CLUB MAUDIT ?

Les Loups sont depuis des décennies au centre des problèmes les plus graves.

« Ce n’est pas Dieu qui a inventé la poudre ; ce sont les Chinois  » : c’est signé Achille Chavée, poète et figure emblématique du surréalisme belge. Avec ses mots corrosifs, ce poète du Centre, qui vécut de 1906 à 1969, se serait élevé contre ce qui se passe aujourd’hui au Tivoli. Après avoir combattu Franco lors de la Guerre d’Espagne en 1936 et échappé aux Nazis juste après, il fonda le groupe Cobra en 1948. Homme de lettres, il aurait usé pas mal de plumes afin de dénoncer, avec émotion et dérision, les dérives qui martyrisent actuellement La Louvière. Il se qualifiait de  » vieux peau-rouge qui ne marchera jamais en file indienne  » et était sûr que la Wallonie resterait  » terre de révolte et de poésie, terre surréaliste « .

Ces phrases d’hier demeurent d’actualité. Révolte, poésie, surréalisme : ce sont les couleurs qui prédominent dans les tableaux de l’histoire de la RAAL, le club de football-phare d’un coin du Hainaut qui a connu la prospérité et ses heures de gloire économique. Les usines et les charbonnages ont tatoué ses paysages, façonnant le caractère des hommes qui ont conquis tous les marchés et les continents.

A la fin des années 60, les Loups montrent l’exemple alors que leurs supporters vivent les affres d’une crise économique qui élimine massivement les emplois, plonge toute une région dans le doute, mine le tissu social, politique, associatif et même culturel. A un moment, le Tivoli et le carnaval sont les seuls éclats de lumière du Centre. Les Loups montrent les crocs et il n’est pas rare de voir 10.000 supporters chez eux. Ils proposent leur folklore, leur joie de vivre, leur désir de croire en l’avenir, leurs fanfares, leurs gilles.

La D1 en 1976 avec Charles Yernaux

La D1 leur tend les bras en 1975 : Charles Yernaux est alors assis dans le fauteuil présidentiel. Il a fait fortune dans le bâtiment. L’homme a utilisé toute son huile de bras afin de s’élever dans la société. En conférence de presse, il dit de lui-même :  » Je suis un un self bad man « . Son anglais était-il approximatif… ou très précis ? Le football sera sa danseuse, son porte-voix et sa campagne de pub qui lui permet de susciter l’admiration, le respect et la reconnaissance générale. Parti de rien, il acquiert une aura qui jusqu’alors n’appartenait qu’aux grandes familles bourgeoises comme les Boël qui possédaient des entrées dans les plus hautes sphères décisionnelles belges.

Sa Cour à lui, c’est le football, et le Tivoli est son palais. Mais il ne tient pas le cap. Rêvait-il d’horizons trop lointains pour lui ou était-il tout simplement à son apogée d’où il ne pouvait plus entrevoir les développements de la société ? Et était-il dans le foot pour obtenir des marchés grâce à sa présence dans le sport ou désirait-il tout simplement partager une partie de ses acquis avec des gens dont il connaît le langage ?

 » C’était en tout cas un brave homme « , nous a dit un ancien joueur préférant garder l’anonymat.  » Mais c’est un fait qu’il n’y connaissait rien en football. Charles Yernaux était un supporter et il dirigeait son club comme il faisait avec ses équipes d’ouvriers. On se crache dans les mains et on y va. C’était chaleureux, bon enfant et j’aimais ce côté rustique, familial mais dépassé et amateur dans la gestion des hommes. Au Racing Malines, en D2, il se présenta dans le vestiaire avant le coup d’envoi. C’était un match important et il prit la parole après le coach : -Messieurs, je vous devine très nerveux. Alors, pour vous détendre avant le début du match, voici une bonne bouteille de vin blanc. A votre santé. Il y avait quelques sérieux soiffards ayant toujours le gosier en pente et je ne suis pas sûr que tous les joueurs aient pu goûter ce vin… A la fin du mois, je n’ai jamais eu de problème : Charles Yernaux m’a toujours payé mon salaire. Les joueurs en avaient besoin. Ils étaient presque tous sponsors de l’un ou l’autre bistrot … « .

La légende raconte que le président avait des méthodes de recrutement bien à lui. Sa fille collectionnait les célèbres figurines Panini et, au hasard d’un album, elle s’intéressa à Jean Cornélis, l’ancien arrière gauche de légende d’Anderlecht :  » Tiens, Papa, ce serait un bon transfert pour nous « . Charles Yernaux trouva l’idée excellente et contacta l’excellent technicien mauve (19 fois international, auteur d’un but de légende le 21 octobre 1964 face à l’Angleterre à Wembley : 2-2) qui joua aussi à Beveren et au Crossing. Surnommé le Baron, Cornélis marqua l’histoire du club en tant qu’entraîneur.

Un football académique et puis…

 » Je ne garde que de grands souvenirs de cette époque « , égrène Patrick Gorez.  » Cornélis avait coulé des jeunes du cru ou de la région, des anciens et de bons étrangers dans un même moule : Hubert Stassin, Guy Verbist, Hubert Cordiez, Gildo Foda, Helmut Graf, Djuro Sorgic, Freddy Rombaut, etc. Je suis passé de la D3 à la D1 tout en terminant mes études. Si j’ai pu réussir un belle petite carrière pro, c’est aussi grâce à lui et à un de ses successeurs : Léon Semmeling « .

Le 16 août 1975, devant 15.000 spectateurs, La Louvière perd le premier match de son histoire en D1 : 0-1 contre l’Antwerp. Quatre jours plus tard, toujours au Tivoli, les Loups gagnent leur premier point face à Anderlecht (1-1, but de Peter Ressel et égalisation par Foda). La Louvière réalise encore un nul au Sporting Charleroi (0-0) et à l’AS Ostende avant de rentrer dans le rang. Le vent tourne et la direction panique. Elle fait appel à un magicien du football belge : Jef Jurion. Mister Europe (ex-Anderlecht, Gand, Lokeren, deux Souliers d’Or en 1957 et 1962, 64 sélections internationales, neuf titres de champion de Belgique) est un madré.

Il vendrait une mule au prix d’un vainqueur du Prix d’Amérique au propriétaire de la plus célèbre des écuries. Jurion, c’est le talent, le passé, la gloire et la tchatche. Il sait tout, voit tout, pense à… tout. Cornélis est aiguillé vers le poste de directeur technique et la porte de sortie. Jurion est le seul maître à bord. Yernaux est content : son équipe remonte au classement général. Mais il y a eu beaucoup de rencontres étranges, secrètes, en catimini, près des gares, dans des restoroutes. On y bricole des matches. Yernaux ne s’inquiète pas. Football et construction : les commissions, enveloppes et autres bakchichs y font partie des mauvaises habitudes. Un des renforts de La Louvière montre sa dernière feuille de paye dans un grand club où on a ajouté la note suivante H-8.000 francs. La somme est destinée à l’entraîneur d’un autre club de D1 chargé de battre à tout prix un adversaire. Le 7 avril 1976, la RAAL fait match nul au Standard : 2-2. C’est fait via deux arrangements individuels. Un par Jurion et l’autre par le club. A noter : un des deux Liégeois a eu trop peur de demander sa part !

Les Loups n’étaient donc pas honnêtes non plus : ils avaient par exemple acheté un match du tour final de D2 au VG Ostende en fin de saison 74-75 pour monter en D1. Avant Jurion… Les Côtiers eurent même droit au champagne quand les Loups obtinrent le droit de jouer en D1.

Et en 1977, après Jurion, la Louvière a corrompu l’Union Saint-Gilloise lors d’un autre tour final de D2 : 20.000 francs par tête de pipe.  » Tu ne payeras que pour les 11 titulaires « , avait dit Yernaux à un courrier qui eut droit à une prime de 5.000 francs.

… le 11 avril 1976, drame de la corruption

Mais un vrai drame se joue le 11 avril 1976. La veille, devant le stade d’Anderlecht, Jurion est pris la main dans le sac alors qu’il remet une enveloppe à un joueur de Berchem que La Louvière doit rencontrer le lendemain. Il a été pisté par des enquêteurs de l’Union Belge équipés de puissantes jumelles.

Une semaine plus tard, le football belge est en ébullition.  » J’ai pris part à ce match « , se souvient Gorez.  » Je ne me doutais de rien et je peux vous dire que ce fut un affrontement terrible. Berchem a été très dur dans les duels et le public fut plus que vindicatif. Ils étaient peut-être au courant de ce qui s’était passé la veille, nous pas. Nous avons méritoirement gagné 1-2 « . Le résultat sera maintenu. Horst Witzler termine la saison à la place de Jurion mais la Louvière est reléguée en D2.

 » C’est à ce moment-là que je suis arrivé au Tivoli « , raconte Guy Dardenne.  » C’était la chance de ma vie. Roger Petit ne voulait plus de moi à Sclessin. J’ai été échangé avec Gigi Govaert contre Helmut Graf. J’ai trouvé chaussure à mon pied. Semmeling livra un travail de toute beauté. Je me sentais chez moi et même si le club était parfois géré comme en Provinciales, nous jouions très bien au football. Yernaux organisait parfois des réunions de crise. Il voulait avoir notre avis mais pouvait être sec : -Toi, tu te tais, tu ne joues pas. J’ai écopé d’amendes pour avoir traîné à la buvette avec des supporters mais il ne me les réclamait jamais. Après une défaite, il pouvait se fâcher avant de nous emmener faire un tour au Bal du Bourgmestre. Je suis resté deux ans en D1 avec les Loups et j’ai eu la chance d’être leur premier Diable Rouge. C’était mon cadeau pour eux. Je n’oublierai jamais cette ambiance « .

La suite est moins drôle. La Louvière s’enfonce, est déclarée en faillite en 1985. Charles Yernaux a perdu une bonne partie de sa fortune.  » Ce fut terrible « , souligne André Gorez, une figure importante du football à La Louvière.  » Cela a déclenché des drames. Les banques ont fait payer tous ceux qui s’étaient portés garants de l’un ou l’autre prêt contracté par la RAAL. On dit que certains ont même dû vendre leur maison « .

Une de ces personnes témoigne :  » Je m’étais avancé pour une somme de 600.000 francs. A l’heure actuelle, cela doit correspondre à 250.000 euros. Ma femme n’était pas au courant. Mais je vous laisse, Monsieur, ma femme est là et j’ai des amis à la maison. Oui, oui, on en parlera une autre fois « .

Palmieri vend le club à Gaone en 1991 : 4,5 millions de francs

André Gorez :  » Cette région est formidable mais elle a longtemps été insouciante. Elle a cru que sa richesse économique serait éternelle. La Louvière, c’est une ville de carnavals. Elle a oublié de préparer l’avenir « . Après l’ère Yernaux, il y eut quelques présences très colorées. Christian Leroy, un bijoutier, venait au stade au volant de sa Rolls Royce immatriculée en Suisse et il lui arriva de payer un de ses entraîneurs avec deux lingots d’or.

Pietro Palmieri fut un dirigeant bien plus sérieux en D3. Ce très gros importateur de fruits et légumes, aujourd’hui à la retraite, redressa le club :  » Moi, quand j’ai un franc, je n’en dépense pas deux. Je ne suis pas du style à acheter une grosse villa avant de réussir dans les affaires. J’étais un gestionnaire. Quand j’ai repris La Louvière, elle avait un déficit de 4,5 millions de francs belges. J’ai ramené cela à zéro. Mais, à un moment, je me suis rendu compte que l’entourage ne me convenait plus. Tout le monde voulait se mêler de tout. Moi, j’ai toujours dirigé et assumé mes décisions. Alors, j’ai vendu La Louvière, un club sans un centime de dettes, à Filippo Gaone. Il m’a donné 4,5 millions de francs belges pour cette affaire. Ensuite, je n’ai plus jamais remis les pieds dans un club « .

PIERRE BILIC ET PIERRE DANVOYE

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