Chilaberk!

Pierre Bilic

Le gardien de but de Strasbourg, adversaire européen du Standard, est-il vraiment un mal nécessaire? Témoignages d’en France.

Avec ses coups de gueule, sa bouille de bagnard, ses 97 kilos pour 1,88 m, ses réactions détestables comme son attitude de lama face à Roberto Carlos (il a craché sur le Brésilien à la fin du match de Coupe du Monde le 15 août dernier), sa présence, sa frappe sur les balles arrêtées et sa langue bien pendue, Jose Luis Chilavert (37 ans) occupe une place à part en Alsace et dans le concert du football mondial.

Admiré ou détesté, le Paraguayen est un solide gagneur, et son arrivée au Racing de Strasbourg au cours de la saison passée avait un peu étonné. Une telle pointure n’était-elle pas plutôt attendue en Italie ou en Espagne que dans l’Est de la France? A l’époque, les Alsaciens filaient déjà du très mauvais coton en championnat. Thierry Debès et Christophe Eggimann n’avaient pas assez de présence. La société de management sportif IMG-McCormack, gestionnaire du club, frappa un coup médiatique en embrigadant Chilavert. Tout le monde avait encore sur la rétine les images de sa très bonne Coupe du Monde 98.

Une star de Video-gag

Journaliste à l’Est-Républicain, Romain Jacquot se souvient de son arrivée à la Meinau et de ses premiers problèmes: « L’annonce de ce transfert secoua l’Alsace. Même si un club comme Strasbourg a les moyens, c’était inattendu et on y voyait un signe d’ambition, le désir de rester à tout prix en D1. Strasbourg en D2, c’est anormal vu la tradition de ce club. Mais quand Chilavert débarqua, on a cru à une séance de Vidéo-gag. Il accusait au moins dix kilos de trop et on se demandait quelle mouche avait pu piquer Strasbourg d’investir plus de 50 millions de FF pour acheter une armoire à glaces ressemblant plus à un haltérophile des années 60 qu’à un footballeur. Strasbourg avait un besoin urgent d’un portier directement compétitif, pas d’un gaillard bon pour une cure d’amaigrissement à Vichy. Ses débuts à Strasbourg furent catatrophiques. Je ne dis pas que les Strasbourgeois avaient l’impression d’avoir acheté un chat dans un sac, mais c’était mal parti. Pour Chilavert, Strasbourg était plus que probablement une échappatoire afin de quitter l’Amérique latine ou il était suspendu.

A 36 ans, il était trop vieux pour être transféré dans un grand club européen. Il y avait son âge et sa réputation sulfureuse. Strasbourg lui convenait bien et je suis sûr que l’homme pensait que c’était un tremplin vers d’autres clubs européens. Il ne s’était plus entraîné depuis cinq ou six mois et avait besoin de retrouver ses sensations et son poids de forme. Avec des hauts et des bas, Chilavert a fait son trou au Racing. Il n’est pas parvenu à maintenir le club en D1 mais il a finalement justifié son transfert en gagnant la Coupe de France. Strasbourg devait s’imposer à Amiens au Stade de France afin de sauver sa saison. La pression était très forte et il n’a pas craqué, a arrêté un tir au but après le 0-0 du temps réglementaire avant de propulser le dernier ballon dans les filets d’Amiens. Strasbourg détenait sa Coupe de France, Chilavert était le héros de la soirée: quelle différence par rapport aux doutes nés lors de son arrivée en France ».

Un vrai pro

Ancien joueur du club, Marc Keller est désormais manager général des Alsaciens. Il n’était pas à Strasbourg quand Jose Luis Chilavert y débarqua. Aujourd’hui, il loue ses qualités et travaille sans problème avec lui: « J’ai découvert un vrai pro. Chilavert sait où il va et son métier n’a aucun secret pour lui. Jose Luis a de la personnalité mais c’est justement ce que ce club cherchait. Alors, pourquoi le lui reprocher? L’homme est bien sûr au centre de l’intérêt, tout le monde vient au stade afin de le voir. C’est une star mais d’abord un homme modeste qui n’a pas peur de relever des défis. Quand le Racing chuta en D2, il ne tarda pas à accepter l’idée de jouer en D2 mais le plus brièvement possible: une saison. C’est dire s’il a envie de retrouver l’élite. Pour lui, il n’y a pas d’alternative. Il veut le titre. Chilavert se donne mais je ne crois pas que son impact soit une source d’épuisement pour l’équipe. Pour gagner Strasbourg a grand besoin d’hommes forts. Il a un mental en acier et ne supporte pas du tout la défaite. Cela a eu un effet entraînant sur ses équipiers. Il a un palmarès superbe et accepte le pari de notre club: j’y vois une preuve d’humilité. Etonnant par rapport à tout ce qui a été dit et écrit, c’est probablement cela le vrai Chilavert. On est plus fort avec un gars comme lui devant nos filets ».

Un gros sac

Transféré à la Louvière cette saison, Claude Arnaud Rivenet a pris part à la finale de la Coupe de France sous le maillot d’Amiens la saison passée. On peut se demander, avec un peu de recul, si un attaquant n’est tout de même pas impressionné par un tel gardien de but? Le coach d’Amiens, Denis Troch, lui avait-il parlé particulièrement de Chilavert? « Non, il ne lui a pas consacré un mot », prétend Claude Arnaud. « Je n’allais tout de même pas m’inquiéter pour ce gros sac. Il n’avait pas sa place sur un terrain de football. Amiens militait en Nationale, l’équivalent de la D3 belge, et beaucoup de gardiens de cette série étaient meilleurs que lui. Jose Luis Chilavert a souvent été ridicule en championnat, lobé sur sa ligne, cloué sur place. Ce n’est pas ce tas de graisse qui devait nous donner la frousse. Il a plus de crédit, car son transfert constituait un fameux investissement à justifier et à amortir, que de jeunes portiers ayant plus d’avenir que lui. Non, on en rigolait avant la finale… Et avec un peu de chance, on en rigolerait encore. Ce n’est qu’un showman et nous lui avons donné les clefs de la scène à Paris. Ce n’est pas lui qui a arrêté le fameux tir au but en finale de la Coupe de France, c’est Jean-Paul Abalo qui l’a mal botté. Puis, Jose Luis Chilavert propulsa le dernier ballon dans nos filets: il tenait son show. Le foot, c’est pas ça, cela ne se résume pas à Jose Luis Chilavert, loin de là »

Un pionnier

Yvon Pouliquen ne partage pas cet avis. S’il s’occupe à nouveau du centre de formation, il avait pris la succession de Claude Leroy en cours de saison passée au poste de coach des Alsaciens: « Je me suis toujours félicité de l’avoir sous mes ordres. Avec lui, on sait qu’on y va toujours pour la gagne. Et il s’entraîne comme il joue: avec la certitude de s’imposer. Non, Jose Luis n’en fait pas trop. Mais tout ce qu’il entreprend se voit au grand jour, n’échappe à personne. Il est notre premier attaquant et son jeu balle au pied est de grande qualité. Techniquement, il ne craint aucun joueur du champ. Ça se sait, ça se voit et personne n’ose l’attaquer quand il quitte son grand rectangle. Il a innové et beaucoup de gardiens n’ont plus peur de s’aventurer dans le jeu. Qui le faisait avant Chilavert? Même Fabien Barthez le copie un peu. Tout n’était pas parfait quand il est venu chez nous. Il n’avait plus joué depuis des mois et il y avait un décalage entre la réalité et son prestige. Chilavert s’est bien remis en question, il a redressé la tête. Strasbourg réalisait une affaire et c’était une opportunité sur le marché des transferts. Tout le monde a été gagnant. Le club car il lui a rendu service et Jose en personne car il est redevenu, sans aucun doute, un des cinq meilleurs gardiens de but au monde. Tout entraîneur souhaite avoir plus d’un Chilavert dans son vestiaire. Je ne crois pas qu’il en fasse de trop en bottant quelques coups francs. C’est une de ses spécialités et je ne vois pas pourquoi Strasbourg devrait s’en priver. C’est un fameux facteur de surprise: sa frappe est puissante et précise. Non, il ne prend pas trop de coups francs à sa charge. Chilavert se connaît très bien, il sait que cela peut être dangereux en cas de contre. On le dit emprunté sur sa ligne. Je ne crois pas. Mais Jose Luis a tout de même trente-sept ans. Il n’est probablement plus aussi rapide qu’un gardien de but de vingt-cinq ans dans les interventions au sol mais il compense très largement par son vécu, son art du placement, sa facilité dans le trafic aérien, etc »

Un vieux débris

Ancien entraîneur-ajoint de Metz, désormais en charge du centre de formation, Christophe Dessy a souvent observé le dernier rempart de Strasbourg: « Pour moi, il est totalement dépassé. Jose Luis Chilavert est le prototype du portier d’une autre époque. Il peut compter sur son pied gauche mais le reste est à l’ancienne. Sur sa ligne, ce n’est pas brillant. Chilavert est plus que massif et il ne déplace pas facilement son poids. Je l’ai vu cloué plus d’une fois sur sa ligne. En cas de rapide déviation dans sa zone, il ne suit pas, cela va trop vite. C’est évidemment un gros handicap dans le cadre d’un sport où tout va de plus en plus vite. A la longue, sa manie de prendre un grand nombre de coups francs à sa charge peut énerver ses équipiers. Oui, il a marqué de beaux coups francs mais, à côté de cela, que de frappes qui ne rapportent rien mais qu’on ne voit pas nécessairement à la télévision. Les centres au deuxième poteau lui posent un problème. Chilavert a ses plus belles années derrière lui. Si les grands clubs européens ne l’ont pas transféré quand il était à son apogée, c’est qu’il y avait un problème de caractère aussi. Je suppose qu’il ne doit pas être facile à gérer où à canaliser dans un vestiaire. Je relève aussi que le football d’Amérique latine génère régulièrement des gardiens hors norme, pas loufoques mais spéciaux: Higuita, Campos, Chilavert. Un Tafarel est un enfant de choeur par rapport à eux mais c’est lui qui a, de loin, le plus beau palmarès »

Une garantie de solidité

Jose Luis Chilavert entretient la polémique partout, donne son avis sur tout, adressant des reproches aux homosexuels, etc. Personnage hors norme que René Hauss (le coach aux trois titres du Standard, de 1969 à 1971), connaît. Hauss a fait toute sa carrière de joueur à Strasbourg. Aujourd’hui, il fait partie de la commission technique du club alsacien: « Chilavert est animé par une très grosse personnalité. C’est un fameux plus dans les combats que sont devenus les matches. A ce niveau-là, on ne rigole pas: on gagne ou on perd. Les investissements sont assez énormes et il faut les justifier. Chilavert n’a pas peur de cela car il a l’habitude du stress et de la pression. Il est rassurant quand le temps est à la tempête. J’ai parfois discuté avec lui et j’ai découvert un homme intéressant. Quand je le croise, il est poli et vient à ma rencontre. Il parle désormais français et l’image du Chilavert de tous les jours ne cadre pas avec sa réputation. Il se connaît très bien, c’est d’abord un grand professionnel qui veut remonter en D1, après avoir gagné la Coupe de France. Puis, derrière tout cela, il prépare la Coupe du Monde. Non, il ne botte pas tous les penaltys. Teddy Bertin le fait aussi même s’il en raté un cette saison. Pour moi, il n’y a pas de bonne équipe sans un gardien de but à la hauteur. C’est aussi ce qui a fait la légende du Standard. J’y ai travaillé avec deux monuments: Jean Nicolay et Christian Piot. Au début des années 70, Piot me parla d’un gamin de douze ou treize ans qui irait très loin: Michel Preud’homme. Un bon gardien est forcément la première brique. C’est exactement ce que Jose Luis Chilavert est à Strasbourg » .

Dia 1

Pierre Bilic

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire