des bourses d’études, je n’étais encore nulle part. C’est alors que j’ai été convoqué dans une sélection de Californie du Sud pour un tournoi à six afin de donner la réplique à l’équipe nationale US des moins de 17 ans. « 

Sacha Kljestan, droit comme un piquet de corner et sérieux comme un arbitre, raconte son histoire devant 150 amis et alumni (anciens) de Seton Hall réunis pour la 22e édition du Hall of Fame dans le superbe Fairmon Country Club. Le Hall of Fame, c’est un truc typiquement américain : c’est la reconnaissance de l’élite sportive d’une université, d’une fédé, d’un sport… À Seton Hall, on fait ça tous les deux ans et on met 5 à 6 personnes en exergue : des athlètes, mais aussi des entraîneurs particulièrement méritants.  » Mais on compte adopter un rythme annuel « , confie Matt Sweeney, le directeur de la communication du département sportif. Comme on le comprend ! À 250 dollars le couvert, l’opération n’est pas seulement douce et agréable pour les récipiendaires, elle se double d’un solide fund raiser qui ravit le fonds athlétique de la vénérable institution académique.

Fondée en 1856, Seton Hall est la plus ancienne université diocésaine aux États-Unis. Elle compte 9.700 étudiants originaires de 64 pays. Au niveau sportif, elle fait partie de la Division 1 nationale et plus particulièrement de la Big East Conference, qui comprend 16 universités dont certaines aussi prestigieuses que Notre Dame (Indiana), Georgetown (Washington D.C.), Marquette (Milwaukee) et DePaul (Chicago).

Cinq minutes pour raconter son histoire

La soirée a commencé à 18 h 00 par un drink. Elle se terminera à 21 h 30. Ici, on se couche avec les poules. Pas question de traîner ni de déborder du planning. C’est d’ailleurs pour cela que les cinq VIP qui ont recommandé les candidatures n’ont eu droit qu’à deux minutes de vidéo. Sacha poursuit son récit. Tout comme les 5 autres honorees, il a droit à 5 minutes pour faire passer son message et, comme dans la tradition de la cérémonie protocolaire des César, Oscar et autres Grammy, remercier tout le monde : Dieu, papa, maman, fiancée, agent, entraîneur…

 » À l’issue du tournoi, j’ai été approché par le coach de l’équipe nationale des moins de 17 ans, Manfred Schellscheidt, alias Manny. Il m’a invité à une petite visite du campus de Seton Hall et à rencontrer quelques joueurs. Le New Jersey ! Pour nous, en Californie, c’est le bout du monde ! Cinq heures d’avion. J’y suis allé, accompagné de mon père, heureux aussi par la même occasion de revoir Uncle John « , un parent qui habitait pas loin de New York ( NDLR : qui ira jusqu’à offrir un laptop à Sacha pour qu’il signe à Seton Hall). On a quitté Los Angeles et ses 25 degrés pour débarquer au New Jersey, sous la neige. Me voilà donc sur le campus, guidé par un old man à l’étrange accent. Mais l’endroit m’a plu. Et plus encore l’homme en question.  »

À ce moment, Sacha passe en mode sans notes. C’est la mémoire du c£ur qui parle, avec spontanéité et chaleur :  » J’ai été superbement accueilli dans la grande famille des Pirates de SHU. Avec beaucoup d’amour. Je m’y suis tout de suite senti bien. Coach Manny m’a d’emblée laissé m’exprimer sur le terrain en m’attribuant le rôle d’homme libre que j’affectionne tant. Il m’a fait confiance. Il m’a donné ma chance et donc l’opportunité de réussir. Les trois ans que j’ai passés ici ont été une bénédiction. Coach Manny a aussi fait de moi un homme meilleur… « 

C’est le moment où des gorges se nouent et quelques paires d’yeux s’embuent.

Sacha n’a jamais été un gueulard

 » Sacha était un excellent élément et un bon équipier « , dit Gerson Echeverry, le coach actuel de l’équipe. Ex-joueur pro et semi pro (DC United, New York MetroStars, Cortula en Colombie et D3 en Allemagne, il a été T2 de Schellscheidt dès 2004 :  » Il ne parlait pas beaucoup sur le terrain. Ce n’était pas un yeller (un gueulard). Il préférait le geste à la parole. Il tenait un rôle d’électron libre dans le jeu, de régisseur. C’est lui qui faisait jouer l’équipe et dès les premiers matches, on a tout de suite vu que grâce à lui, ses équipiers étaient meilleurs. Il était doué techniquement, avec une très bonne vision du jeu et un grand sens de l’anticipation. Je me souviens qu’il était un excellent passeur. Il détient d’ailleurs toujours le record absolu de l’université avec 15 assists au cours de la saison 2005 qui l’a vu pour la deuxième fois retenu dans la sélection Big East. C’est au cours des trois années que Sacha a passées ici que Seton Hall a enregistré ses meilleurs résultats. Sans avoir l’air d’y toucher tant il était discret, il a marqué le programme de son empreinte.  »

La soirée du Hall of Fame peut prendre fin. Elle aura rempli son rôle en combinant le solennel, l’humour, la nostalgie, la fierté, la reconnaissance, la fidélité et l’amitié. Et surtout ce sense of belonging (ce sentiment d’appartenance) typiquement américain. L’importance d’appartenir formellement à un groupe, d’être membre d’une association. Et aussi de donner en retour. La gratitude n’est pas un vain mot ici. Quand la vie vous a gâté, on give back à l’institution qui vous a mis sur orbite. Souvent à grand renfort de milliers, voire de centaines de milliers de dollars. Dans la pièce d’à côté se tient, en parallèle à la soirée d’intronisation des anciennes gloires, une enchère silencieuse. Sur les tables, les battes de baseball, des maillots de joueurs de basket, des photos… tous dûment autographiés. À leur droite, une feuille avec le montant de l’offre et le nom de l’amateur. Une photo noir et blanc du président Eisenhower en compagnie de Joe DiMaggio (baseball) et de Rocky Marciano (boxe) ? 500 dollars. Un poster encadré de Mickey Mantle (baseball) datant de 1968 ? La dernière mise est de 3.500 dollars.

Dans le très beau programme-souvenir de la soirée dans lequel les sponsors et les copains s’en donnent à c£ur joie. Jason Hernandez, un joueur des San José Earthquakes, grand ami du plus anderlechtois des Américains et coéquipier tout d’abord chez les Pirates de SHU en 2004 et à Chivas USA ensuite en 2006 et 2007 a acheté une demi-page.

Sous la photo où on le voit courir derrière Sacha, il a écrit :  » Félicitations, Sacha ! Avoir été à tes côtés sur les terrains et en dehors a été formidable. Tu as été un grand équipier et un plus grand ami encore. L’Université de Seton Hall a été chanceuse de te compter dans ses rangs. P.S. : No whistle, no foul ! (Pas de coup de sifflet, pas de faute) « .

Ses deux objectifs primordiaux

Quelques jours plus tard, le samedi 16 juin, Sacha va se marier avec Jamie Lee – mannequin professionnel – à Huntington Beach.  » L’adaptation à Anderlecht a été très facile « , précise-t-il d’emblée.  » Contrairement à beaucoup de joueurs qui sont recrutés à un très jeune âge et qui n’ont jamais quitté le nid familial quand ils débarquent en Europe, j’avais déjà 24 ans quand je suis arrivé à Bruxelles en été 2010. J’avais vécu 3 ans loin de chez moi, dans un climat similaire à celui de la Belgique ! De plus, j’étais accompagné de ma fiancée. J’ai de plus été très bien accueilli. Je me suis tout de suite senti chez moi. Il n’y a pas eu de choc culturel pour moi en Belgique.  »

Et sur le plan du foot, par rapport à la Major League Soccer où il a joué avec Chivas USA ?  » Ce n’est pas spécialement facile de débarquer dans une équipe qui vient d’être sacrée championne. Elle a des habitudes et des certitudes. Never change a winning team. L’adaptation au niveau du jeu s’est faite dans des délais et des proportions raisonnables, même si en Belgique on est mieux organisé au niveau tactique. On planifie, on élabore, on calcule. La MLS est beaucoup plus athlétique. On est plus généreux dans l’effort. J’ai appris à mieux comprendre le jeu et donc à le lire. Je pense aussi que j’ai amélioré mes passes longues.  »

Sacha a un petit mot pour Ariel Jacobs, qui l’a longtemps laissé sur le banc, estimant qu’il n’apportait pas assez à l’équipe avant de lui faire confiance :  » Après 4 ou 5 ans, il est habituel pour un entraîneur de changer d’air. Lui au moins a eu le privilège de poser librement son choix. On ne l’a pas remercié comme c’est souvent le cas. Je lui souhaite plein succès pour la suite. Moi, je suis à Anderlecht pour mes deux prochaines années de contrat. Et j’y suis bien. Je ne spécule pas. J’ai deux ambitions : jouer la Champions League et la Coupe du Monde.  »

Même si c’est mal parti. Depuis que Jürgen Klinsmann a repris le team USA des mains de Bob Bradley – parti en Égypte – en juillet 2011, Kljestan n’a plus porté que deux fois le maillot red, white and blue (alors qu’il l’avait revêtu à 33 reprises depuis 2007 !) en septembre 2011, contre le Costa Rica lors du premier match du coach allemand et en février 2012 contre l’Italie. Depuis, c’est le silence :  » Je dois regagner ma place et j’entends bien y arriver. C’est un de mes deux grands objectifs. Remember ? »

PAR BERNARD GEENEN

Kljestan détient toujours le record de l’université avec 15 assists lors de la saison 2005

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