Coach à huis clos?

Bernard Jeunejean

Je n’ai rien contre les supporters de la victoire : ils suivent l’équipe lorsqu’elle a le vent en poupe, et s’en réjouissent alors sincèrement. En fait, ce sont des amateurs de spectacle et d’ambiances festives, qui ne viennent pas au foot pour s’y faire du mauvais sang : si le spectacle est moche ou si l’ambiance est morne, ils préfèrent s’en aller voir ailleurs si le foot n’y est pas! Et s’il y est, légers et volages, ils « reprennent parti » ailleurs, et momentanément : mais ce sont peut-être eux les Sages, le foot n’ayant pas été inventé pour s’y ramasser du mouron. Restent les vrais supporters, ceux qu’on dit « fidèles » parce qu’ils sont réguliers contre vents et marées. En fait, aux deux extrêmes de cette gamme, il y a les vrais fidèles et les vrais emmerdeurs. Les premiers sont ceux qui consolent plus qu’ils n’engueulent, qui pleurent plus qu’ils ne râlent : qui n’en pensent parfois pas moins, mais préfèrent se taire qu’asséner des jugements et des condamnations. Ce sont des pacifiques et mes préférés.

A l’autre extrême (notez l’expression, je viens de l’enfanter), il y a les « supporters de la défaite ». Ouais, ils existent, je les ai rencontrés : ce sont ceux qui se sentent mal quand tout va bien. Corollaire, il faut que ça aille mal pour qu’ils se sentent bien, ils ont BESOIN que leur équipe PERDE. Ils peuvent alors refaire le monde et le onze, médire et enfoncer, huer ou calomnier : c’est alors qu’ils vivent pleinement. Chacun son trip, me direz-vous! N’empêche que quand tu entraînes, et vu que la fonction première de l’entraîneur de foot est de focaliser les mécontentements, ces supporters-là te cassent au minimum les épididymes! La saison dernière, quand l’équipe était 15e au classement et qu’ils s’en donnaient à coeur joie, j’étais déjà persuadé qu’ils vitupéreraient tout pareil si l’équipe loupait le titre de justesse en ne terminant que 2e. J’avais raison. Cette saison, nous sommes champions en ayant sans cesse occupé la 1ère place, et un de leurs cancans récurrents a été de se demander ceci : « Que va-t-on bien pouvoir aller faire l’année prochaine à l’étage supérieur avec une équipe pareille? ».

Quand tu es joueur, ma foi, tu peux encore croire aveuglément à toutes ces valeurs que le foot (paraît-il) véhicule : la solidarité, l’amitié, la bonté et autres curetonneries. Mais si tu t’aventures quelques années à jouer l’entraîneur, c’est comme si les supporters de la défaite te sliding-tacklaient hors de ton nuage pour te déniaiser. Au pire, tu finis par te dire que la méchanceté intrinsèque existe. Au mieux, tu balances aux orties le leurre de la grande fraternité footeuse : l’humble réalité est que tu croises au sein de ton groupe des gens extraordinaires que tu apprends à apprécier, et tout autant alentour de ce groupe des gens pas extraordinaires que tu apprends à ne plus savoir piffer. C’est simple comme la vie.

Nous sommes champions et j’ai l’air morose? Non. Je suis heureux et vanné, normal, tu décompresses toujours après pareille issue. Heureux d’avoir vécu trois ans avec des joueurs par rapport auxquels il n’y a nullement cette usure du pouvoir, l’expression est doublement imbécile : parce qu’il n’y a pas d’usure entre nous, et parce que notre rapport n’a jamais été un rapport de pouvoir! En dix ans de coaching provincial, je me suis toujours senti bien avec les joueurs. Le bonheur que j’ai de décrocher un titre avec ceux-ci, j’aurais voulu le connaître avec bien d’autres auxquels je repense en pareille circonstance : et je leur dédie! Mais sans blague, ce que je rêve d’être, c’est entraîneur à huis clos : être le coach d’une équipe sans supporter! Jouer des matches qu’on crève d’envie de gagner, qui sont importantissimes à nos yeux, mais sans un quidam autour du ground! Car si usure il y a, c’est bien celle de ma faculté d’écraser face aux supporters de la défaite : alors, quand tu ne peux plus les voir en peinture, tu vas voir ailleurs s’ils sont identiques. Même si tu connais déjà la réponse.

Bernard Jeunejean

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