Chihuahuas

Pierre Bilic

Les Rouches ressemblent trop au chien de leur arrière gauche : ils aboient mais ne mordent pas.

Cooper veille au grain chez Philippe Léonard. Il n’est pas grand et on dit même qu’avec son poids moyen de 1,3 à 1,8 kilo, le chihuahua, originaire du nord du Mexique, est le plus petit des chiens.

On peut le glisser dans le sac à main de Madame ou dans la poche intérieure de la veste de Monsieur afin de passer inaperçu au resto. Extrêmement attaché à ses maîtres, le chihuahua est un excellent chien de garde et donne l’alerte au moindre bruit insolite. Mais se faire traiter de chihuahua n’est pas nécessairement un compliment. Quand notre ex-ministre des Affaires étrangères Louis Michel critiqua l’engagement américain en Irak, George W. Bush traita les Belges de… chihuahuas !

A Beaufays, Cooper surveille pourtant la belle collection de maillots encadrés qui orne le hall de la magnifique maison de Philippe et de sa compagne, Marion. Il n’y a que du beau monde au mur : Rivaldo, Marc Overmars, Vladimir Jugovic, LuisFigo, Marco Simone, Alessandro Del Piero, etc.

A la fin de la saison, le Liégeois n’y ajoutera pas la tenue d’un adversaire de la finale de la Coupe de Belgique. Charleroi a éliminé le Standard sur ses terres, en huitièmes de finale, au terme d’un match qui laissera des traces dans les têtes liégeoises. Miné par les attaques d’une méchante grippe, Philippe Léonard renonça à cette bataille sur le coup de 18 h 30. Il passa la soirée à l’hôpital, fut examiné des pieds à la tête et eut juste le temps d’écouter la fin de cette joute à la radio : 1-0 par Karel Geraerts, égalisation par Toni Brogno à l’ultime seconde des prolongations, raté de Sergio Conceiçao dans le dernier tir au but des Rouches, 3-4 par Frank Defays et qualification des Zèbres.

 » Pour notre club, c’est évidemment une catastrophe « , avance Philippe Léonard.  » Le Standard doit se retrouver chaque année au minimum dans le dernier carré. La Coupe est le chemin le plus court menant à l’Europe. Cette élimination est d’autant plus malheureuse que, sur papier, nous avons un noyau talentueux. Il n’y a pas mieux en Belgique. Aucun club ne possède autant d’atouts que nous mais le collectif n’est pas encore parfait. Et je ne cherche pas d’excuses. Les arrivées et les départs ne peuvent pas être des explications. Cela fait partie du football actuel. Un joueur professionnel doit être rapidement concret et compétitif dans n’importe quel groupe. Nous n’avons pas le droit de nous plaindre. Tout passera désormais par le tiercé de fin de championnat. Le Standard n’a plus d’autre choix. Je ne peux imaginer que nous ne soyons pas européens à la fin de la saison. Bilbao, Charleroi : ce sont des épreuves très dures à vivre « .

 » L’équipe penche trop à droite  »

L’absence de Léonard (malade) et d’ Eric Deflandre (mal de dos), en Coupe mais présents à Charleroi, révéla les problèmes habituels, quasiment récurrents depuis des mois. Conceiçao renforce évidemment l’équipe mais monopolise trop le ballon, entraînant le tout dans un marécage tactique sur la droite du terrain. Jacky Mathijssen, le coach de Charleroi, l’a neutralisé en lui collant Ibrahim Kargbo sur le dos. Ce dernier l’empêcha de respirer, de dribbler, de lever la tête. C’était un marquage à l’italienne qui a réduit le potentiel offensif liégeois. Au point de le dégoûter avant le voyage à Charleroi? L’entraîneur des Zèbres ne cacha pas que Kargbo fut le premier nom qu’il nota dans sa toile tactique. Quand Conceiçao s’englue, l’équipe n’est plus équilibrée. L’aile gauche est dès lors absente du débat. A ce jeu-là, Milan Rapaic ne sert à rien et paye la note aux yeux du public qui attend plus de sa part.

 » L’équipe joue et penche trop à droite « , avance Philippe Léonard.  » Sergio Conceiçao demande la balle durant 90 minutes et l’obtient sans cesse. C’est trop et ce n’est bon ni pour lui ni pour l’équipe. Si Sergio, qui est un énorme joueur, surgissait de façon inattendue, ce serait intéressant pour lui et pour tout le monde. A la fin, il est facile de jouer face à nous. Si l’adversaire sort Sergio Conceiçao du match, notre richesse offensive diminue de 40 à 50 %. Ce n’est pas normal. Quand il exige la balle, il ne faut pas lui donner automatiquement parce que c’est Sergio Conceiçao. Non, il faut aussi chercher d’autres pistes. Je l’ai dit, je ne cesse de le crier et Milan Rapaic aussi : à gauche, à gauche, pas toujours à droite. Quand cela passe à gauche, c’est souvent dangereux et intéressant pour des spécialistes du trafic aérien comme Sambegou Bangoura et Cédric Roussel. La présence de Matthieu Assou-Ekoto a tempéré ce problème. Il récupère, assume son rôle d’essuie-glaces et empêche qu’on penche sans cesse à droite « .

Les équilibres furent au centre des débats lors du stage d’hiver au Portugal. En moins de six mois, Léonard a joué avec une flopée de joueurs devant lui : Michel Garbini, Miljenko Mumlek, Gonzague Van Dooren, Aleksandar Mutavdzic, Sergio Conceiçao, Milan Rapaic. Enorme. Le Standard vogue entre le 4-3-3, comme en Coupe de Belgique, et le 4-4-2, d’application à Charleroi sans Conceiçao.  » Nous devons tous penser de la même façon à chaque instant du match « , prétend Léonard.  » Cela signifie que l’équipe doit attaquer et défendre en bloc. Or, ce ne fut pas toujours le cas. Nous avons parfois joué comme des chiens fous trop attirés par le ballon. Même en défense. Les décalages et les couvertures n’ont pas toujours été bons. Quand je suis surpris par mon adversaire, Ogushi Onyewu ne doit pas passer devant Ivica Dragutinovic pour tirer la couverture sans quoi c’est la soupe dans l’axe. Chacun doit dialoguer et fonctionner dans sa zone et réfléchir à tout ce qu’on fait. Cette absence de maîtrise de nos atouts nous a souvent coûté très cher. Physiquement, on n’a eu qu’une panne à St-Trond où nous avons manqué de fraîcheur. Les potentialités sont évidentes. A Monaco, j’ai joué dans des équipes qui étaient certaines de gagner avant le début des matches. Elles étaient confiantes, puissantes, certaines de leurs atouts. C’est une force, un plus mental. Le Standard ne vit jamais dans cet état d’esprit et, malgré ses atouts, chaque succès est acquis à l’arraché. C’est épuisant. Cette équipe est capable du meilleur et du pire. Or, pour avancer, il faut être régulier. Nous ne le sommes pas. J’étais suspendu pour le match contre Bilbao. L’ambiance était superbe. Tout était en place mais l’équipe rata le rendez-vous « .

Louis de Funès n’en croirait pas ses yeux

Il reste beaucoup de pain sur la planche mais Philippe Léonard est très heureux d’être revenu en Belgique. La vie n’est pas comparable à l’existence qu’on mène à Monaco où il y a le ciel, le soleil et la mer…  » Le matin, au saut du lit, il fait beau et on a envie de faire des tas de choses « , dit-il.  » Ici, la pluie dicte le ton. Le sentiment de liberté n’est pas le même en Belgique. On vit plus à l’intérieur. Je suis résident monégasque. J’ai un appartement là-bas et j’y tiens. Pas pour la vie mondaine. Les footballeurs ne font pas partie de la jet set et de la vie nocturne. Ma compagne, Marion, y retourne une fois par mois pour faire le plein de soleil. J’adore le sud de la France. Au fil des années, j’ai appris à connaître ce coin et, de l’autre côté de la frontière, Vintimille, Sanremo, la Riviera. J’apprécie la cuisine italienne. Il m’arrive de savourer un verre de vin mais je ne suis pas un £nologue comme Michaël Goossens. Jean-Luc Campora m’a permis de découvrir d’excellents vins blancs « .

Marion a une pointe d’accent du midi et du soleil dans ses cheveux et son regard. Louis de Funès n’en croirait pas ses yeux. Cette jeune femme spitante est originaire de Saint-Tropez. Une gendarmette en Belgique ? S’est-elle glissée dans un paquebot, comme le fit Nicole, la fille de Cruchot afin d’accompagner les gendarmes à New York ? A Saint-Tropez, ses parents ne vivent pas dans les locaux de la plus célèbre gendarmerie du monde et gèrent une boutique de prêt-à-porter pour enfants. Philippe Léonard n’a pas dû se déguiser en adjudant Gerber afin de l’enlever.

 » La Belgique est intéressante « , dit-elle.  » Je découvre d’autres habitudes. C’est chouette et en jouant au Standard, Philippe s’est rapproché de ses parents et de sa fille. On verra ce que l’avenir nous apportera « .

Avec le temps, Philippe a appris à mettre le nez à la fenêtre, à vivre pleinement son métier tout en ouvrant de plus en plus les yeux sur le monde.  » Avant de signer au Standard, j’ai découvert New York avec Marion « , raconte-t-il.  » J’avais hésité entre New York et Rome avant d’opter pour l’Amérique. Marion connaît l’Amérique et a des amis joailliers installés là-bas. A l’aéroport de New York, un des officiers du service de l’immigration m’a reconnu. Je n’en revenais pas : il suivait le championnat de France. Ces cinq jours passés à New York furent fabuleux. Nous avons vu des tas de choses : l’Empire State Building, Wall Street, Central Park, Ground Zero, etc. Nous logions à Time Square. Il m’arrivait de me promener seul le soir afin d’admirer cette ville. Un jour, Marion m’a retrouvé dans un magasin où j’achetais des cassettes vidéo. Or, je ne l’avais pas prévenue et elle ne savait pas où je me rendais « . N’est pas qui veut gendarmette de Saint-Tropez. Philippe Léonard a une tante à San Francisco. Il envisage de lui rendre visite et de découvrir la Californie.

Le 14 février prochain, jour de la Saint-Valentin, il fêtera ses 31 ans. Le temps de sa flamboyante et belle jeunesse s’est déjà éloigné mais, de plus en plus mûr, le Liégeois ne songe pas du tout à rétrograder de vitesse.

 » Il n’y a qu’en Belgique et en France qu’un joueur est jugé sur le retour une fois le cap de la trentaine dépassé « , prétend-il.  » Or, d’après moi, c’est le virage qui mènent aux années les plus pleines d’un sportif de haut niveau. En général, il a beaucoup vécu, connaît toutes les ficelles du métier. En Italie, en Espagne ou en Angleterre, il n’est pas rare qu’un joueur signe un contrat à 35 ou 36 ans. Personne n’y voit le moindre problème. Je jouerai le plus longtemps possible. Cela me permet de bien gagner ma vie mais j’éprouve d’abord un grand plaisir à exercer mon métier. Tant que ce sera le cas, il n’y a aucune raison d’abandonner le football. Puis, plus tard, je me partagerai entre Liège et Monaco « .

En attendant, il faudra redresser la barque liégeoise sans quoi les Rouches seront les chihuahuas du top belge…

Pierre Bilic

 » Nous n’avons PAS LE DROIT DE NOUS PLAINDRE  »

 » Si l’adversaire sort Sergio du match, NOTRE RICHESSE OFFENSIVE diminue de 40 à 50 %  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire