Ciao Gilberto

Il n’aura pas évolué en Serie A mais son parcours aura frappé les esprits italiens.

Le 28 juillet dernier, soit le jour où Ravenne est exclu du championnat de D3, Gilbert Bodart (38 ans) se met à penser à son avenir. L’homme tient à jouer encore au moins un an. De préférence en Italie, même si l’éventualité d’un retour en Belgique n’est pas pour lui déplaire. Il songe même un instant à mettre un terme à sa carrière. Toutefois, il a encore tellement envie de jouer qu’il se voit mal jouer les doublures de gardiens comme Taglialatela à la Fiorentina.

Soudain pris de nostalgie, Bodart se dit que le temps est venu de faire un choix de vie. Son avenir et celui de ses enfants passant par la Belgique, autant reprendre possession de la maison située en province de Liège.

Le dimanche 12 août, Gilbert Bodart reçoit un coup de fil de Jean- Marc Guillou, le patron de Beveren, qui lui passe Emilio Ferrera. Un entretien suffit. Le lundi, on règle les quelques points laissés en suspens et, le mardi, Gilbert se rend dans le Waasland où il signe un contrat d’un an. Et voilà Gilbert prêt pour un nouveau défi.

Gilbert Bodart sera donc resté trois saisons en Italie. Trois années riches en rebondissements. Parfois dus à son caractère bien trempé (Chievo, Vérone et Modène craignaient sa forte personnalité) mais souvent aussi à cause d’événements totalement indépendants de sa volonté. En août 1998, deux ou trois matches amicaux auront suffi à Bodart pour devenir le chouchou des supporters de Brescia. En championnat, le gardien liégeois prend part à vingt-cinq rencontres et, si Brescia est toujours en lutte pour la montée, il y est pour quelque chose. C’est alors que Gilbert se casse le bras droit et doit laisser sa place au jeune Luca Castellazzi (23 ans). Brescia recule au classement et on ne parle plus de Serie A. Paradoxalement, la réputation du Belge en sort grandie.

« En effet, les TV et les journaux locaux ont souligné que si j’avais été dans les buts, Brescia serait monté. Les gens l’ont cru. Avec le recul, je pense que cela n’aurait rien changé », précise l’intéressé.

Le président Luigi Corioni fut le premier à appeler Gilbert Bodart à l’hôpital pour lui signaler qu’il allait quand même lui proposer un nouveau contrat de deux ans. « On pouvait difficilement être plus honnête car d’autres dirigeants auraient attendu de voir si le joueur était réellement rétabli avant de lui faire signer un nouveau contrat », ajoute le nouveau gardien de Beveren.

Septembre 99 : la fracture

La nouvelle saison vient à peine d’être lancée que Maurizio Zamparini, le président de Venise, se retrouve sans vrai gardien de but. Massimo Taibi, son gardien titulaire, est parti à Manchester et Michael Konsel, qui vient de passer trois ans sur le banc à l’AS Roma, ne donne pas l’impression d’être très sûr de lui. Sans compter qu’à peine arrivé, en septembre, l’Autrichien se blesse.

Le président de Venise s’adresse alors à Luca Pelizon du bureau Pasqualin, qui gère les intérêts de dizaines de joueurs. Parmi lesquels, forcément, plusieurs gardiens, Toldo et Bodart notamment.

Zamparini propose au Liégeois un contrat très intéressant. A l’époque, on avait parlé d’un montant avoisinant les trente millions de francs. En Italie, le procuratore, le nom est suffisamment explicite, a la possibilité de signer un contrat à la place de son joueur; ce que Luca Pelizon fait immédiatement. Bodart est heureux, il va enfin pouvoir jouer en Serie A. Zamparini téléphone lui-même à son homologue de Brescia pour lui signaler qu’il a l’intention de lui prendre son gardien. Luigi Corioni ne l’entend pas de cette oreille.

Averti, Gilbert téléphone à Corioni: « Il était dans sa voiture quand je l’ai atteint. Je lui ai dit que je lui étais reconnaissant pour son comportement mais qu’il ne pouvait pas me gâcher, à 37 ans, l’occasion de jouer en D1. Il n’a rien voulu entendre. Le club pouvait aussi faire une affaire. Les débats se sont envenimés et il m’a promis qu’il me laisserait partir mais pour 210 millions de francs. Autant dire que j’étais intransférable ».

Trois semaines se passent et Corioni ajuste le contrat de Bodart. Il lui promet aussi qu’à la fin de sa carrière il fera partie du staff du club. Malgré toutes ces belles paroles, entre les deux hommes c’est la fracture. Cela n’empêchera pas Bodart de disputer une saison en tous points exemplaire. Il sera désigné meilleur joueur de Brescia, qui a décroché son billet pour la D1, et meilleur gardien de la D2.

L’ultimatum de Mazzone

En juin 2000, Carlo Mazzone débarque à Brescia. Les supporters de Brescia, qui sont parmi les plus outranciers du Calcio, commencent par insulter l’entraîneur. Ils n’ont pas oublié que quatre ans plus tôt, le Romain n’a pas voulu signer, laissant sous-entendre que Brescia n’était pas un club à sa mesure.

Et, faute grave aux yeux des tifosi, il laisse Bodart sur le banc lors des premiers matches amicaux. Les supporters ne comprennent pas, d’autant que Srnicek est blessé. Lors d’un match amical contre une équipe argentine de D2, les esprits s’échauffent. Des supporters vocifèrent leur désapprobation. Ces ultras ne se contentent pas de menacer l’entraîneur, affirmant qu’ils vont lui casser la figure : ils passent à l’acte, crachent à la figure de Mazzone et s’en prennent à sa voiture à coups de pieds.

« C’est Bodart ou moi », lance alors Mazzone à Luigi Corioni qui convoque toutes les parties à l’hôtel Cocaglio, à Embuscio. « Il était vingt-trois heures. Corioni devenait fou. Il m’a proposé de devenir dirigeant mais je n’en avais pas envie puisque que je voulais toujours jouer. Je lui ai répété qu’il devait se résoudre à me laisser partir car si l’entraîneur avait démissionné, on aurait dit que c’est à cause de moi. De toute façon, Mazzone n’a pas été très clair: avant la fin du stage il avait décidé que je serai le titulaire et il aurait mieux fait de le dire. De toute façon, dans cette histoire, j’ai été victime de ma popularité », commente Gilbert Bodart.

La Reggina contacte alors le gardien. Elle lui fait une offre intéressante qu’il refuse. « Ce n’est certainement pas parce que je devais émigrer en Calabre que j’ai refusé. Pour jouer en Serie A, je serais allé dans le sud de l’Italie ». Le président Corioni tenait logiquement à tirer un maximum de profit du transfert de son joueur. Mais les dirigeants calabrais ne goûtaient guère ces tergiversations. Il leur fallait un gardien et, coïncidence, ils engagèrent Taibi.

Naples se lança alors sur la piste. Le président Corbelli fit signer un contrat à Roberto Baggio et à Gilbert Bodart mais Zdenek Zeman lui fit savoir que ces deux joueurs ne l’intéressaient pas et qu’il valait mieux résilier l’accord.

Manninger était gratuit

En décembre 2000, Bodart débarque à Ravenne, un club candidat à la descente. Mais avec Gilbert dans les buts, l’équipe n’encaisse plus et se dégage de la zone dangereuse. C’est alors que l’entraîneur Rumignani joue, selon la presse locale, un double jeu: sans raison, il met Bodart sur le banc. Gilbert lui demande des explications et n’en reçoit pas. Alors il insulte l’entraîneur et demande au président pourquoi on n’aligne pas un joueur qui fait bien son boulot et que l’on est allé chercher.

« Je n’ai jamais eu de réponse. Il était sans aucun doute difficile de dire la vérité en face et d’expliquer pourquoi on a limogé le directeur sportif, Italo Castellani, et vendu à la sauvette Dell’Anno, le meilleur joueur et buteur de l’équipe », explique l’ex-Standardman.

Malgré l’arrivée de Stefano Di Chiara, Ravenne ne parvient pas à se sauver. Pire, le club va être déclaré en faillite et, malgré une proposition sérieuse d’un groupe de repreneurs à la tête duquel on retrouvait Italo Castellani, il ne lui sera même pas permis de s’inscrire en D3.

La Fiorentina, obligée de laisser partir Toldo, cherche quelqu’un qui puisse pousser Tagliatela dans ses derniers retranchements. C’est ainsi que Beppe Pavone et Luciano Luna, deux responsables du club toscan songent à Bodart. Après une rencontre à Val di Fassa, dans les Dolomites, Roberto Mancini, l’entraîneur florentin, donne son accord. C’est alors qu’intervient Ottavio Bianchi, l’un des directeurs techniques du club. Il signale aux administrateurs qu’Arsenal accepte de leur prêter gratuitement Manninger. Le conseil d’administration est divisé car Bodart est sans aucun doute plus fort que l’Autrichien mais, par accord, le salaire de ce dernier sera versé par le club londonien. La Fiorentina connaît de gros problèmes financiers et un salaire en moins à verser, c’est toujours ça de pris. Alors commence le chantage: on demande à Bodart de baisser ses prétentions financières ou bien c’est non.

« Je n’allais pas me brader ainsi. A ce prix-là, il valait mieux que je fasse quelque chose qui me plaise ». Le discours optimiste et ambitieux d’Emilio Ferrera a fait le reste: Beveren serait sa prochaine destination. Le club flandrien connaît également des problèmes financiers: « Après ce que je viens de vivre à Ravenne, je n’ose pas y penser ».

Nicolas Ribaudo

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