COEUR D’OR

Sur les traces du capitaine du Standard, à Ribeira de Frades, avec des gens extras qui évoquent Paulo Sérgio Marceneiro da Conceição avec plaisir et émotion.

« C’est un endroit calme et pur, mais oublié d’un Portugal qui consacre la majeure partie des investissements aux grandes villes et à la région touristique de l’Algarve. Ici, le soir, on peut rouler dix kilomètres sans apercevoir une lumière « . C’est ainsi que Sérgio Conceição définit la région où il est né.

Nous sommes à Ribeira de Frades, petite commune de 3.000 habitants sur les bords du Rio Mondego, le long de la route nationale qui mène de Coimbra à la cité balnéaire de Figueira da Foz.

Sept kilomètres seulement nous séparent de la plus vieille cité universitaire d’Europe mais on se croirait à des années-lumière de toute urbanisation. Sur cette colline, on désigne d’ailleurs ceux qui détiennent le savoir comme  » les Docteurs d’en bas « , une expression qui traduit parfaitement la différence entre deux mondes si proches et pourtant si éloignés.

Ribeira de Frades a longtemps vécu de l’agriculture et des usines de céramique mais trois d’entre elles sur cinq ont aujourd’hui fermé leurs portes.

Notre première interlocutrice, une dame qui tient un commerce d’articles de pêche et une papeterie, avoue ne pas connaître les origines du numéro 7 du Standard.  » Mais mon mari dit souvent que Sérgio avait l’habitude de jouer sur le Largo do Rossio. Adressez-vous au café Amoreira, ils doivent pouvoir vous en dire plus « .

Gamin, c’était déjà un chef avec ses copains

Nous sommes le lendemain de Noël et il n’est que 10 heures du matin mais une belle animation règne déjà sur la place principale du village. Pendant que sa femme sert les clients du café, Alvaro Caldeira nous accueille et nous explique qu’il connaît effectivement bien Sérgio Conceição et sa famille.

 » Parce qu’il a souvent joué avec mon fils lorsqu’il était jeune mais aussi, malheureusement, parce que j’ai également une agence de pompes funèbres et que c’est moi qui me suis occupé des funérailles de ses parents « , explique celui qui accepte de nous servir de guide et de chauffeur tout au long de notre reportage sur les traces du capitaine du Standard.

 » Aujourd’hui encore, il arrive que des gamins viennent jouer au ballon sur la place du village. Mais lorsque Sérgio était petit, ils étaient très nombreux. Deux enfants sortaient du lot : Sérgio et Paulo Iniceta. Chacun voulait faire partie de leur équipe mais Sérgio avait déjà son caractère : il choisissait lui-même ses équipiers. Iniceta était pourtant encore plus fort que lui. Mais il a commis l’erreur de signer à l’União Coimbra, un club où il y avait une mauvaise ambiance. Il n’a pas eu une aussi bonne éducation que Sérgio et il s’est perdu, notamment dans la drogue. Il joue aujourd’hui en D3. Quelques années plus tard, un autre gamin du village a percé dans le foot : Chano, qui a joué à Amadora. Sérgio, lui, n’avait pas spécialement d’ambition. Son rêve, c’était de réussir à Académica, le premier club qui est venu le chercher ici. Son père le conduisait et allait le rechercher sur une petite motocyclette. Comme j’allais rechercher mon beau-père à la ville, s’il pleuvait, je ramenais aussi Sérgio et il jouait avec mon fils à la maison. Quand il n’y avait pas moyen de jouer au ballon, ils jouaient au kicker ou à des jeux traditionnels d’ici, comme la taipaNDLA : une espèce de pétanque avec des boules céramique. Mais là où il était imbattable, c’était à la caderneta, un jeu qui consistait à reconstituer une équipe de foot au départ de photos de footballeurs découpées dans des journaux. Celui qui gagnait recevait un ballon « .

Sensible, joyeux, bouillant

José, le fils d’Alvaro, a trois ans de plus que Sérgio et peut se considérer comme un ami du joueur du Standard, même s’il ne l’a plus vu depuis son départ pour la Belgique :  » On se téléphone régulièrement mais, entre le football, sa belle-famille, ses s£urs et ses enfants qui vont à l’école dans un très bon collège de Porto, il n’a que peu de temps lorsqu’il revient à Ribeira de Frades. Je crois d’ailleurs que c’est pour cela qu’il a fait construire une maison à Mealhada – NDLA : à une vingtaine de kilomètres au nord de Coimbra -, un endroit assez central « .

Une commune qui est aussi la capitale régionale de la gastronomie. Car Sérgio adore la cuisine traditionnelle : le leitão (cochon de lait), arroz de cabidela (du riz à la volaille dont la sauce est faite à base du sang de la poule), le frango do churrasco (poulet grillé)… Il aime participer aux fêtes populaires comme celle du 15 août, où on tue à peu près 500 chèvres dans le village pour manger des plats de chanfana.

 » Un jour, il a également amené ici Jorge Costa et Folha pour assister au rituel de la mise à mort du porc « , se souvient José.  » Ils sont de la ville, ils ne savaient pas ce que c’était, alors Sérgio leur a montré. Il est comme cela : avec lui, il n’y a jamais de problème, que des solutions « .

Le cafetier, qui préférait la natation au football, ne s’est vraiment lié d’amitié avec Sérgio qu’à l’adolescence, dans une période difficile de la vie du footballeur :  » Mon père s’est occupé des funérailles de son père et j’ai vu toute la détresse qui s’était emparée de lui. Cela nous a rapprochés. Plus tard, lorsque sa mère est décédée également, il voulait déjà assumer les responsabilités. Il a mis du temps à s’en remettre mais sa foi l’a beaucoup aidé. Hormis au moment des funérailles, je ne l’ai jamais vu pleurer, mais c’est un type très sensible et je suis sûr que chez lui, en privé, il lui arrive souvent d’écraser une larme. Mais c’est aussi un extraverti, un amoureux de la vie. Les filles ? Je pense que Liliana, sa femme, a été son premier véritable amour. Avant, il avait du succès avec les gamines de la région s’il le voulait vraiment mais il n’y prêtait guère d’attention « .

José était également avec lui lorsqu’il a choisi sa première voiture, une Opel Vectra. Il l’avait achetée à crédit puis, un jour, il a eu assez d’argent pour rembourser tout d’un seul coup. Alvaro raconte que le patron du garage possède encore les lettres de crédit.

Au café Amoreira, il n’y a pourtant pas de vareuse de Sérgio Conceição.  » J’en ai deux à la maison : une de Porto et une de la Lazio, celle qu’il portait lorsqu’il a inscrit le but du scudetto « , dit José.  » J’aurais voulu en avoir une de la sélection portugaise mais ça s’est un peu terminé en queue de poisson pour lui et je ne sais pas s’il y retournera un jour « .

Les siens avaient été rejetés par leur famille

Nous expliquons à Alvaro que nous aimerions rencontrer la famille de Sérgio Conceição, voir la maison où il est né et les endroits qui ont balisé sa jeunesse.  » Il a quatre s£urs et un frère « , explique Alvaro.  » Il en avait un autre, Paulo, mais il est décédé alors qu’il n’avait que 16 ans : une bonbonne de gaz a explosé dans l’usine où il travaillait, près de Lisbonne, et il a été carbonisé. C’est moi qui suis allé chercher le corps. Je veux bien vous présenter des membres de sa famille plus éloignée aussi, mais je ne suis pas certain que cela en vaille vraiment la peine car, hormis un ou deux cousins, Sérgio n’a que très peu de contacts avec eux. S’ils sont au café quand il arrive, il les salue, paye l’addition, mais cela ne va pas plus loin. Vous savez, les parents de Sérgio étaient très pauvres, et les oncles, dont le portefeuille ne se portait pourtant pas beaucoup mieux, les méprisaient un peu. Puis, quand Sérgio a commencé à gagner beaucoup d’argent, ils ont voulu l’accepter comme un des leurs mais c’était trop tard. Aujourd’hui, ils disent qu’il est prétentieux mais ce n’est pas du tout cela : simplement, il n’a pas oublié ce qui s’est passé « …

Isabel, une cousine au second degré de Sérgio, accepte d’apporter son témoignage. Le grand-père de Sérgio était le frère de sa grand-mère.  » Ses parents avaient des difficultés mais Sérgio était toujours souriant, il adorait jouer, sans grandes ambition ni prétention « , dit-elle.  » Aujourd’hui, lorsqu’il revient, il prend la peine de s’arrêter, de saluer tout le monde : les jeunes comme les vieux, les plus aisés comme les plus pauvres. Il ne vient jamais sans passer par le cimetière. Le décès de ses parents l’a beaucoup marqué. C’est d’abord sa s£ur aînée, Rosa, qui s’est occupée de lui, mais il s’est marié assez rapidement par la suite parce qu’il avait besoin de la stabilité d’un foyer. Je sais aussi qu’il aide beaucoup Suzana, sa s£ur cadette, qui travaille avec moi au jardin d’enfants. Elle a beaucoup de difficultés avec ses trois enfants, dont un est très malade. Le traitement coûte cher et c’est Sérgio qui assume. Dernièrement, lorsqu’il a baptisé son quatrième enfant, il est passé par chez elle pour apporter des nouveaux vêtements pour ses gamins aussi. Et c’est lui qui a financé les travaux dans la maison afin de la rendre habitable « .

Il lit tout ce qu’on écrit sur lui

La voiture d’Alvaro escalade la route qui mène à Santa Eufémia, un lieu-dit de quelques maisons qui surplombe toute la vallée. C’est là, dans un cul-de-sac perpendiculaire à la rue principale, qu’est né, le 15 novembre 1974, Paulo Sérgio Marceneiro da Conceição. Aujourd’hui, la maison parentale lui appartient, de même que celle contiguë, où vivent ses s£urs Franca et Suzana. Un peu timide, celle-ci ne s’exprime pas volontiers.  » Sérgio est mon frère et je l’aime beaucoup, comme tous les autres membres de la famille. Je suis fière de ce qu’il a réussi jusqu’ici. Mais si vous voulez plus de renseignements, vous devriez vous adresser à ma s£ur Rosa et à mon beau-frère, Manuel. Ce sont eux qui ont remplacé nos parents lorsqu’ils sont décédés. Mon père nous a quittés il y a 15 ans et ma mère, il y a 12 ans « .

Rosa (47 ans) et Manuel nous accueillent avec beaucoup de chaleur et un verre de vin de Porto.  » Mais avant de commencer à vous parler, je vais téléphoner à Sérgio, pour voir si je peux « , prévient Manuel, un ex-militaire de carrière qui connaît un peu la Belgique pour avoir fait un camp de para commandos à Marche-les-Dames et à Diest. Quelques minutes plus tard, Sérgio donne son feu vert, on peut entrer dans son intimité.

 » Excusez-moi d’avoir été un peu méfiant mais vous comprenez que c’est délicat « , dit encore Manuel.  » Notre famille est très unie, encore plus depuis le décès des parents de Sérgio et Rosa. Hormis la télévision portugaise, personne n’est jamais venu ici. Et puis, Sérgio se méfie un peu des journalistes. Et il lit tout ce qui s’écrit à son sujet. Si quelque chose sort dans un journal, même à l’autre bout du monde, il le sait dans l’heure « .

Alvaro éclate de rire :  » Et quand il s’énerve, mieux vaut s’éloigner car c’est un bouillant. L’autre jour, j’ai lu dans le journal qu’il avait jeté son brassard à terre. Je suis sûr qu’il a dû s’en vouloir 1.001 fois par la suite mais il est comme ça : il agit parfois avant de réfléchir « .

Manuel intervient :  » Cette histoire de brassard, il nous a juré que c’était un malentendu. Il a cherché où était le vice-capitaine mais celui-ci était à l’autre bout du terrain alors il a préféré laisser tomber le brassard. Sérgio est capable de s’énerver s’il assiste à quelque chose qu’il estime injuste mais là, il restait dix minutes à jouer et son équipe gagnait, pourquoi aurait-il agi de la sorte ? C’est justement cela qui l’énerve. En sélection aussi, on dit qu’il a manqué de discipline mais, l’autre jour, le sélectionneur brésilien Scolari a bien précisé qu’il n’avait eu des problèmes qu’avec Vitor Baia et João Pinto. D’ailleurs, Scolari et Sérgio se sont croisés récemment dans un hôtel et Scolari lui a dit affectueusement : – Alors Serginho, ça va ? Le problème, c’est que, du coup, Sérgio espère qu’il a encore une chance d’être repris en sélection et, si cela n’arrive pas, il va être déçu « .

Une jeunesse rude ponctuée par le décès des parents

Rosa ne veut pas qu’on dise de son petit frère qu’il est agressif. Jeune grand-mère, maman d’une fille de 26 ans et d’un garçon de 25, elle considère Sérgio comme son troisième enfant :  » Peut-être encore plus que les autres, tellement il a lutté. Rien ne lui a été épargné. Quand il avait sept ans, il allait aider mon père sur les chantiers. Nous n’avions pas de quoi manger tous les jours et ma mère faisait du porte-à-porte avec nous pour demander un peu d’argent ou de la nourriture. Notre famille nous méprisait, nous refusait son aide, mais nous étions dignes. Si Sérgio était malade, elle allait chez les gens demander de l’aide pour payer le médecin mais elle lui frottait les joues pour qu’il ait un peu de couleurs. Plus tard, elle est tombée malade et a dû se déplacer en chaise roulante. Je vois encore Sérgio sur les marches de l’église le jour de l’enterrement de mon père : il était aussi triste qu’un crapaud, ne voulait plus parler, plus jouer au football « .

C’était le 26 mars 1991, une pièce métallique s’est détachée d’un camion que le père de Sérgio suivait à moto et est venue se planter dans sa poitrine. La veille, Sérgio venait de signer au FC Porto.  » Son désespoir l’a poussé à puiser dans ce coup du sort une nouvelle énergie « , dit Rosa.  » Lui qui n’avait jamais rien dévoilé de ses ambitions s’est juré de réussir pour nos parents car c’étaient ses idoles. S’il rêve d’eux la nuit, il me téléphone pour me demander d’aller porter des fleurs au cimetière. Et il ne se déplace jamais sans une photo de maman qu’il dépose sur sa table de nuit. Chez lui, il a même aménagé un petit autel où il peut se recueillir car il est très chrétien. Et il n’entame jamais une saison de football sans se rendre en pèlerinage à Fatima « .

Il se révèle parmi les oliviers

C’est dans un champ d’oliviers, près du domicile de Rosa et Manuel, à quelques mètres de la maison parentale, que Sérgio a attiré l’attention des recruteurs.  » Un jour qu’il venait manger à la maison, mon père a vu que le gamin était doué et en a parlé à un oncle qui était cordonnier à Académica Coimbra « , explique Manuel.  » C’était le club des Docteurs, un cercle élitiste où il n’était pas facile d’entrer. Il fallait donc que Sérgio soit bon pour qu’on le garde. Et il était déjà très responsable : quand l’équipe montait sur le terrain, il comptait les joueurs pour voir si tout le monde était bien là. Il a toujours été un chef, un leader. D’ailleurs, pour Noël, c’est lui qui décide où on fait la fête. En Juniors, Porto est venu le chercher. Mon père n’était pas trop d’accord et Sérgio était plutôt supporter du Sporting mais on lui a promis monts et merveilles, y compris de pouvoir reprendre des études, lui qui avait quitté l’école à 12 ans. Ce ne fut évidemment jamais possible car, même en Juniors, les entraînements étaient poussés « .

Grâce au football, Sérgio Conceição est aujourd’hui un homme riche. Il a assuré l’avenir de sa progéniture mais n’oublie pas ses racines.  » Il a toujours eu un grand c£ur « , dit Rosa.  » A Académica, le peu d’argent qu’il gagnait, il le donnait à notre mère. Et aujourd’hui encore, si la motocyclette de mon beau-frère tombe en panne, il envoie mon mari chez le réparateur puis vient payer dès qu’il passe. Pour Noël, il avait invité les gamines de son jardinier à faire la fête avec nous. Bien sûr, il a bien gagné sa vie et peut se le permettre, mais une carrière est courte. Et à moi, ce qui m’a fait le plus plaisir, c’est quand il est venu exprès de Milan, en pleine semaine, me rendre visite à l’hôpital après une opération au ventre « . La larme à l’£il de Rosa en dit long : pour elle, Sérgio est un frère, un fils et un ami.

ANTONIO SOUSA

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