Cinq pour la différence

Daniel Sanchez était le scout des Girondins à Bruges. Voici son dernier rapport sur les Mauves.

Dans l’optique du match retour des seizièmes de finale de la Coupe de l’UEFA entre Anderlecht et Bordeaux, les Girondins avaient délégué samedi passé, au stade Jan Breydel, leur scout attitré, Daniel Sanchez, afin de visionner une toute dernière fois le Sporting. A deux reprises déjà, au préalable, le technicien français, ancien entraîneur de Nagoya Grampus Eight au Japon notamment, avait eu l’occasion de voir à l’oeuvre le club bruxellois: d’abord dans l’épreuve de Coupe de Belgique, au Cercle de Bruges, puis en championnat face à Lokeren.

« Ces matches, au même titre que des cassettes que j’avais passées en revue, m’avaient permis de me faire une petite idée sur cet adversaire », observe-t-il. « A chaque reprise, j’avais eu mon attention attirée par un bloc compact, gérant de manière remarquable la situation avant de faire la différence par l’une ou l’autre individualités marquantes et ce, dans toutes les acceptions du terme: au Cercle Bruges, c’était Walter Baseggio qui avait plié le match en faveur de ses couleurs; contre Lokeren, c’étaient Gilles De Bilde et Nenad Jestrovic qui avaient apporté cette touche finale ».

Flash-back sur le match à Bordeaux

« La prestation du Sporting au Parc Lescure s’était inscrite dans une même logique », poursuit Daniel Sanchez. « Même si l’occupation du terrain avait été quelque peu revue et corrigée, avec la titularisation de Michal Zewlakow dans l’entrejeu en lieu et place d’arrière latéral, ainsi que le retrait de Gilles De Bilde, le canevas était resté le même avec une équipe super organisée qui avait à nouveau réussi à faire la différence grâce au coup de patte décisif de l’un de ses éléments à inclination résolument offensive, Nenad Jestrovic, avant que Besnik Hasi ne fixe les chiffres définitifs. A l’aller, nonobstant la réplique intelligente de notre adversaire, nous n’en avions pas moins été battus aussi, dans une large mesure, par nous-mêmes », précise l’observateur bordelais. « Ce soir-là, la plupart de nos joueurs n’avaient manifestement pas éprouvé leurs sensations habituelles. Aussi était-il intéressant, pour nous, d’observer comment une formation de pointe, comme Bruges, allait s’y prendre pour désarçonner un opposant qui nous avait précisément posé moult problèmes dans nos installations. De là tout l’intérêt, pour nous, de cet affrontement entre les deux ténors belges ».

Le match et le jeu à Bruges

« Au départ, la donne était d’autant plus intéressante qu’à l’exception d’Aleksandar Ilic, remplacé par Olivier Deschacht, Anderlecht s’était présenté chez son rival avec la même composition d’équipe qu’à Bordeaux: un 4-3-3 en possession du ballon, se muant automatiquement en 4-5-1 en cas de monopolisation du cuir par l’adversaire. Pendant la première phase de la partie, à savoir jusqu’à l’exclusion de Birger Maertens, j’ai vu un Sporting en tous points conforme à celui qui nous avait donné la réplique voici peu: bien disposé sur le terrain et n’abandonnant guère d’espaces aux Brugeois. A l’image de ce qui s’était passé chez nous, les deux demis défensifs anderlechtois avaient un rôle de marquage en zone: Michal Zewlakow sur Gaëtan Englebert et Yves Vanderhaeghe sur Nastja Ceh. Au Parc Lescure, c’étaient Pascal Feindouno et Alexei Smertine qui avaient été judicieusement pris en tenaille. Une fois encore, au cours de cette première phase, j’avais été frappé par la maturité que dégageait cette équipe anderlechtoise ainsi que par son extraordinaire réalisme. C’est sur sa seule occasion digne de ce nom qu’elle était parvenue à faire la différence grâce à Bertrand Crasson. Il est dommage que la rentrée au vestiaire de Birger Maertens d’abord, puis celles de Glen De Boeck et de Nenad Jestrovic aient faussé singulièrement les données. Honnêtement, j’aurais aimé savoir comment Hugo Broos allait aborder les événements, en deuxième mi-temps, avec un Michal Zewlakow qui ne lui servait subitement plus à rien dans son rôle de garde-chiourme, entendu que Gaëtan Englebert avait coulissé entre-temps au poste de demi défensif à la place de Timmy Simons qui, lui-même, dans l’intervalle, avait doublé Birger Maertens, exclu. Le coach du Sporting allait-il gérer tranquillement avec les mêmes pions ou, au contraire, allait-il mettre davantage de pression en faisant monter au jeu Gilles De Bilde? La question ne s’est jamais posée, en raison des coupes dans l’effectif des Mauves après la mi-temps. D’un côté, j’admets que les décisions de l’arbitre, Frank De Bleeckere, n’étaient pas toujours des plus heureuses. Mais d’un autre côté, je ne comprends pas comment certaines individualités, qui font toujours preuve d’une discipline collective sans faille, aient pu perdre à ce point leur self-control. Il fallait quand même s’attendre à ce que Bruges, mené à la marque et réduit à dix joueurs, mette tout en oeuvre pour rétablir l’équilibre sur les plateaux de la balance en s’acharnant sur ceux qui avaient déjà écopé d’un carton jaune du côté anderlechtois. A cet égard, je ne pige pas que des joueurs aussi expérimentés que Glen De Boeck et Nenad Jestrovic, pénalisés avant la pause, se soient fait berner comme des gamins. Le capitaine anderlechtois a commis coup sur coup deux interventions fautives sur Andres Mendoza près du but. Il aurait évidemment été plus inspiré de laisser manoeuvrer son adversaire, qui ne pouvait pas faire grand-chose dans cette situation puisqu’il était dos au but. Quant à Nenad Jestrovic, il aurait été plus inspiré de ne pas en remettre une couche, lui aussi, en cherchant un coup de réparation qui n’en était pas un, après avoir déjà précipité la sortie de Birger Maertens. A dix contre dix, je pense que le match aurait encore été intéressant à plus d’un titre. Mais à dix contre neuf, il devenait tronqué. Avec un homme de plus, et la fatigue aidant, il était logique que Bruges finisse par renverser la vapeur. Dès ce moment, la possession du ballon fut essentiellement brugeoise et le Sporting dut pour sa part se contenter de quelques velléités, ponctuées par des coups de tête de Bertrand Crasson et Ki-Hyeon Seol. Même si les péripéties du match ne permettent pas un jugement tout à fait pertinent et exhaustif, j’avoue quand même que dans l’ensemble, Bruges-Anderlecht a plus valu par son âpreté que par son académisme.

Sur le plan de l’engagement, il n’y avait rien à redire, c’était un match à la limite. En revanche, d’un point de vue purement technique, il était mièvre. L’enjeu a tué le jeu, tout simplement. Même lorsque les deux équipes étaient à 11 contre 11, la rencontre tenait davantage du combat de boxe que d’une partie de football. En réalité, par rapport à ce qui se fait de meilleur dans les grandes nations, je pense tout bonnement qu’il manque en Belgique des individualités susceptibles de faire grimper de façon sensible la note technique d’un match. A Bruges, il y a Alin Stoica, mais il n’était pas sur le terrain. Et, à Anderlecht, seul Aruna Dindane est capable de faire la différence à lui seul. Malheureusement, il fut mis complètement sous l’éteignoir par Peter Van der Heyden ».

Le scouting individuel

DANIEL ZITKA

« Anderlecht s’appuie manifestement sur un très bon gardien. La Tchéquie a toujours eu une bonne tradition en la matière, et nous en avons d’ailleurs un aperçu en France avec l’excellent Peter Cech au Stade de Rennes. Si celui-ci fait partie de la sélection nationale au même titre que Pavel Srnicek, je ne comprends pas qu’un Daniel Zitka ne jouisse pas des mêmes faveurs dans son pays. Personnellement, je trouve que sa ressemblance avec Peter Schmeichel est frappante: grand, costaud, il en impose par sa présence dans le goal. A mes yeux, il est souverain dans bon nombre de registres, sauf peut-être dans ses dégagements au pied lorsqu’il est pressé par un adversaire. D’ailleurs, il a bien failli se faire trouer par l’une de ces approximations à Bruges ».

BERTRAND CRASSON

« C’est du solide, aussi bien sur le plan défensif qu’offensif, comme il l’a démontré à Bruges. Je ne comprends pas qu’il ne fasse pas l’unanimité car entre lui et Mark Hendrikx, le choix ne devrait tout de même pas être cornélien ».

GLEN DE BOECK

« C’est un bon placement lui aussi. Mon seul étonnement a trait à ce bristol rouge dont il a stupidement écopé. Pour un joueur de cette expérience, il est impensable de se faire embarquer ainsi ».

HANNU TIHINEN

« Dans ce registre, le Finlandais est plus cool. Celui-là, c’est franchement une découverte. A Bruges, il a à nouveau été souverain dans le trafic aérien. Les ballons ont beau être balancés au premier ou au deuxième poteau, le Finlandais émerge toujours de la tête pour les envoyer au loin. Et, ce qui ne gâte rien, c’est aussi une fameuse sangsue. Pauleta, qui en a quand même vu d’autres dans sa carrière, n’avait pas été à la fête contre lui à l’aller. Et il ne sera pas davantage gâté au retour ».

ALEKSANDAR ILIC

« A gauche, Aleksandar Ilic s’inscrit dans la lignée des défenseurs fiables. Il a manifestement plus de planches que le jeune Olivier Deschacht, même si celui-ci m’a plu à la relance ».

YVES VANDERHAEGHE

« Un autre élément tout à fait incontournable, mais dans la ligne médiane cette fois, c’est Vanderhaeghe. Il m’avait déjà frappé dans le clan belge, à la Coupe du Monde, à l’instar de Marc Wilmots. C’est un joueur précieux, en ce sens qu’il a un don d’ubiquité: dans son secteur, il se trouve toujours dans les parages du ballon, même si celui-ci transite de gauche à droite et vice-versa ».

MICHAL ZEWLAKOW

« Il couvre moins de terrain mais son placement est toujours judicieux ».

WALTER BASEGGIO

« L’élément le plus complet dans la charnière médiane. Il couple à la fois une aisance et une force qui lui permettent, même à l’arrêt, d’alerter un partenaire à 20 ou 30 mètres. C’est un joueur capable de conférer une dimension supérieure à n’importe quelle équipe et, dans cette optique, il ferait le bonheur de bon nombre de clubs français à l’heure actuelle ».

ARUNA DINDANE

« En valeur individuelle, Baseggio n’est devancé que par un seul joueur au Sporting: Dindane. Celui-ci me fait irrésistiblement penser à un autre Ivoirien qui a flambé en France: le Monégasque Youssouf Fofana. Celui-ci avait d’ailleurs terrassé Bruges en Coupe d’Europe un jour. Ce n’est évidemment pas pour rien qu’à l’aller, nous avions prévu un double marquage sur lui. Ce musellement avait réussi mais c’était compter sans d’autres joueurs, capables eux aussi de faire la différence, mais avec des aptitudes différentes: Seol et Jestrovic ».

KI-HYEON SEOL

« D’abord, un centre diabolique du gauche, comme il l’a prouvé chez nous sur le goal d’ouverture de Nenad Jestrovic ainsi qu’à Bruges sur le but de Bertrand Crasson ».

NENAD JESTROVIC

« Et enfin, il y a Nenad Jestrovic lui-même, toujours fidèle à sa réputation de renard des surfaces, qu’il avait déjà étalée en France au FC Metz ».

L’évaluation finale

« La défense anderlechtoise est routinée et performante. Normal, dans la mesure où la plupart de ses composantes ont plus de 30 ans, comme Bertrand Crasson, Glen De Boeck et Aleksandar Ilic. Globalement, l’équipe peut compter sur une organisation sans faille et cinq joueurs capables de faire la différence. Quatre s’expriment dans le collectif: Ki-Hyeon Seol, Nenad Jetrovic, Gilles De Bilde et Walter Baseggio et un la joue solo: Aruna Dindane. Il en résulte un ensemble compact mais limité en artistes de génie. En France, Anderlecht se situerait aisément dans la première partie du classement, mais il ne titillerait sûrement pas une formation comme Lyon, par exemple, qui s’appuie à la fois sur un bon fonds de jeu ainsi que sur une kyrielle de joueurs hors norme comme Sonny Anderson, Vikash Dhorasoo, Sidney Govou et j’en passe ».

Les chances de Bordeaux

« Nous-mêmes n’avons qu’un joueur hors norme: Pauleta. Et c’est ce qui explique notre position mitigée au classement. En principe, compte tenu de notre défaite à l’aller, nous n’avons plus beaucoup d’espoirs d’inverser la tendance au retour. Mais sait-on jamais? La victoire des Girondins à Montpellier en Coupe de la Ligue, samedi passé, fait suite à deux matches de bon niveau contre Auxerre et Le Havre, même s’ils furent synonymes de défaites. Si nous produisons la même qualité de jeu au Parc Astrid et que nous avons la chance de mener rapidement à la marque, tous les espoirs nous seront encore permis. Surtout si certains Anderlechtois perdent alors de leur superbe, comme ce fut le cas au Club Brugeois »…

Bruno Govers

« Anderlecht vaut la première moitié du classement français »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire