Ciné REVUE

Pierre Bilic

Le citoyen de Dongelberg revient sur les films qui ont mis fin à sa première expérience de coach en Belgique.

L’ancien capitaine des Diables Rouges a retrouvé un sourire aussi solide que les fermes châteaux de sa Hesbaye. Et, comme un bon connaisseur des terres riches et limoneuses, Marc Wilmots a semé une grosse couche de désherbant sur les champs de ses souvenirs trudonnaires.

Le Mangelschots grimpant et autres mauvaises herbes ont été éradiqués de son estime. Saint-Trond devait être le premier jardin de sa carrière d’entraîneur. Il estime avoir été roulé dans la farine, utilisé, trompé par le double langage de ceux qui ont semé la zizanie pour retrouver leur importance et leur influence à la tête du club.

 » S’il y a une chose que je ne supporte pas, c’est la remise en question de notre travail « , dit-il.  » Le staff technique que j’avais mis en place a remarquablement £uvré. J’en suis fier. Quand j’ai commencé à bosser, c’était le désert à Saint-Trond. Le club avait échappé à la faillite. Le portefeuille était quasiment vide pour recomposer un groupe. Il faut du temps pour y arriver, pour tout mettre en place. Petit à petit, en distillant ce qu’il faut à certains journalistes, on a miné le terrain. Je n’ai jamais dit que Saint-Trond casserait tout de suite la baraque. Mais, avec ce groupe, renforcé à des postes bien précis, le club pourrait viser la colonne de gauche la saison prochaine. Enfin, ce n’est plus mon problème. J’ai été trahi par celui dont on me disait : – C’est un brave homme. Mais je ne sais pas où il était en été quand il n’y avait plus rien ici.  »

Marc Wilmots n’avait pas capté les vieilles habitudes du Staaienveld après avoir connu l’univers de Schalke 04 où tout le monde tire à la même charrette. Ses problèmes trudonnaires comportent une partie en clair et une autre plus obscure.

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Nous nous sommes tant aimés (Ettore Scola)

Marc Wilmots :  » Malgré ce qui s’est passé, je n’oublie pas que j’ai fêté mes débuts en D1 avec le maillot de Saint-Trond sur les épaules. En 1987, il y régnait une ambiance optimiste et chaleureuse. Le Staaien était un des stades les plus chauds de Belgique. Cette atmosphère m’allait comme un gant. Je m’identifiais à cette ferveur car tout était droit, honnête, sportif. Les Hesbignons sont ainsi faits. J’avais une dette morale à l’égard de ce club qui m’avait fait confiance. J’aimais et j’adore encore Saint-Trond. Roland Duchâtelet m’a contacté en début avril 2004. Le club était littéralement à l’agonie. Les caisses étaient vides. C’était la mort certaine sans la grosse injection d’un million d’euros de Roland Duchâtelet. Avant cela, toute une série de dirigeants y allaient de leur poche. Ils détenaient le pouvoir, avaient leur mot à dire jusque dans la composition de l’équipe qu’on faisait parfois sur la place du village. Cette époque était révolue. Ils étaient incapables de réinvestir mais avaient de la peine à accepter leur éloignement du club. Roland Duchâtelet décidait. Il m’a demandé de relever le défi avec lui. J’étais exposé et il était plus facile de me saboter que de s’en prendre à Roland Duchâtelet qui casquait. Je ne me rendais pas compte. L’enthousiasme rend aveugle. Je suis un homme optimiste. Ce fut un des moteurs lors de ma carrière. On n’avance pas avec les pessimistes. L’équipe avait terminé la saison précédente à la ramasse. Il y avait eu des tas de problèmes internes. Je ne voulais pas m’attarder là-dessus. Il y avait d’autres urgences. Je n’avais plus que douze joueurs dont trois gardiens de but sous la main. Et pas un jeune à l’horizon. Mais je ne craignais rien. Je voulais professionnaliser Saint-Trond, lui offrir mon vécu, ce que j’avais vécu et appris au top en Allemagne. Il faut croire que certains n’aiment pas cela, ne veulent pas changer leurs habitudes, moderniser leur façon de travailler. Je ne savais pas encore qu’on voulait d’abord exploiter mon nom « .

AVEC LE DÉCODEUR

Saint-Trond tente une première. Marc Wilmots crée l’événement en devenant un manager à l’anglaise. Il dispose en tout et pour tout de 850.000 euros pour faire ses courses sur le marché des transferts. Roland Duchâtelet a déjà pris les dettes du club à son compte et ne veut pas aller plus loin. Le football lui coûte assez cher. Cet homme politique libéral (Vivant) est, entre autres, actionnaire de la société de paris MrBookmaker. Pas normal mais cela passe comme une lettre à la poste. Wilmots précise qu’il ne cède pas ses droits à l’image à son employeur. Le club organise sans le prévenir à l’avance une séance photos pour une firme, présente parmi ses sponsors, qui place le coach au centre d’une campagne de publicité. Premier clash. Wilmots ferme les yeux mais se rend compte que Saint-Trond veut tirer profit de sa célébrité et encaisser une somme rondelette sur son dos. Il prend la précaution d’exiger une lettre précisant que le club perçoit le montant obtenu pour cette action.

Papa est en voyage d’affaires (Emir Kusturica)

 » J’ai donné mon accord à Roland Duchâtelet le 20 avril. Une conférence de presse fut mise sur pied neuf jours plus tard. A partir de ce moment-là, ce fut la course contre la montre. De nombreux joueurs trudonnaires avaient choisi de tenter leur chance sous d’autres cieux. Je n’avais pas retenu Désiré Mbonabucya pour des raisons médicales. Le groupe restant n’avait pas de métier à revendre. J’ai fait appel à mes relations, à mes contacts, aux clubs où j’avais joué. Les footballeurs auxquels je pensais ne furent pas faciles à convaincre. Cela demande un temps fou. Je n’avais pas de gros contrat à leur proposer mais un défi, une nouvelle vision des choses, une façon de travailler et un total soutien dans mon chef. Je ne dis pas que ce fut chaque fois un tir dans le mille et je n’ai pas envie de donner le bulletin de chaque joueur. Certains m’ont déçu mais d’autres se sont relancés ou abordent le début d’une grande carrière. C’est le cas de Landry Mulemo. Personne ne le connaissait. Mario Innaurato, le préparateur physique, l’avait connu au Standard. Dans deux ou trois ans, il sera un des meilleurs arrières de D1. J’ai réussi à le faire venir grâce à mes bons contacts avec Luciano D’Onofrio. Le contrat que je lui avais proposé n’était pas élevé. Mais il y a cru et s’est affirmé. J’avais besoin de joueurs animés par cette mentalité. Saint-Trond s’est renseigné afin de savoir s’il y avait d’autres jeunes de ce cet acabit au Standard. Sander Debroux avait été repéré par le club à Oud-Heverlee Louvain avant que je n’arrive. Il a de l’avenir aussi. J’ai recruté PapyKimoto (Standard), Mathieu Beda (Bordeaux), Tamas Hajnal (Schalke), StivenRivic (Schalke), Adboulaye Diawara (PSG), Samuel Ipoua (Ahlen), Michaël Goossens qui revenait d’Autriche, etc. Ce sont de bons joueurs mais la plupart avaient besoin de temps pour s’adapter à la D1. J’ai toujours assumé mes choix. Une nouvelle équipe a besoin de patience. J’ai voyagé, je me suis battu, j’ai consacré tout mon temps pour que le club ait un groupe. J’ai refait une équipe de D1 avec un mini budget. Tout le monde peut essayer… Mais je n’ai pas pris la précaution d’écarter Guy Mangelschots. Il avait encore le poste de directeur technique et ses anciennes relations. Tout doucement, on me parla d’un problème de langue. Il n’a jamais existé. A Saint-Trond, je m’exprimais d’abord en néerlandais puis en français et en allemand afin que tous nos joueurs me comprennent. Ma femme est flamande et nos fils suivent les cours de l’enseignement néerlandophone à Hoegaerden. Alors, les conflits linguistiques, ce n’est pas ma tasse de thé « .

AVEC LE DÉCODEUR

Le début du championnat ressemble à tout sauf à un voyage d’affaires pépère. Le moteur a des ratés, l’équipe n’est pas en place. Wilmots constate vite que la direction doute de son staff technique. Son entraîneur adjoint, Zoltan Kovacs, est écarté et la presse parle d’incompétence. Wilmots tente de renverser le cours des choses. Il veut conserver Zoltan Kovacs mais ce dernier l’en dissuade. Il lui demande de ne pas se soucier de lui mais bien de tous les joueurs qu’il a fait venir à Saint-Trond. C’est le début du grignotage. Sans le dire, Mangelschots avait songé à quelqu’un d’autre pour le poste d’adjoint. Wilmots a-t-il commis une erreur en n’ayant pas d’ancrage trudonnaire dans son staff ? Peut-être. Mais il préfère mourir pour ses idées. La presse évoque les problèmes du stage d’été à Lacanau, près de Bordeaux. Manque de discipline ? L’ancien coach dément. S’il a dormi une fois dans sa seconde résidence, c’est pour céder sa chambre d’hôtel au médecin de l’équipe. A la fin du stage, les joueurs profitèrent de quelques heures libres. Pendant ce temps-là, le staff et les dirigeants présents furent invités à un barbecue sous le soleil de la maison bordelaise de Wilmots. Sa cave à vins fut très appréciée.

Les dents de la mer (Steven Spielberg)

 » Après le 1 sur 12, l’équipe a trouvé son rythme. Elle s’imposa au Lierse (0-1) fin septembre et arracha un beau succès contre le Standard (4-1) le 28 novembre. Ce fut le résultat d’une volonté, d’une façon de voir les choses, d’un style de jeu. Saint-Trond montrait les dents. On m’avait demandé de recréer une ambiance de feu dans ce stade. C’était fait. Au début du deuxième tour, nous avons battu Mouscron chez nous et nous avons égalisé deux fois face à Anderlecht. L’équipe était bien au point physiquement grâce au travail de Mario Innaurato. C’est le top en Belgique. Mario est le seul préparateur physique ayant un diplôme italien. Il a même été major de sa promotion. Personne ne peut en dire autant. Vince Briganti s’occupait du scouting. Je rappelle qu’il en faisait autant auprès de Robert Waseige en équipe nationale. Cela faisait beaucoup de compétences dans notre chef. Tout était noté, préparé, calculé. Nous connaissions les joueurs sur le bout des doigts : la masse graisseuse, la tonicité, ce qu’il fallait travailler. Tactiquement, Saint-Trond a surpris et bousculé le Standard. J’espérais continuer sur cette lancée, tout en sachant qu’il y aurait des hauts et des bas « .

AVEC LE DÉCODEUR

Les choses se compliquent dans la coulisse. Benjamin De Ceulaer attire le regard de grands clubs hollandais. Wilmots lui conseille de rester calme et de travailler pour confirmer ses progrès. Il relève cependant que Mangelschots anime le jeu dans la coulisse et la presse régionale ne cesse de parler de cet intérêt, suit le joueur en Hollande, etc. Ce feu follet est déstabilisé, veut faire l’impasse sur un entraînement afin d’assister au match NAC-Ajax. Wilmots fait barrage. Il a besoin de son joueur. En 2003-2004, il avait joué durant 1.300 minutes et son temps de jeu doubla sous la direction de Wilmots, qui l’apprécie mais estime qu’il doit s’améliorer à la finition. On annonce régulièrement la présence de Ruud Gullit (ex-coach de Feyenoord) dans les tribunes afin de suivre De Ceulaer. Wilmots n’en tient pas compte en composant son équipe. En résumé, il veut le garder, Mangelschots désire le vendre. La mer se déchaîne autour de l’entraîneur. Le stage d’hiver en Turquie fait couler beaucoup d’encre. Des joueurs ne sont pas disciplinés, négligent l’heure du petit-déjeuner, etc. Wilmots affirme en avoir parlé avec les coupables. On parle de renforts mais la direction ne veut surtout plus de joueurs d’origine africaine !

Vol au-dessus d’un nid de coucou (Milos Forman)

 » La défaite à Ostende (1-0) a évidemment fait mal. Elle n’était pas méritée mais c’est le football. Si cela n’allait pas bien en déplacement, Saint-Trond se faisait respecter dans ses installations où nous n’avons pas été vaincus du 29 août au 12 février. Après le match à Ostende, il nous restait sept rendez-vous à domicile. Saint-Trond était 14e au classement général avec 20 points. A mon avis, nous aurions décroché plus de 36 points, le total final de cette année. Mais on voulait ma peau. Cette équipe allait encore progresser. J’ai bossé et tout essayé afin qu’il en soit ainsi. Il nous manquait un peu de maturité. Mais cela s’arrangeait. J’ai été victime de problèmes internes. Par la suite, on a profité de mon travail et de celui de mon staff technique. Le plus gros du boulot était fait. Ce n’était pas parfait mais j’étais satisfait car ce club revenait de loin. Avant le match à Ostende, en raison de tout ce qui s’était passé, j’ai demandé à Roland Duchâtelet de choisir entre Guy Mangelschots et moi. C’était lui ou moi, à gauche ou à droite mais plus question de prendre le même chemin ensemble. Roland Duchâtelet a opté pour ma mise à l’écart. Le club m’avait suffisamment utilisé. On a tartiné sur ma fonction de sénateur. J’ai fait l’impasse sur… un entraînement. Et au Sénat, j’étais un des plus assidus : 11e sur la liste des présences. J’estime avoir fait avancer la cause du sport en tirant notamment la sonnette d’alarme à propos de la condition physique des jeunes avec Alain Courtois. On m’a même reproché d’être papa. Oui, j’accorde aussi du temps à ma famille. « .

AVEC LE DÉCODEUR

Après le match à Ostende, Innaurato est approché : -Toi, tu n’as rien à craindre. Wilmots était condamné mais l’opération de déstabilisation du staff était en marche bien avant la mise à l’écart de l’ancien capitaine des Diables Rouges. Innaurato ne s’avance pas sur ce terrain, trouve un accord à l’amiable avec le club et part en même temps que Wilmots. Ce dernier ne parlait plus à Mangeslchots depuis la fin du stage hivernal en Turquie. C’est la fin d’un projet. Eddy Raymaekers est nommé coach. Mais c’est Mangelschots qui est le vrai patron, comme avant l’arrivée de Marc Wilmots. Le vent se couche brusquement. Plus un brin d’herbe ne bouge chez les Trudonnaires qui terminent le championnat à la 14e place. Drôles de coucous…

Pierre Bilic

 » Quand j’ai commencé à bosser, C’ÉTAIT LE DÉSERT à Saint-Trond  »

 » J’ai refait une équipe de D1 avec UN MINI BUDGET  »

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