Cinq, après-demain.

Les plus grands spécialistes voient déjà l’Américain égaler Merckx, Hinault et Indurain.

La première victoire au Tour 99 de l’Américain Armstrong (29 ans) avait constitué une demi-surprise. Certes, on savait, après sa quatrième place obtenue à la Vuelta 98, qu’il était capable de grandes choses dans une longue épreuve à étape, mais on ne s’attendait quand même pas à ce qu’il triomphe d’emblée au Tour l’année suivante. Cette fois-là, Jan Ullrich avait été empêché pour cause de… kilos superflus, ce qui avait apporté un bémol à la performance d’Armstrong.

En 2000, on voulait voir s’il était capable de confirmer son premier succès, ce qu’il fit, en présence d’Ullrich, mais avec un Pantani qui, bien qu’étant loin de sa meilleure forme, mit quand même quelques fois à mal la supériorité d’Armstrong dans la montagne.

L’édition 2001 a levé tous les doutes, s’il en subsistait encore sur l’omniprésence, voire l’omnipotence d’Armstrong sur le Tour. Pantani n’était pas là, c’est vrai, mais Jan Ullrich, lui, avait retrouvé sa meilleure forme. L’Allemand a même prétendu qu’il se sentait plus fort que lorsqu’il s’était imposé dans la Grande Boucle en 97. Cela ne l’a pourtant pas mené plus loin que la deuxième place à Paris. Le Teuton doit commencer à faire des complexes, lui qui termine deuxième du Tour pour la quatrième fois en six ans et cinq participations. Aujourd’hui, il doit parfois repenser à ce contre-la-montre de Saint-Emilion, en 96, où, si Godefroot ne l’avait pas quasi retenu par la selle, il aurait mangé son équipier Bjarne Riis complètement à la dérive. Aujourd’hui, il compterait déjà deux victoires à son palmarès.

Mais avec trois succès, l’Américain prouve qu’il est incontestablement le plus fort du peloton en course pour le jaune. C’est Walter Godefroot lui-même qui le compare déjà à Anquetil, Merckx, Hinault ou Indurain. Modeste (bien que parfaitement conscient de son potentiel et de ses qualités), Armstrong réfute la comparaison. Pourtant, il lui suffira d’encore gagner le Tour une fois l’an prochain pour n’être plus qu’à une unité du record mythique des cinq victoires dans le Tour. C’est loin, direz-vous. Pas d’accord, on y est presque, déjà…

« Trois vicoires, ce n’est pas exceptionnel »

Godefroot vous compare déjà aux plus grands coureurs, ceux qui ont marqué le Tour de leur empreinte. Qu’est-ce que cela vous fait d’être ainsi comparé, notamment, à Merckx que vous admirez tant.

Je crois que c’est me faire bien trop d’honneur. Je n’ai toujours que trois victoires à mon compteur. C’est formidable, bien sûr, mais pas exceptionnel. Et, vous savez, je ne cours pas vraiment après ce record de cinq succès au Tour. En plus, pour revenir à Merckx, n’oubliez pas qu’il gagnait quasi toutes les courses, comme il dominait son époque. Moi, pour l’instant, je me concentre quasi exclusivement sur la Grande Boucle.

Pourquoi?

Parce que ma carrière a pris cette tournure. Avant mon cancer, j’avais remporté de grandes courses d’un jour, dont le championnat du monde. Mais aujourd’hui, c’est la plus grande course du monde qui m’intéresse. Voilà pourquoi je concentre sur elle tous mes efforts, tous mes sacrifices aussi. Car les gens pensent parfois que le fait d’avoir perdu 9 ou 10 kilos m’a transformé en coureur de Tour. Ce n’est qu’une partie de la vérité. Une petite partie d’ailleurs. J’ai complètement changé ma manière de grimper les cols, ce qui ne se fait pas en deux coups de cuiller à pot. Il m’a fallu apprendre, me discipliner et, surtout, beaucoup travailler. On ne gagne pas le Tour juste parce qu’on en a envie et qu’on l’a un jour décidé. Un jour, c’est vrai, on prend la décision de s’y aligner pour tenter de le gagner, mais il y a un boulot énorme derrière tout cela, le boulot de toute une équipe.

« J’étais solide mais pas facile »

Le résultat de ce travail est que vous avez connu, somme toute, un Tour 2001 plutôt facile, plutôt tranquille!

Ça, c’est l’impression que l’on a de l’extérieur. Je ne parlerai ni de facilité ni de tranquillité, mais plutôt de solidité. Face à un Jan Ullrich que j’ai senti plus affûté et plus motivé que jamais, j’ai montré de la constance et de la régularité. Je voulais, cette année, surtout éviter de connaître un passage à vide, un moment extrêmement difficile, comme j’en avais connu lors de mes précédents succès. A Joux-Plane, l’an dernier, j’avais eu mal. J’ai réussi dans mon entreprise, j’ai passé toutes les étapes sans défaillance et, du coup, je n’ai jamais été réellement en danger.

Vous avez dit que votre jour le plus difficile avait été celui de l’Alpe-d’Huez. Or vous y avez effectué un véritable démonstration, c’est tout dire!

Pourtant, c’est vrai. C’est là où j’ai sans aucun doute puisé le plus dans mes réserves. Nous étions très proches l’un de l’autre, Ullrich et moi, dans cette étape de l’Alpe.

Mais vous lui avez quand même collé une minute!

J’étais tellement motivé à l’idée de gagner cette étape mythique! A ce titre, je trouve que quelqu’un qui vise le jaune à Paris, se doit de frapper parfois de grands coups, de gagner de belles étapes. Le dernier contre-la-montre, par exemple, je ne l’aurais laissé filer pour rien au monde. Tous ceux qui m’ont précédé dans l’histoire du Tour ont fait pareil. En plus, ce jour-là, j’avais l’impression de voler. Jamais auparavant je ne m’étais senti aussi bien. Alors que j’avais décidé de partir sur un mode mineur, j’ai passé le premier intermédiaire largement en tête. A ce moment, j’ai compris que j’étais parti pour une grande performance.

L’impression que garde l’observateur extérieur est que vous avez semblé pouvoir frapper quand vous le vouliez, où vous le vouliez. Si telle avait été votre volonté, vous auriez remporté toutes les étapes de montagne. Vous auriez mangé Cardenas à Ax-les-Thermes et Laiseka à Luz-Ardiden, comme vous avez décroché Ullrich sur simple commande.

Ça, c’est vous qui le dites. Disons qu’en course, on réagit à l’instinct, selon les circonstances. A Ax-les- Thermes, j’avais surtout Ullrich à l’oeil. C’est par rapport à lui que je voulais faire la différence. Il se fait que Cardenas avait joué son va-tout plus tôt, tant mieux pour lui. Quant à Luz-Ardiden, la différence y était déjà faite par rapport à Jan. Avec Johan Bruyneel, on a décidé de ne pas attaquer. Il n’était plus nécessaire d’être agressif à ce moment du Tour. Nous l’avions déjà été bien assez.

« Comme vrais sportifs avec Ullrich »

La fameuse poignée de mains entre Ullrich et vous à Luz-Ardiden, c’était un aveu de faiblesse de sa part?

Je dois dire que j’ai été surpris par ce geste. Je ne m’y attendais pas du tout. Il m’a tendu la main droite et, presque automatiquement, je l’ai saisie avec la gauche. Aveu de faiblesse? Non, simplement un geste entre sportifs qui s’étaient livré un beau duel. Je trouve cela un geste formidable, d’ailleurs. J’apprécie beaucoup Jan Ullrich. C’est le seul du peloton qui, dans un grand jour, peut me faire vraiment très mal.

Vous lui aviez fait mal aussi, la veille, en le regardant droit dans les yeux avant de vous envoler vers la cime du Pla d’Adet! Son orgueil a dû en prendre un coup!

J’ai revu ces images à la télévision et je me suis rendu compte, après coup, que le regard que j’ai jeté vers l’arrière avant de démarrer était vraiment très long et aurait pu être mal interprété. Mais je n’avais vraiment pas l’intention de blesser qui que ce soit. S’il fut effectivement long, c’est parce que je voulais voir qui était encore dans le groupe, et pas seulement comment était Jan. Mon attitude était purement tactique. Il ne faut pas y voir du tout d’arrogance. Cela précisé, il est vrai que tous les coureurs s’observent dans les moments décisifs d’une course. On regarde le faciès de son adversaire, l’expression du visage, la bouche, la manière dont il respire.

Cela nous amène à votre coup de bluff dans l’étape de l’Alpe-d’Huez.

Aujourd’hui, tout le monde regarde la télé. C’est vrai, ce jour-là, j’ai bluffé. Mon équipe, accablée par les maladies et les chutes, n’était pas au mieux. Je ne voulais pas la faire travailler. En constatant, dès le premier col de la journée, que les Telekom avaient décidé d’imprimer un train d’enfer, je me suis dit que si je faisais semblant de n’être pas trop à l’aise, les Allemands insisteraient pour me mettre en difficulté. Ce faisant, je profitais de leur travail. Alors, chaque fois que j’entendais le bruit de la moto de télévision, je faisais comme si j’éprouvais des difficultés à suivre le rythme. Dans la voiture du directeur sportif, Pevenage réagissait -NDLA: il a la télé vissée sur le tableau de bord- et je savais que l’ordre d’en remettre une couche arrivait quasi automatiquement dans l’oreillette d’Ullrich.

« Je vais penser au Giro »

Est-qu’un jour, à l’image d’Indurain, vous ferez le Tour d’Italie en préparation du Tour de France?

Bonne question. A chaque fois que je suis dans mon fauteuil, en mai-juin, à regarder les arrivées du Giro, je me dis que je devrais être là! C’est un beau tour et j’aimerais tenter de le gagner, mais le choix est difficile. Cela pourrait être un piège pour moi. Il faut que j’y réfléchisse, que j’en parle avec mon entraîneur et Johan Bruyneel. Le problème, c’est que notre recette actuelle nous donne entière satisfaction. Normalement, on devrait la reprendre pour l’an prochain. L’équipe changera peut-être un tout petit peu, mais c’est tout. Si, durant l’hiver, je ne connais aucun problème de santé, comme ce fut le cas cette année déjà, il n’est pas impossible que le Lance Armstrong de 30 ans soit meilleur que celui de 29!

Qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui, vous produisiez une telle impression de facilité?

L’impression n’est pas toujours la réalité! Mais je recueille sans doute les fruits d’une vie d’ascète, propre, méticuleuse, travailleuse. En outre, j’ai l’impression d’atteindre seulement mes bonnes années. La maturité est là, l’expérience aussi. Je sais que, durant l’hiver, j’ai fait tout ce qui fallait, pour être à mon maximum en juillet, donc, je suis serein, tranquille. Enfin, ma vie de famille est, elle aussi, stable et épanouie. C’est essentiel pour un sportif. Je suis papa d’un petit Luke et je viens d’apprendre sur le Tour que ce sont des filles, des jumelles, que mon épouse mettra au monde. Quel merveilleux cadeau!

Philippe Van Holle

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