Clijstersville

Une plongée à Bree, dans l’univers qui a vu grandir la petite Kim.

Il fait bon se promener dans le centre de Bree, en semaine. La bourgade, sise au nord du Limbourg, à un jet de pierre des Pays-Bas, fait manifestement la part belle aux terrasses. Au kiosque du centre, des affiches pour le bal du bourgmestre. Comme tant d’autres événements majeurs, il aura lieu au centre sportif.

Bree doit sa réputation aux sports annexes. Ici, le roi football ne joue que les seconds rôles. Bree a terminé deuxième en P1, ratant de peu la montée en Promotion. Mais la ville n’a pas besoin du ballon rond pour se baptiser, sur son site Internet officiel, port d’attache de l’élite sportive internationale. Le hall omnisports rénové accueille les matches à domicile du club de basket, pensionnaire de D1, ainsi que les joutes européennes de Maaseik, le club de volley, implanté à 11 kilomètres d’ici. Récemment, la salle a affiché comble en un rien de temps pour la Fed Cup, le pendant féminin de la Coupe Davis. La présence de Kim Clijsters, ambassadrice sportive officielle de la ville de Bree, n’était évidemment pas étrangère à cet engouement.

Il y a quelques semaines, quand les 14.000 âmes de Bree se sont pressées sur la grand-place pour applaudir Kim, au balcon de l’hôtel de ville, la pharmacie a décoré sa vitrine de balles de tennis. Elles y sont toujours. Aujourd’hui, le parking de la maison communale est désert. Personne n’admire sa belle fontaine. Rien n’est encore prévu pour Wimbledon, nous assure la responsable de l’office du tourisme :  » Nous nous y prenons généralement à la dernière minute « .

Bree est fière de son présent comme de son passé. Cette ville figure dans des écrits datant de 1078. Elle est la première des cités limbourgeoises. La documentation ne manque pas, à l’intention des touristes. Il n’y a pas encore d’Avenue Clijsters mais beaucoup de passants demandent où se trouve la maison de la famille de Kim, d’après la responsable du tourisme, qui nous offre une photo signée par la joueuse :  » Elle est vraiment signée, Monsieur, ce n’est pas une copie. Kim en a apporté un paquet elle-même, la semaine dernière « . Elle désigne une vingtaine de photos :  » C’est tout ce qui reste. Ça part vite « .

 » En deux mots ? Pugnace et jouette  »

A cinq kilomètres du centre, en direction de Maaseik, Opitter est en plein écrin de verdure. Opitter est une des sept communes du grand Bree. L’église et le moulin sont les fiertés de ce tout petit village. Il y a quelques années, Pier Janssen, le héros de Waterschei qui avait éliminé le PSG de la Coupe d’Europe, habitait ici. Plus tard, il a porté le maillot d’Anderlecht et de Lokeren, puis il a entraîné Genk tout en étant échevin de Bree. Maintenant, les passants auxquels nous nous adressons doivent réfléchir pour savoir ce qu’il fait.

Opitter est devenu Clijstersville. Avons-nous déjà vu la maison qu’elle fait construire, à une centaine de mètres du domicile parental, demande une habitante des lieux ?

Kim a frappé ses premières balles sur le terrain que Lei a fait aménager en 1988, quand il a remporté le Soulier d’Or. Cette année-là, il a aussi gagné avec Malines la finale de la Coupe des Vainqueurs de Coupes contre l’Ajax. Kim a avoué plus tard, lors d’une interview, que l’événement ne l’avait pas passionnée :  » En quoi m’intéressait le FC Malines ? Quand Papa jouait le soir, nous devions faire la sieste l’après-midi. Ce n’était pas marrant. J’étais supporter de Philippe Albert. Comparé à lui, Papa était un footballeur très banal. Mais le jour où il a gagné le Soulier d’Or a été chouette. Un boulanger nous a offert un soulier en massepain. Je l’ai presque dévoré toute seule « .

Elle n’a jamais songé à la gymnastique, le sport de sa mère, Els.  » Maman n’avait pas vraiment envie que nous suivions sa voie. Victime de problèmes de dos, elle avait été contrainte d’arrêter et elle voulait épargner ces misères à ses filles « . Ce serait donc le tennis. Pas à Opitter mais à 25 kilomètres plus au sud. Un jour, Lei est entré au club dénommé Tennisdel. C’est ici que Kim a pris ses premières leçons, en toute discrétion. La famille continue à attacher beaucoup d’importance à sa quiétude, comme nous l’avons expérimenté la semaine dernière. Quand notre photographe, de loin, a voulu prendre une vue d’ensemble du club, une joueuse a foncé sur nous, furieuse. N’était-ce pas Elke Clijsters, la s£ur de Kim ? Elle voulait savoir ce que le photographe venait faire là. En tout cas, pas de photo d’elle, promis !

Kim avait cinq ans et demi quand Lei l’a confiée à un professeur de tennis, Bart Van Kerckhoven. Il fut son premier entraîneur. Il a travaillé cinq ans avec elle au Tennisdel, mais il n’estime pas être à l’origine de la carrière de Kim.  » Elle serait allée aussi loin avec un autre entraîneur, vous savez. Mon plus grand mérite ? Apparemment de n’avoir pas abîmé son talent « .

Kim se distinguait tellement dans les séances collectives qu’elle a rapidement bénéficié de cours privés.  » J’ai décelé l’étendue de son talent « , explique Van Kerckhoven,  » mais ce n’est qu’au bout d’un an que j’ai vu qu’elle avait des possibilités encore plus étendues que je ne l’imaginais. Ce qui m’a frappé, c’est son sens de la balle. Elle la plaçait juste, elle anticipait bien, elle sentait quand la balle allait retomber en profondeur ou juste derrière le filet. Très peu de filles de sept ans sont capables d’estimer une trajectoire avec une telle précision « . Kim frappait déjà fort.  » Elle était déjà solidement bâtie. Certains entraîneurs estimaient qu’elle ne devait pas frapper aussi fort mais ça ne me gênait pas. Un pourcentage élevé de ces balles frappées avec force arrivait entre les lignes.

Elle était incroyablement motivée. Elle voulait tout le temps être sur le court. Il fallait presque la traîner dehors. Et elle comprenait tout très vite. Quand je lui disais qu’elle devait placer son pied gauche un rien plus à l’intérieur, il ne lui fallait pas deux jours pour s’exécuter. Elle aimait apprendre, et travailler avec elle était facile. Si je dois résumer Kim en deux mots, je dirais : pugnace et jouette « . Parfois de mauvaise humeur ? Van Kerckhoven rit :  » Il est normal qu’elle jette sa raquette de temps en temps. Le contraire serait illogique, en fait. Tout le monde a des moments de frustration « .

Dès 1996, on parle de Kim et moins de Lei

Il n’a pas fallu longtemps pour que l’aile flamande de la fédération de tennis apprenne qu’un grand talent était né dans le Limbourg. Van Kerckhoven y était entraîneur. Il confirme le récit du directeur technique, Ivo Van Aken, qui répète souvent :  » Je me souviens, de retour d’un tournoi dans le Limbourg, avoir dit à ma femme : -Aujourd’hui, j’ai vu une enfant surdouée. Elle s’appelle Kim. Elle n’avait que six ans mais deux phases d’avance sur les enfants de sa génération. A cette époque, j’ai entendu les mêmes rumeurs quant à une Wallonne, Henin « .

Au bout de cinq ans, Kim a rejoint Diest. Van Kerckhoven :  » Je travaillais à temps partiel au secrétariat du club de golf de Genk, où je suis maintenant employé à temps plein. Je ne pouvais donc pas m’occuper d’elle autant qu’il l’aurait fallu ni l’accompagner sur les tournois « . A Diest, Kim Clijsters a été suivie presque à temps plein par Ben Vanhoudt, le père du tennisman professionnel Tom Vanhoudt. Lui aussi a remarqué sa musculature spectaculaire :  » Elle ne ménageait pas ses efforts. Elle frappait presque aussi fort que mon fils « .

Un article du journal flamand Het Volk, en juin 1996 (Kim a alors 13 ans) parle déjà du  » plus grand talent tennistique de Belgique « . Kim vient de battre une Liégeoise de 18 ans et elle est la plus jeune Belge de tous les temps à avoir gagné un tournoi de ce niveau. Son père est entraîneur de La Gantoise et toujours le membre le plus célèbre de la famille, mais les rôles commencent doucement à s’inverser. Deux ans plus tard, le magazine Play Tennis le prévoit :  » Etre la fille de Lei ne la dérange pas. Kim est en train de prouver qu’à l’avenir, on parlera de plus en plus de Kim Clijsters et que son père sera sur la touche, comme c’est déjà le cas en football « …

Ce qui la rend si bonne, selon son ancien entraîneur, Carl Maes, interrogé en août 1998, c’est qu’elle joue sur sa puissance.  » C’est le reflet de sa personnalité. Kim est dominante, à tous points de vue. Elle a la rage de vaincre. Même quand elle joue à un jeu de société ou qu’elle discute. Elle veut toujours s’imposer. Et quand elle se balade avec des copines, vous ne la verrez jamais traîner en arrière « .

En août 1998, elle est championne de Belgique, à l’âge de 15 ans. Frans Verstockt, un journaliste, décrit son jeu :  » C’est un tennis moderne et agressif. Quel tempo dans les matches de cette joueuse athlétique ! Elle émarge à l’élite mondiale dans sa catégorie d’âge mais heureusement, on n’en remarque rien en dehors du terrain. C’est une adolescente modeste et gaie « .

Un mois plus tard, Kim entame sa quatrième année d’humanités à Wilrijk, dans un sport-études, mais elle n’achèvera pas ses humanités comme elle le voulait. L’année 1999 est celle de son éclosion, dès sa première saison sur le circuit professionnel. Elle a 16 ans et trois mois quand elle remporte son premier tournoi pro, au Luxembourg. A Wimbledon, alors qu’elle est 195e mondiale, elle passe le cap difficile des qualifications pour affronter son idole, Steffi Graf, au troisième tour. Elle savoure le moment mais pas l’intérêt de la presse, qui se rue sur elle, pour la première fois.  » Ça fait partie du boulot « , explique-t-elle,  » mais je n’aime pas ça. Je m’amuse sur le terrain mais une bonne performance ne signifie pas que d’un coup, j’ai un avis sur tout « .

Kim oublie d’encaisser ses primes !

Dans sa tête aussi, Wimbledon est un moment charnière. En avril 2000, elle annonce qu’elle arrête ses études.  » Depuis Wimbledon, je sais ce que je veux « . Ce choix n’a pas surpris Ivo Van Aken.  » Si elle ne souffre pas de graves blessures, il y a 99 % de chances qu’elle atteigne l’élite absolue. Elle a été si bonne dans chaque catégorie d’âge qu’elle a toujours changé de groupe avec deux ans d’avance. Et chaque fois, elle franchissait ce cap sans le moindre problème « .

 » Van Aken peut la voir dans le Top 10 si ça lui plaît « , rétorque Lei.  » Si, demain, elle est battue par la 900e joueuse du monde… Le jour où elle ne s’amusera plus, elle pourra arrêter, pour moi. Personne n’a à se mêler de ça. C’est l’avantage d’un sport individuel : vous ne devez rien à personne. Elle n’est responsable que d’elle-même. Si Kim ne fait pas son boulot, elle n’a pas de revenus « .

En 1999 et 2000, Kim passe de la 407e à la 30e place mondiale. Le fait qu’elle abandonne ses études ne dérange pas son père :  » Moi non plus, je n’ai pas achevé mes humanités. Quand le Club Brugeois m’a demandé de faire un choix, j’ai opté pour le football professionnel. Je ne m’en plains pas. Nous traitons nos enfants en adultes. Ils ont le droit de choisir. Nous ne leur disons pas ce qu’ils doivent faire. Kim arrête l’école ? Pas de problème. Il faut observer son enfant et se demander ce qu’il veut vraiment. Kim voulait jouer au tennis. Nous roulons 80.000 kilomètres par an pour nos deux filles. Quand Kim revient d’un séjour de trois semaines en Amérique, je vais la chercher avec ses trois valises, ma femme passe le week-end à faire la lessive, avec l’aide de toute la famille, et le lundi, elle repart. Je n’en ai pas marre. Ce sont mes enfants « .

Il admet quand même une chose :  » Beaucoup de parents rêvent d’être dans les journaux alors que nous, ça nous embête. Parfois, j’ai pitié des parents qui poussent leurs enfants, quand je songe aux désillusions auxquelles ils s’exposent tôt ou tard, quand ils comprendront qu’il n’y a plus d’espoir d’aller plus loin « . Lei ne se mêle pas du tennis de sa fille. Kim l’explique en 2000 au quotidien anglais The Independent :  » Il me donne des conseils mais il n’y connaît rien. Une fois, au téléphone, je lui ai dit que je n’étais pas contente de mon forehand. Il m’a demandé de quel côté c’était « .

Elle apprécie que ses parents lui laissent la bride sur le cou.  » Je ne joue pas pour leur faire plaisir. Souvent, en Belgique, j’ai l’impression que les parents vivent à travers leurs enfants. Ils pensent que leurs gosses peuvent gagner beaucoup d’argent mais je ne joue pas pour l’argent. Ce n’est pas si important. D’ailleurs, un jour, j’ai oublié d’encaisser mes primes à Indian Wells. On me les a envoyées « .

A Opitter, Kim Clijsters reste toujours Kim van Lei van Lot, en référence à son père et à ses grands-parents.  » Je ne suis pas à côté de mes pompes et je ne dépense pas mon argent à tort et à travers « , aurait dit Kim fin 2001.  » Ce n’est pas parce que vous êtes dans la mire de tout le monde que vous pouvez vous permettre plus de choses. J’essaie de rester moi-même en toutes circonstances. C’est pour ça que j’ai de bonnes relations avec la plupart des joueuses. Tout dépend de la manière dont vous vous présentez dans le milieu « .

Geert Foutré

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