CHRONIQUE d’un divorce annoncé

Le triumvirat a déjà vécu. Le directeur général Roland Louf s’en est allé. Pourquoi ? Quelles seront les conséquences ?

C’est le moment, surtout, qui a surpris. Au niveau de la direction, tout comme entre la direction et le staff technique, c’était le calme plat malgré les divergences de vues qui subsistaient. Chacun mettait de l’eau dans son vin pour ne pas nuire au bon fonctionnement du club. L’équipe, de son côté, commençait à trouver ses marques. Elle jouait de mieux en mieux, comme en attestent les prestations à Charleroi et à Anderlecht. Seuls les résultats faisaient défaut.

Pourtant, il y a dix jours, alors qu’il rentrait de dix jours de vacances qu’il avait prises à la fin de la période des transferts, le directeur général RolandLouf a envoyé sa lettre de démission. Le samedi soir, au lieu d’assister à Anderlecht-Mouscron au Parc Astrid, il se trouvait au stade Fallon pour White Star Woluwe – Saint-Nicolas. Que s’est-il passé ? On ne le saura peut-être jamais, car Roland Louf préfère se taire. On peut se demander quelle a été la petite goutte qui a fait déborder le vase. Car, pour ceux qui suivent les Hurlus de près, c’était un secret de polichinelle que le Bruxellois ne s’est jamais senti à l’aise au Canonnier. Issu du secteur privé, il avait une vision diamétralement opposée à celle en vigueur dans ce club beaucoup trop politisé à son goût.

Louf :  » Mais, contrairement à ce qu’on pourrait penser, ce n’est pas une accumulation de choses qui ont conduit à mon départ. Celui n’est pas, non plus, directement lié à une mésentente avec le coach GeertBroeckaert ou avec d’autres personnes. Il y a eu un fait bien précis, que je ne peux malheureusement pas révéler. Si vous essayez de le deviner, je vous le dis tout de suite : vous aurez tout faux. Je connais la raison de mon départ, et au club, certaines personnes la connaissent aussi. Je n’en dirai pas plus « .

Un choc dès le départ

Lorsqu’il avait quitté La Louvière pour la cité frontalière, en avril 2004, Roland Louf pensait trouver un club bien organisé et disposant de jolis moyens, mais il est tombé des nues en découvrant la réalité.

Le président JeanPierreDetremmerie, qui sait que son club a besoin d’être redressé financièrement, l’a engagé pour qu’il mène la politique qu’il avait menée en son temps au Tivoli : réduire le budget, se débarrasser des gros contrats et reconstruire une équipe avec des moyens plus réduits.

D’emblée, il se heurte à GeorgesLeekens, déjà en conflit larvé avec le président. LongCouteau veut acheter des joueurs et continuer à mener une politique sportive ambitieuse. Il réagit comme un entraîneur : les résultats demeurent son principal souci. Roland Louf, lui, a d’autres soucis : il sait qu’il doit réduire la masse salariale et qu’il n’a plus les moyens de répondre aux demandes de son coach.

Leekens rétorque :  » Au lieu de rogner sur le sportif, Louf devrait veiller à trouver des acquéreurs pour les quatre loges qui restent inoccupées « .

Leekens aimerait rester le patron sportif et décider des options à prendre. Il accepte difficilement que Louf s’immisce dans son jardin. Ce à quoi le nouveau directeur général répond :  » Directeur général, cela dit bien ce que cela veut dire : je suis responsable de tous les domaines, y compris du domaine sportif « .

Roland Louf sait que la situation de l’Excelsior est préoccupante et que la politique qu’il doit mener risque d’être impopulaire. Il s’efforce de calmer le jeu et se contente de déclarer :  » Que veulent les supporters ? Voir un papillon qui monte vers le ciel et qui, soudain, explose dans un grand ooooh ? »

En fin de saison, Leekens s’en va, et avec lui quatre joueurs clefs : Mbo Mpenza, Luigi Pieroni, Steve Dugardein et Stephen Laybutt. Ces quatre départs ne suffisent même pas à compenser la perte d’exploitation de la saison antérieure.

Il n’aime pas la roulette russe

La nouvelle saison recommence avec PhilippeSaintJean à la tête d’une équipe fortement modifiée. On a beaucoup acheté, principalement dans les divisions inférieures, mais on a peut-être privilégié la quantité à la qualité. On espérait découvrir un nouveau Luigi Pieroni ou un nouveau StefaanTanghe, et on a effectivement découvert un bon milieu de terrain, PatriceNoukeu, mais pas d’attaquants performants. Et les performances de l’équipe, malgré un début de saison encourageant, deviennent rapidement laborieuses. Qui a mené cette politique de transferts pas vraiment réussie ? Saint-Jean ou Louf ? On se rejette la responsabilité. Mais le plus préoccupant demeure la situation financière. Louf découvre des choses aberrantes. Des budgets prévisionnels réalisés au détriment de toute logique. Avec un poste  » entrées « , bien sûr, et aussi un poste  » dépenses « , plus important que le poste  » entrées « . A côté, un poste spécial :  » A trouver « . A trouver où et comment ? Louf n’a pas envie de jouer à la roulette russe.

Ses préoccupations arrivent aux oreilles de certaines personnes et cela déclenche la fameuse crise du 17 décembre 2004. Là où le papillon a bien failli exploser. Le club est au bord du dépôt de bilan, le repas de fin d’année des bénévoles est supprimé, des licenciements sont annoncés. Par on ne sait quel miracle, Jean-Pierre Detremmerie parvient à convaincre certains partenaires de convertir leurs prêts en sponsorings et le club peut poursuivre sa route, mais il s’en est fallu de peu qu’il disparaisse. Malgré cela, la nécessité de trouver des fonds rapidement est là. Il faut donc encore vendre des joueurs. ChristopheGrégoire s’en va à Anderlecht. Des offres parviennent au club pour KoenDeVleeschauwer et MarcinZewlakow, mais dans ces cas-là, Louf préfère privilégier l’aspect sportif à l’aspect financier. Car la poisse continue à s’abattre sur l’équipe, avec des défaites imméritées au Brussels et contre Genk, et le menace d’une relégation devient de plus en plus réelle. Il faut à tout prix atteindre le mois de juin sans anicroche. Après, on pourra mettre en pratique la deuxième phase, c’est-à-dire agencer le départ des derniers gros contrats.

Co-président alors qu’il se croit viré

Mais les relations entre Roland Louf et Jean-Pierre Detremmerie se détériorent. Le président reproche-t-il à son directeur général d’avoir provoqué la crise de décembre ? Au terme d’une réunion, une dispute verbale oppose les deux hommes en des termes très virulents. En cette période-là, Louf songe déjà à démissionner. S’il se ravise, affirme-t-il, ce n’est pas par crainte de perdre des rentrées financières, mais parce qu’il n’a jamais su rester inactif.

Il continue donc à travailler et à rallier le Canonnier, parfois avec des semelles de plomb. Alors qu’il est directeur général, il n’est pas convié aux réunions les plus importantes : celles qui concernent l’avenir du club, l’engagement et la vente de joueurs, la recherche d’un nouveau président et/ou d’un nouveau mécène. Lorsque son téléphone retentit, le 7 juin 2005, il pense qu’on va lui annoncer que la collaboration est terminée. Et il aurait sans doute accueilli cette nouvelle avec un certain soulagement. Mais, à sa grande surprise, on lui apprend qu’il est nommé dans le triumvirat appelé à diriger le club avec EdwardVanDaele et FrancisD’Haese. A ce moment-là, il s’apprêtait à signer avec FilippoGaone, qui l’avait recontacté pour reprendre son rôle d’antan à La Louvière. Il se tâte : doit-il dire non à Gaone, qui l’attend, et oui aux Mouscronnois, qui semblent vouloir lui confier les rênes du club malgré les divergences des vues du passé ? Du côté du Canonnier, on insiste, on lui fait comprendre qu’on a besoin de lui pour sauver le club, et il se laisse tenter. Pourtant, longtemps encore – et sans doute jusqu’à aujourd’hui – il se demandera s’il a fait le bon choix.

Car, en acceptant, il sait qu’il devra composer avec un entraîneur, Geert Broeckaert, qui a été nommé avant qu’il ne rejoigne le triumvirat. Un choix qu’il n’aurait pas avalisé.

Il constate aussi que Broeckaert, sachant qu’il ne pourra pas prolonger tous les joueurs, a fait des choix qui n’auraient pas non plus été les siens. Il a, par exemple, choisi de garder OlivierBesengez, qui fut son équipier en D2 il y a dix ans et qui a rendu de grands services dans les derniers matches de la saison dernière, ainsi que JeanPhilippeCharlet. Louf doit donc se résoudre à ne pas proposer de nouveau contrat à AlexTeklak, qui était pourtant l’un des joueurs les plus méritants de la saison dernière et qui était prêt à resigner à des conditions diminuées de moitié.

Louf se doute également que la manière dont la cellule sportive a été agencée sera difficilement gérable sur le long terme. D’une part, l’entraîneur principal n’est pas sur la même longueur d’onde que le directeur général chargé de la gestion sportive. D’autre part, ce même entraîneur principal ne défend pas les mêmes principes que le responsable de l’école des jeunes. Comment définir une ligne de conduite commune au club ?

Louf sait, enfin, que Broeckaert a fait inclure dans son contrat la possibilité de retourner au Futurosport s’il est viré comme entraîneur principal. Que devrait-il faire, alors, de Saint-Jean ? Peut-on marier l’eau et le feu ?

Des antagonismes au sein du triumvirat sportif

En fait, Jean-Pierre Detremmerie a fait deux promesses difficilement compatibles. Lorsque Saint-Jean a accepté de se retirer, après la défaite contre le Standard en février 2005, il lui a promis que ce ne serait que temporaire et qu’il retrouverait son poste d’entraîneur en fin de saison. En même temps (ou quelques semaines plus tard), il a promis à Broeckaert qu’il resterait entraîneur principal s’il maintenait le club en D1. Il aurait pu faire l’une ou l’autre promesse, pas les deux en même temps.

Pourtant, malgré leurs divergences de vues, Louf, Broeckaert et Saint-Jean se sont tous les trois comportés de façon assez intelligente pour ne pas tirer dans les pieds de l’autre et ont, pour le bien du club, décidé d’adopter un discours commun. Mais, au fond d’eux-mêmes, les divergences de vues ont toujours subsisté.

Lorsque Louf a rejoint le triumvirat, il s’imaginait que, Detremmerie parti, il aurait eu les coudées plus franches. Il a donc commencé son travail, avec un peu de retard, mais l’a mené à bon terme. Il est parvenu à constituer en un temps record une équipe rajeunie, technique, composée de bons joueurs et qui devrait tenir la route sans problème en D1 lorsque les automatismes seront plus accentués. Il a aussi élaboré un budget mieux équilibré qui, à terme, devrait permettre au club de poursuivre son existence plus sainement.

A la reprise, c’est un Excelsior défiguré qui se présente sur la grille de départ. Certains diront que c’est mieux que pas d’Excelsior du tout, mais quand même : le club qui se targue d’avoir le plus beau centre de formation du pays n’aligne que deux Belges dans son équipe de base : SteveDugardein, 31 ans, qui est revenu in extremis dans le club de son c£ur, et MustaphaOussalah, prêté par le Standard. Les autres produits du club ? DaanVanGyseghem ne joue que lorsque SébastienGrimaldi est suspendu, PacoSanchez doit se contenter des matches de Réserve et se décourage, BastienChantry et LorenzoLai ont été prêtés à Mons, JimmyHempte est à Courtrai et JulienCatrain, qui aurait dû jouer à Couillet, est relégué dans le noyau B. Même YassineBenajiba, pourtant considéré comme le filsspirituel de Geert Broeckaert, ne joue plus qu’épisodiquement. C’est un choix de l’entraîneur, mais celui-ci utilise les joueurs qu’on lui a donnés : essentiellement des joueurs français.

Mouscron n’est pas La Louvière

Louf a essayé d’appliquer à Mouscron la même politique qu’à La Louvière. Mais Mouscron n’est pas La Louvière. Au contraire des Hurlus, les Loups n’ont jamais eu de centre de formation. La mentalité est différente également. Louf avait l’avantage de ne pas être mouscronnois, ce qui lui permettait de jeter un regard objectif sur les problèmes du club, mais il avait aussi… le handicap de ne pas être mouscronnois. Il a souvent éprouvé de grosses difficultés à composer avec les personnes en place dans le club depuis de longues années, et qui sont pour la plupart des collaborateurs de longue date de Detremmerie. Un Detremmerie qui n’est plus officiellement président, mais dont l’ombre plane toujours sur le Canonnier.

Louf n’a pas du tout les mêmes idées sur la manière de gérer le club. Il n’était pas d’accord, par exemple, avec la politique des invitations qui fut longtemps en vigueur et qui permettait de gonfler artificiellement les assistances du Canonnier. Avec des gens qui payaient tous leur place, et plus cher, les recettes avaient augmenté en ce début de saison malgré une moyenne de 3.500 spectateurs par match, mais le Canonnier sonnait creux.

Louf n’était pas davantage partisan des longs contrats qui, jadis, étaient monnaie courante au Canonnier et qui furent à l’origine des difficultés financières du club lorsque l’argent se fit plus rare.  » Avec un long contrat, on n’est sûr que d’une chose : on devra payer longtemps « , estime Louf.

Il n’était pas d’accord, non plus, sur la manière de gérer le Futurosport. Il aurait souhaité se concentrer sur le FootElites, alors que Detremmerie tenait absolument à conserver une section sport pour tous.

Il s’étonnait aussi de la manière dont fonctionnait le centre de formation : on y trouvait, d’une part, des entraîneurs néerlandophones amenés par Broeckaert qui privilégiaient l’engagement, et d’autre part des entraîneurs francophones amenés par Saint-Jean qui privilégiaient la technique à la française.

Aujourd’hui, Roland Louf a quitté la cité des Hurlus. Il laissera un vide, car il s’agit d’une personne compétente. Pour la gestion sportive, il n’y aura pas trop de soucis dans l’immédiat : le gros du travail a été fait et l’équipe constituée devrait tenir la route, on l’a dit. Mais il y a tout le reste, toute la gestion du club au quotidien.

Trois mois après sa mise en service, le triumvirat s’est donc réduit à deux hommes : EdwardVanDaele et FrancisD’Haese. Comment vont-ils s’organiser ?  » Pour l’instant, on va rester à deux « , affirme le président Van Daele.  » RolandLouf s’occupait principalement de l’aspect sportif, un peu moins de la gestion quotidienne. Il n’y a pas d’urgence pour le remplacer. On verra si on cherchera une solution interne ou externe « .

Le directeur financier D’Haese tient le même discours :  » Je regrette le départ de Roland Louf, car c’était un excellent collègue. Mais comme on ne fera plus de transfert avant le mercato, on a donc le temps de se retourner pour lui trouver un successeur « .

Qui sera-t-il ? Chaque fois qu’une place se libère pour ce genre de fonction au Canonnier, le nom de StéphanePauwels est cité.  » Il y a cinq mois, j’aurais été partant pour l’aventure « , rétorque-t-il.  » J’avais d’ailleurs été contacté par JeanPierreDetremmerie. Mais aujourd’hui, la donne a radicalement changé. Roland Louf a amené 12 ou 13 joueurs étrangers, qui sont sous contrat pour deux ans, qu’il faudra payer et qui barrent la route aux jeunes. Le Futurosport est à l’abandon, les parents se demandent s’ils doivent encore y laisser leurs enfants alors qu’il n’y a plus d’avenir pour eux en équipe Première. Il n’y a pas de projet, pas d’argent et l’IEG cessera bientôt d’accorder des prêts. Il faudrait recréer une âme, retrouver des sponsors, faire revenir le public. C’est un pari risqué, dans un club où il n’est pas facile de travailler. Je suis heureux à Metz, qui m’a permis de retrouver la Ligue 1 française. J’officie comme recruteur, je suis payé pour voir des matches. Mais bon, si Edward Van Daele veut me voir, je suis prêt à discuter car c’est un type bien et Mouscron est le club de mon c£ur « .

Précisément, il semblerait que le président aimerait le voir et chercherait même à obtenir un rendez-vous…

Daniel Devos

NE PAS êTRE MOUSCRONNOIS était à la fois un avantage et un inconvénient pour Louf

 » LA VRAIE RAISON de mon départ ? N’essayez pas de deviner, vous aurez tout faux  » (Roland Louf)

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