COACHER, c’est quoi ?

J’ai apprécié l’interview récente de Fabio Capello. Selon le coach de la Juve, une meilleure équipe se distingue tout simplement d’une moins bonne par la qualité des joueurs : bien choisir ceux-ci prime donc tout. Et en regard de ce premier paramètre, l’apport tactique de l’entraîneur ou du préparateur physique ont une importance secondaire : pas nulle, mais secondaire !

 » Un entraîneur ne devrait pas perdre ça de vue quand il a du succès « , remarquait Capello dans Sport/Foot Mag. Capello a raison. Caricaturalement dit, si tu inversais demain Trond Sollied et Gilbert Bodart, et même en partant du présupposé (à vérifier) que le premier a plus de métier (qu’il est théoriquement plus compétent), ça ne ferait peut-être en mai 2005 que 5 ou 6 points de moins pour Bruges et 5 ou 6 de plus pour Ostende : ce qui peut certes faire louper un titre ou éviter une descente, mais ce qui n’est quand même pas un gros apport mathématique… Le tort de l’entraîneur en plein boom est de laisser voluptueusement les médias le transformer en Prix Nobel de Tactique, au lieu de la jouer lucide donc modeste. Car si c’est l’entraîneur qui fait monter l’équipe, c’est aussi lui qui la fait descendre. S’il déclare n’y être pour rien dans les erreurs individuelles, il n’y est pour rien non plus dans les exploits individuels !

Si les exploits sont collectifs grâce aux automatismes que son génie a su faire naître, les faillites collectives sont alors dues à la vacuité de son génie. En fait, l’entraîneur sain dans un corps sain, à écouter Capello, ne doit pas vouloir le beurre et l’argent du beurre. Il doit tout à la fois moins pavoiser et moins culpabiliser : bosser et laisser dire.

Et s’en remettre au sort… surtout quand les kings rencontrent les kings ! Car quand les stars de Capello ou de José Mourinho affrontent celles de Felix Magath, de FrankRijkaard ou d’ Arsène Wenger, l’influence du coaching sur le résultat est encore plus ténue qu’ailleurs. Qualitativement, tous se valent au top. Et tous savent que l’issue basculera sur un détail qui, souvent, ne dépendra guère d’eux : un poteau rentrant ou une latte sortante, une frappe déviée aboutissant là où il faut plutôt qu’où il ne faut pas… Au mieux, ça basculera sur une seule petite gaffe bien réelle, une approximation technique rare à pareil niveau : elle aura au moins le mérite d’interdire aux perdants de se sentir victimes du destin ! Au pire, le destin déchirant deviendra injustice odieuse en s’incarnant dans un arbitrage défavorable, c’est-à-dire discutable à l’infini : le referee a sifflé ceci et aurait pu ne pas le faire, il n’a pas sifflé cela et aurait pu… C’est ici que j’ajoute mon grain de sel à la remarque de Capello : quand un match est serré, le pouvoir de l’infléchir réside infiniment plus dans l’éventail législatif de l’arbitre que dans l’éventail tactique de l’entraîneur ! ça me cloue de douleur de devoir le constater, mais j’en suis convaincu.

A partir de là, vous comprendrez que les diplômes d’entraîneur me font sourire : autant il est important que les gosses aient des éducateurs formés pédagogiquement, et dotés de l’élémentaire bagage technique  » pour montrer « , autant il est superflu d’exiger un diplôme pour coacher des adultes, qu’ils soient amateurs ou professionnels : et je soutiens le combat de Manu Ferrera, lorsqu’il dit que la licence pro ne fait que s’acheter cher ! En fait, à la double condition de savoir détecter ses points faibles et vouloir les corriger, c’est kif comme joueur et comme entraîneur : seuls le temps et l’expérience font progresser !

C’est ici que je pose la question qui tue : s’il faut des examens et un diplôme pour coacher en seniors sous prétexte de protéger une profession et de cautionner une compétence, pourquoi pas la même mesure pour pouvoir JOUER en Seniors ? Vous imaginez les Vincent Kompany de demain maintenus en Juniors, parce qu’ils se sont fait péter aux examens ou parce qu’ils n’ont pas le fric pour le minerval ? Grotesque.

par Bernard Jeunejean

Le tort de l’entraîneur en plein boom est de se laisser transformer en PRIX NOBEL DE TACTIQUE

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