Ciobi intime

Le gentleman capitaine de Mons se dévoile. Monologue.

Liviu Ciobotariu (31 ans): « Quand je suis arrivé en Belgique, en 1999, ce pays m’a directement séduit. Mais j’étais bien décidé à rentrer en Roumanie dès la fin de ma carrière. Entre-temps, j’ai changé d’avis. Je m’installerai définitivement en Belgique. C’est pour cela que j’ai rédigé un dossier de naturalisation. Je l’enverrai prochainement aux instances compétentes. C’est important pour ma femme et moi, mais surtout pour mes enfants, d’avoir la nationalité belge. J’ai acheté une maison à Embourg. Avant de quitter la Roumanie, nous avions fait bâtir à Bucarest: ce sont maintenant mes parents qui y habitent. Je leur devais bien ça. J’ai aussi offert un appartement dans la même ville à ma soeur, et j’aide mes beaux-parents. C’est normal.

J’ai signé à Mons pour deux ans, avec une option pour une troisième saison. Je veux jouer le plus longtemps possible. Après, je resterai dans le football parce que je ne sais de toute façon rien faire d’autre, et j’aimerais bien devenir entraîneur. J’ai suivi des cours en Roumanie. A l’époque, j’avais l’intention de pratiquer ce métier dans mon pays. Je n’y pense plus. Je vais me renseigner pour obtenir le diplôme en Belgique. Mon exemple, c’est Mircea Rednic: l’équipe nationale roumaine, le Standard, puis une reconversion comme coach ».

Standard

« La sélection, ce n’est pas une obsession. Mais un but quand même. J’ai joué 40 matches et j’ai figuré dans le noyau pendant cinq ans. Il y a 23 millions d’habitants en Roumanie, dont plusieurs millions de footballeurs. Faire partie des 20 meilleurs est un honneur. Depuis que je suis à Mons, je reçois chaque lundi un coup de fil de l’adjoint d’ Angel Iordanescu. Il veut savoir où j’en suis. C’était déjà lui qui entraînait la Roumanie à la Coupe du Monde en France et j’avais joué nos quatre matches. Ensuite, il y a eu un défilé de coaches fédéraux, puis Iordanescu est revenu. Il ne m’a pas oublié. A moi de continuer à progresser avec Mons si je veux retrouver ma place. Ma dernière sélection remonte au mois de juin 2001. A l’époque, je faisais encore partie du noyau A du Standard. J’avais été appelé pour deux confrontations avec la Hongrie et la Lituanie. J’ai joué ces deux rencontres, puis je suis resté un peu au pays. En rentrant à Liège, j’ai appris que je n’appartenais plus au noyau A du Standard. Un coup terrible sur la tête. Je revenais de deux matches internationaux et je passais sans transition dans les oubliettes.

En septembre 2001, l’entraîneur fédéral adjoint m’a appelé en vue d’un match amical. Je lui ai dit la vérité. Ou du moins ce que je savais. C’est-à-dire pas grand-chose. C’était difficile, pour moi, d’expliquer à ma fédération une situation à laquelle je ne comprenais rien. Cette saison complète dans le noyau C du Standard m’a coûté très cher. Depuis que le club a pris cette décision, je n’ai plus jamais été convoqué par la Roumanie. J’ai travaillé pendant un an, le soir, en compagnie de gamins de 17 ans qui arrivaient à l’entraînement avec leur cartable parce qu’ils venaient de terminer les cours. Je me suis toujours donné à fond avec Daniel Boccar mais, aujourd’hui, je me demande comment j’ai fait pour rester aussi positif. Au contraire des autres pros expédiés dans le noyau C, j’avais l’autorisation de jouer les matches de Réserve. Je m’y donnais chaque fois à 100% en espérant être rappelé dans le noyau A. Finalement, j’ai compris que je n’avais aucune chance et j’ai continué à travailler dans l’espoir d’un transfert.

Michel Preud’homme m’a avoué que le Standard avait dû choisir entre Laurent Wuillot et moi. Vu que j’étais international, le club espérait pouvoir me vendre plus facilement. Dans l’esprit des dirigeants, une chose était apparemment très claire: j’allais partir très vite. Malgré ce que le Standard m’a fait vivre, je n’ai jamais voulu le critiquer. Je ne peux pas oublier que c’est grâce à ce club que j’ai pu quitter la Roumanie et que j’ai été très bien payé là-bas pendant deux ans. Aujourd’hui, je m’intéresse encore de près à tout ce qui se passe au Standard. C’est triste. Mais c’est leur problème »…

Ceaucescu

« Si je n’ai jamais cherché à démolir le Standard, c’est aussi parce que j’ai reçu une certaine éducation. J’ai grandi dans un spirit positif. Je ne suis pas méchant et ça ne changera jamais. J’ai appris à écouter et à obéir. Je fais partie d’une génération sacrifiée: celle des enfants de Ceaucescu. La discipline, c’était quelque chose. Toute ma jeunesse, je l’ai passée avec le même uniforme: bleu marine et une cravate. A l’école, c’était cette tenue-là et aucune autre. Les divertissements à la télé, ce n’était pas pour nous. Il y avait deux heures d’émission par jour, dont une heure et demie de propagande de Ceaucescu: ses visites, ses discours… C’était chiant! Sortir du pays? Il ne fallait même pas en rêver.

Je serais encore capable de retracer sa chute, minute par minute. La folie. Une rumeur est parvenue jusqu’à la campagne où j’habitais, à 25 kilomètres de Bucarest. On parlait d’incidents à Timisoara. Des Roumains auraient osé contester le dictateur. Cette nouvelle interpellait tout le monde, mais en même temps, personne ne voulait y croire. Parce que c’était inimaginable. La rumeur s’est répandue dans tout le pays, comme une traînée de poudre. Tout le monde a branché sa télévision. Et on a découvert des images d’un Ceaucescu, en plein discours sur la place de Bucarest. Il était en pleine forme et, d’après les images, plus populaire que jamais. Tous les Roumains se sont alors dit qu’il n’y avait aucun changement en vue. Puis, on a clairement entendu des cris de révolte dans la foule et on a vu les traits de Ceaucescu se figer. Comme s’il paniquait. Une image à laquelle on n’aurait jamais osé penser. Mais on n’a finalement pas vu grand-chose parce que la chaîne nationale a vite interrompu le reportage. Cette fois, c’était clair: quelque chose d’important se préparait.

Je suis parti à Bucarest. Quand je suis arrivé, la révolution avait commencé. Il y avait des tanks partout. J’ai assisté à des scènes inimaginables. Partout, des jeunes hurlaient qu’ils avaient fait tomber Ceaucescu. J’ai pris peur et je me suis réfugié chez ma soeur. Pendant deux jours, les bruits de mitraillettes ont couvert tout le reste. Je restais au lit, j’étais terrorisé. Le troisième jour, j’ai pris mon courage à deux mains et je suis descendu dans la rue. C’était fou: on voyait des gens tomber partout, sous le coup des balles. Il fallait être inconscient pour rester dans une ambiance pareille, mais quand on a 20 ans et plein d’enthousiasme, on ne réfléchit pas aux risques. Toute la Roumanie était devant la télé pour assister à l’exécution en direct du couple Ceaucescu. On disait tous la même chose: -C’est pas vrai, on rêve« .

Entraînement de 7 à 9 heures du matin

« Il n’y avait pas beaucoup d’argent à la maison. Mes parents travaillaient dans un poulailler industriel. Ma mère nourrissait, tuait, plumait et emballait. Mon père transportait. J’ai commencé à jouer au foot dès l’âge de 8 ans, au Nacional Bucarest. Je devais faire 25 kilomètres pour aller à l’entraînement. Quand il n’y a plus eu d’argent pour payer le diesel du bus, j’ai pleuré et j’ai imploré mes parents de m’acheter un vélo. C’est devenu mon moyen de locomotion. On s’entraînait parfois à 7 heures du matin, à cause du manque d’infrastructures scolaires et sportives. Comme il y avait beaucoup trop d’enfants pour le nombre d’écoles, les autorités avaient instauré un système de pauses: certains avaient cours de 8 heures à midi, d’autres de midi à 16 heures, et un troisième groupe de 16 à 20 heures. Pour le foot, c’était pareil: les terrains manquaient. C’est pour cela qu’il fallait parfois s’entraîner au petit matin. Il m’est arrivé de quitter la maison à 5 heures en plein hiver, dans la neige. Au guidon de mon fidèle vélo! Il fallait vraiment aimer le sport…

A 15 ans, j’ai fait mes débuts en D2. Cela m’a permis d’avoir un service militaire très allégé: il n’a duré que deux mois, avec caserne le matin et entraînement l’après-midi. Si vous n’étiez pas sportif d’élite, le service durait un an et demi, et c’était autre chose. Je suis resté au Nacional Bucarest jusqu’à 26 ans. C’était le club de la banque nationale. Cela se voyait à plusieurs petites choses: la banque nous avait construit un stade magnifique et nous proposait des taux d’intérêt plus élevés pour nos placements. Après cela, j’ai passé deux saisons au Dinamo, le club de la police. J’ai signé mon contrat avec le ministère de l’Intérieur et j’ai un statut de policier civil. Ma carte de policier expire cette année mais je ne sais vraiment pas si mon grade va être prolongé à vie. En jouant dans le club de la police, on pouvait aussi bénéficier de certains avantages: quand on avait un document à faire remplir, ça allait beaucoup plus vite que pour le Roumain moyen. Il y a également le club de l’armée: le Steaua. Quand on joue là, on est sûr de ne pas faire son service militaire. Le ministère des Transports a aussi son équipe de foot à Bucarest: le Rapid.

J’ai été capitaine de l’équipe Première du Nacional pendant cinq ans. Quand Marc Grosjean m’a demandé si j’étais intéressé par le brassard à Mons, je me suis souvenu de cette période. J’ai hésité car j’étais conscient que j’allais devoir diriger des joueurs qui étaient ici depuis plusieurs années alors que j’avais tout à découvrir de Mons. J’ai bien réfléchi. Un jour j’étais enthousiaste, le lendemain je me disais que cela pouvait être dangereux. Mais je n’ai jamais regretté d’avoir accepté: ce noyau est vraiment facile à diriger ».

Pierre Danvoye

« Je fais partie de la génération sacrifiée: celle des enfants de Ceaucescu »

« A 8 ans, je partais à l’entraînement à vélo, à 5 heures du matin, dans la neige »

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