Cochons d’ambianceurs?

Bernard Jeunejean

Cochons de payants : ainsi se considéraient jadis les supporters, maugréant parce que le spectacle, et surtout les résultats, décevaient leurs espérances. Cochons de payants, ils l’étaient, puisque le budget de leur club reposait sur les recettes/guichets. Droits/TV, sponsoring, merchandising, subventions publiques ? Inconnus au bataillon, même les maillots étaient vierges de publicité ! Si les supporters avaient déserté les gradins, le pognon aurait déserté les caisses ! Relation sans équivoque : sifflets et huées lorsque les joueurs, dix fois plus friqués qu’eux, n’avaient pas mouillé le maillot ; menaces éphémères de désertion, avant que passion du foot et amour du club reprennent inexorablement le dessus. La colère, la vraie qui fait les yeux rouges et parfois la castagne, les acharnés d’alors la gardaient pour les arbitrages à la Barberan, et parfois pour ceux du camp d’en face : petites poussées hooliganes externes…

Le rapport a changé. Le supporter contemporain n’est qu’un paramètre financier parmi d’autres, il n’est plus la pierre angulaire du budget. Et curieusement, il vitupère plus qu’hier sur la gestion sportivo-financière : structurés en clubs pour la gloire de leur club, les supporters se sont octroyé une hiérarchie, des leaders qui argumentent, mobilisent, construisent la contestation quand les résultats foirent ! Mais ce paradoxe n’est qu’apparent, la légitimité des supporters s’est seulement déplacée. Joueurs, entraîneurs et dirigeants ont la bougeotte, eux pas ! Le vrai supporter ne demande jamais son transfert : aussi est-il désormais sans concurrence pour s’instituer âme du club, et c’est vrai qu’il l’est ! Peut-être pourrait-on se passer de son fric, mais pas de sa présence : on lui demande le bruit, l’enthousiasme, le feu, l’ambiance, sans lesquels le stade serait cimetière et les joueurs zombis. Il reste donc indispensable : à défaut d’être encore cochon de payant exclusif, il se sait cochon d’ambianceur et c’est pour cela qu’il veut son mot à dire ! Comment ne pas le comprendre ?

Si la légitimité des supporters s’est déplacée, leur colère aussi et c’est plus intriguant. Le prix des places a augmenté, les joueurs sont maintenant cent fois plus friqués, ils ne sont pourtant plus les premières têtes de Turc ; dans la défaite, les huées ne stigmatisent plus guère les maillots non mouillés. Même l’accusation d’incompétence tactique du coach de service devient accessoire : les supporters passent prioritairement leur colère sur celui qui tient les cordons de la bourse, même si c’est sa bourse ! Colère réelle, menaces physiques parfois réelles aussi : petites poussées hooliganes désormais internes…

Phénomène fréquent mais, vous l’aurez deviné, c’est le sort réservé à Roland Duchâtelet qui me fait ici fumer du ciboulot. L’actuel haro, la vindicte flingueuse généralisée me mettent mal à l’aise. Je n’arrive pas (encore) à croire que le gars soit à la fois vénal, idiot, têtu, non-footeux, davantage que moult autres capitaines d’industries investissant le foot… Okay, bizarre qu’il n’ait pas prolongé Mircea Rednic : mais qu’aurait coûté une revalorisation de contrat, comparée à ce que coûtera l’énigmatique Guy Luzon, y compris s’il faut le virer ? Rapport qualité/prix, qui sait si Luzon ne sera pas un autre Yannick Ferrera ? Si Mircea était resté, va savoir si n’auraient pas débarqué d’autres Adrian Cristea et Marius Tucudean ! D’accord, Duchâtelet recrute de l’illustre inconnu, en l’occurrence nippon vu son business, mais le kinder-surprise peut tout aussi bien venir d’Asie, non ? William Vainqueur et Imoh Ezekiel n’étaient pas non plus des pointures à leur arrivée…

Cool avec Duduche, les Rouches, peace même sans love ! Encore une saison de patience/crédit, il a promis de se tailler sans casse si elle foirait ! Et si vraiment 2013-14 s’avérait pitoyable, mieux vaut déserter pour un temps que castagner dans la durée : ce n’est pas parce qu’on s’abstient de présence supporteresse qu’on cesse d’aimer son équipe et qu’on devient supporter de la victoire ! A moins qu’on soit tous comme ça : suffit de regarder la hausse d’engouement pour nos Diables… à présent qu’ils gagnent !

Bernard Jeunejean

Le vrai supporter ne demande jamais son transfert. La véritable âme du club, c’est lui.

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