COCO LAPIN

Dans les bonnes choses à retenir de la saison du Standard, il n’y a pas que la victoire en Coupe. Il y a aussi l’éclosion d’un gamin de l’Académie.

On est début mars, on évoque longuement avec Marc Wilmots les prochaines échéances amicales des Diables, ses attentes pour l’EURO, la forme difficile d’EdenHazard, on glisse logiquement sur le terrain des blessures qui déciment notre défense. Et là, subitement, ça tilte ! Le coach lâche spontanément un nom auquel on ne s’attendait pas : Corentin Fiore. Il détaille :  » On a une des défenses les plus efficaces du monde. Normalement, je ne vais pas y toucher. Mais je n’ai pas de garanties, point de vue blessures. Si j’ai Vincent Kompany qui est out, si j’ai Thomas Vermaelen qui est indisponible, il faut bien que je pense à d’autres solutions. Pour le back gauche, j’ai des profils différents. Il y a Jordan Lukaku qui sort plus. Il y a Laurens De Bock qui reste plus derrière. Et il y a le tout jeune Corentin Fiore qui commence à faire ses armes. Je regarde tout le monde, je pense à des solutions à long terme. Il me plaît bien, Fiore.  » A ce moment-là, il n’a pas 20 matches de D1 dans les pattes mais ça lui suffit pour être dans les bons papiers de Willy. Formidable. Présentation.

Corentin Fiore, c’est Coco depuis toujours, dans sa famille et dans le foot. Un jour, au Standard, William Vainqueur a allongé son surnom en Coco Lapin. Il est né dans le Hainaut, et donc, tout logiquement, il se retrouve au Sporting de Charleroi. Il y passera huit saisons. Une anecdote en Zèbre racontée par son père, Vincent.  » Mon fils ne supporte pas l’injustice. Un jour, il joue un tournoi avec les U9 de Charleroi. C’est très important pour le Sporting parce que c’est organisé par l’Olympic. Le coach scinde le groupe en deux équipes et met Corentin dans l’équipe B pour qu’il tire les moins bons vers le haut. Mais c’est l’équipe B qui arrive en finale. Le coach veut absolument la gagner, et à ce moment-là, il remixe son noyau. Corentin n’est pas content, il ne veut pas que certains de ses coéquipiers du jour se retrouvent sur le banc. Et là, il balance son maillot au visage de l’entraîneur. Je suis là, je ne crois pas ce que je vois. On lui dit au Sporting qu’il va être viré mais finalement, tout s’arrange.  »

Charleroi et Coco, c’est une histoire d’amour qui finit mal. Toujours le père :  » Il s’est levé un dimanche et nous a annoncé d’un coup qu’il voulait quitter le Sporting. J’ai failli en avaler mon pain au chocolat de travers. Il en avait marre des mauvais terrains, de l’eau froide dans les douches, de certains entraîneurs.  »

GIORGIO CHIELLINI

Aujourd’hui, dans la maison des Fiore à Carnières, il n’y a plus aucune trace de ce passé rayé. Là-bas, on ne parle que de deux clubs : la Juventus et le Standard.

Explications, d’abord, sur la passion pour le géant turinois. C’est le club qui fait rêver toute la famille. La chambre de Corentin était tapissée de posters de joueurs italiens. Il y avait aussi le blason de la Juventus en format XXL.  » Il est supporter de la Juve depuis qu’il est tout petit et je n’y suis pas étranger « , dit le père. Les Fiore assistent à l’occasion à des matches en live, Corentin visionnait autrefois, en boucle, les coups francs d’AlessandroDel Piero. Aujourd’hui, c’est surtout Giorgio Chiellini qu’il kiffe. Le paternel lâche aussi que  » parfois, quand on regarde la Juve jouer, il me dit en rigolant que Chiellini vieillit et qu’il le remplacerait bien. Et ils se sont un jour rencontrés. On avait assisté à un match puis on s’est retrouvés par hasard dans le même restaurant.  »

Explications, ensuite, sur la passion pour le semi-géant liégeois. Corentin Fiore s’y retrouve à 15 ans. Il termine sa formation à l’Académie et chope rapidement l’accent local. Quand son père le conduit aux entraînements à Liège, Coco s’endort parfois dans la voiture. Et, systématiquement, il se réveille à l’approche de Sclessin. Puis, en passant devant le stade, il dit :  » Un jour, je veux jouer ici.  »

ESCLAVE

Son destin s’emballe quand Mircea Rednic l’invite au stage d’hiver en Turquie, début 2013. Il signe son premier contrat pro. Le Roumain le décrit comme le plus grand talent du centre de formation liégeois. Plus tard, il essaiera de l’attirer en Roumanie, d’abord à Ploiesti, ensuite au Dinamo Bucarest.  » Ça n’a pas fonctionné « , dit Rednic.  » Je trouvais pourtant qu’un prêt dans le championnat roumain aurait pu être une bonne chose pour lui puisqu’il ne jouait pas en Belgique. Il n’a pas eu envie de venir et sa direction n’a pas souhaité le laisser partir. Tant pis pour moi, tant mieux pour le Standard.  »

2013, toujours. Octobre. Les U19 belges reçoivent la France du supertalent Adrien Rabiot (aujourd’hui homme en vue du PSG). Gert Verheyen aligne Leander Dendoncker dans l’axe de sa défense et Divock Origi à la pointe de son attaque. Ce sont les deux grands noms de l’équipe. Quand c’est 0-1 pour les jeunes Bleus, les Belges héritent d’un coup franc bien placé. Ce n’est ni Dendoncker, ni Origi qui se présentent pour le botter, mais Corentin Fiore. Son envoi surmonte le mur : 1-1. Il devra encore attendre un an pour débuter en équipe Première du Standard mais il a une très bonne cote du côté de la Fédération.

Son malheur, c’est l’arrivée de Guy Luzon à Liège. Avec la triplette Roland Duchâtelet – Guy Luzon – Dudu Dahan, il n’est plus vraiment question de donner une chance aux jeunes du club. Place aux transferts exotiques, aux mercenaires, aux arrangements entre amis. Corentin Fiore paie au prix fort pour cette nouvelle politique. Luzon le maintient dans le noyau pro quand il doit faire le nombre, sans ça il le renvoie en Espoirs. Pire : on essaie de le baquer en D2, à Tubize. Son agent, Nenad Petrovic, reçoit un coup de fil de la direction. On l’informe que c’est réglé entre les clubs. Il faut faire de la place pour l’Israélien Tal Ben Haim dans la défense du Standard.

Petrovic explose.  » Tubize n’est pas une option. La direction a donné l’impression de se battre pour faire signer plusieurs jeunes, dont Corentin Fiore. On a fait confiance au projet. Ce qu’on voit aujourd’hui démontre qu’ils nous ont embarqués dans un jeu de dupes. Dans le discours, on vend du rêve aux jeunes. Dans les actes, on les envoie dans des clubs satellites qui, dixit Jean-François de Sart, n’ont pas le niveau d’exigence professionnelle suffisant pour qu’il y envoie son propre fils. Hors de question de caser mon joueur dans un club qui lutte pour ne pas descendre en D3 ou carrément pour ne pas disparaître.  »

L’agent ajoute :  » Quand ce ne sont plus les dirigeants mais les agents qui dirigent, c’est la fin du club à court terme. Alors que le Standard a une académie extraordinaire et d’excellents jeunes, on préfère intégrer des mercenaires. Qu’ils le disent honnêtement et qu’ils laissent les jeunes trouver eux-mêmes la meilleure solution pour leur avenir, plutôt que de vouloir leur imposer un club. Les jeunes ne sont pas des esclaves.  »

SERGIO BUSQUETS

 » Yannick Ferrera m’a dit que je devais un peu imiter Sergio Busquets. Je ne pense pas avoir les mêmes qualités que lui mais j’essaie de reproduire au mieux.  » Une confidence de Corentin Fiore qui n’est pas passée inaperçue. Explication.

Il a été formé comme défenseur central, et un jour, Yannick Ferrera a eu besoin de quelqu’un dans le milieu du jeu. Il a pensé à Coco. Aujourd’hui, c’est au back gauche qu’il s’est installé. Un choix logique, pour le coach.  » Quand Jelle Van Damme est parti aux Etats-Unis, j’ai dû choisir entre Darwin Andrade et lui. Je l’avais déjà testé à cette place plus tôt dans la saison, contre Malines, quand Van Damme était tombé malade peu de temps avant le match. Je m’étais dit : -Pourquoi pas ? Un jeune du club qui a la tête sur les épaules, il mérite une chance. Il s’était bien débrouillé. Et donc, j’ai décidé de lui refaire confiance au moment où Van Damme nous a quittés définitivement. Andrade est plus un défenseur latéral à la sud-américaine, plus offensif, il arpente plus facilement le flanc. Moi, à l’époque, je visais surtout une nouvelle stabilité défensive.  »

Fiore affichait deux lacunes pour tenir le poste sur le long terme : une pointe de vitesse à la limite et un manque d’agressivité.  » Ce n’est pas toujours une question de vitesse pure « , continue Yannick Ferrera.  » L’important, c’est de partir au bon moment, de bien coordonner les appels. La coordination est plus importante que la vitesse elle-même.  » Et pour ce qui est du manque d’agressivité…  » C’était un point qu’il devait absolument travailler. Il l’a fait. Aujourd’hui, il n’a plus peur d’aller au duel, il sait chercher le contact, il ose mettre des tampons quand il faut mettre des tampons ! J’en ai pas mal discuté avec lui, je l’ai convaincu que c’était indispensable s’il voulait progresser d’un cran. Je lui ai montré des images de défenseurs durs au contact, et d’autres qui ne l’étaient pas. Dans le premier cas, il a vu, en face, des attaquants qui avaient du mal. Dans le second, il a vu des avants qui se baladaient. Je crois que ça lui a ouvert les yeux. Il ne s’agit pas d’être agressif simplement pour être agressif. Ça doit être une agressivité contrôlée et efficace.  » Prochaine étape : apporter davantage sur le plan offensif.  » Il a un super pied gauche, une bonne qualité de passe, un bon centre, il doit y arriver.  »

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Je regarde tout le monde, je pense à des solutions à long terme. Il me plaît bien, Corentin Fiore.  » MARC WILMOTS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire