Chiant, le banc…

Les Loups de Bruxelles ont un goût de cendre en bouche.

Les Espoirs se sont produits mardi dernier en Islande ; Michaël Cordier (23 ans) était à Bruxelles. Les Diables ont joué le lendemain au Kazakhstan : Silvio Proto (24) était lui aussi coincé dans la capitale. Cherchez l’erreur. Un Cordier titulaire dans son club figure à coup sûr dans le noyau de Jean-François de Sart. Un Proto numéro 1 chaque semaine doit logiquement être le premier choix de René Vandereycken. Mais ils sont condamnés à cirer le banc – quand ce n’est pas un siège de tribune – au Brussels et à Anderlecht, et n’ont donc plus leur place dans le concert international. Leurs statistiques depuis le début de la saison dernière sont à pleurer : 16 matches pour Cordier, 3 pour Proto. Dans le championnat actuel, Proto n’a pas encore joué une seule minute et Cordier a eu besoin de l’exclusion de Patrick Nys à Mons, samedi dernier, pour enfin tâter du terrain. Et pourtant, ils sont en pleine forme physique. Proto, Cordier : deux potes, deux gardiens de but, presque le même âge, la même taille et le même poids, une éclosion à La Louvière. Voilà pour les principaux points communs. La grosse différence dans leurs situations respectives ? Proto est barré à Anderlecht par un Daniel Zitka qui tient la forme de sa vie depuis plus d’un an tandis que Cordier est privé d’équipe A par un papy de 38 ans, Patrick Nys, qui n’impressionne pas grand monde.

Vous êtes repartis pour une saison noire ?

Silvio Proto : Pour moi, il n’y a rien de noir. J’ai été gravement blessé, je sais ce que c’est d’être vraiment dans le trou. Aujourd’hui, je suis complètement rétabli : pour moi, il fait donc gris plutôt que noir.

Michaël Cordier : Je veux rester positif. Je travaille toujours aussi sérieusement en me disant que la roue finira inévitablement par tourner, que mon tour reviendra. Je ne m’emballe pas sous prétexte que je viens de rejouer : pour ça, il a fallu un fait de match, la carte rouge de mon concurrent. Sans cela, je serais à nouveau resté sur le banc. J’y crois toujours mais je n’estime certainement pas encore que je suis enfin relancé pour de bon.

Vous vous efforcez de voir les choses du bon côté mais vous visiez quand même tout autre chose !

Proto : Dans les moments difficiles, je me dis qu’il vaut mieux ronger son frein à Anderlecht que faire un pas en arrière en passant dans un autre club belge. J’aurais pu partir cet été mais j’ai préféré rester parce que les propositions ne m’intéressaient pas. Anderlecht était prêt à discuter, on m’avait fait comprendre qu’on souhaitait me conserver mais qu’on ne me mettrait pas de bâtons dans les roues si je voulais vraiment aller voir ailleurs. Il ne faut pas oublier que le Sporting est un club qui gagne des titres et que les entraînements ici valent les matches d’un paquet d’autres équipes du championnat. C’est dur de ne pas jouer mais je n’ai pas l’impression de perdre mon temps.

Le titre de la saison dernière, c’était un tout petit peu le vôtre quand même ?

Proto : Non. C’est Daniel Zitka qui a fait tout le travail. J’ai joué un match complet et je suis monté dans un autre : je n’ai donc pas gagné le championnat.

Vos entraîneurs vous ont relancés tout en fin de saison : des cadeaux ?

Cordier : J’ai pu jouer contre Charleroi, Anderlecht et Genk, trois chouettes matches. C’était déjà ça. Le Brussels était sauvé, c’est pour cela que le coach m’a fait rejouer. Je ne me suis pas posé de grandes questions mais je ne peux pas oublier qu’avant ces matches-là, je suis resté plus de quatre mois sur le banc.

Proto : Je pense que c’était une récompense pour tout le travail que j’avais fourni depuis ma blessure.

Que devrez-vous faire pour retrouver votre place ?

Proto : Zitka est incontesté pour le moment parce qu’il est incontestable. Je n’ai qu’une chose à faire : tout donner à l’entraînement pour être prêt le jour où Frankie Vercauteren aura besoin de moi. Si Anderlecht se qualifie pour les poules de la Coupe de l’UEFA, les matches s’enchaîneront, le coach aura besoin de tout le monde et il devra peut-être laisser souffler Zitka de temps en temps.

Cordier : Je ne sais pas ce que je dois faire. Me donner à fond en semaine ? Je l’ai toujours fait. Moi aussi, je bosse pour être prêt en permanence. Nys sautera peut-être s’il fait de grosses erreurs. Je n’en sais rien…

Le week-end dernier, il a déclaré qu’il pourrait subitement mettre fin à sa carrière, suite à son exclusion à Mons.

Cordier : C’était une réaction à chaud, on le connaît. Ce n’est pas la première fois qu’il menace de stopper. Je n’y crois pas.

Proto :  » A la loyale, personne ne m’a sorti du but « 

Que vous dit votre entraîneur ?

Proto : J’ai déjà abordé mon cas avec Vercauteren mais je ne peux que lui donner raison quand il garde sa confiance en Zitka.

Cordier : Albert Cartier ne m’a jamais rien dit. Et comme ce n’est pas mon style d’aller poser des questions au coach, les échanges sont limités. Je n’espère même pas avoir des explications. Un concurrent joue, c’est comme ça, point à la ligne. Je ne me prends plus la tête. Même après mon entrée subite à Mons, il ne m’a pas dit un mot.

Vous semblez tous les deux fort patients mais ça commence à faire long, non ?

Proto : Je ne vois pas les choses comme ça parce que je suis conscient que je reviens de loin. Mon genou a explosé en avril 2006 et il y a eu des périodes où je n’étais plus du tout convaincu de pouvoir récupérer mon niveau. Aujourd’hui, je sais que je suis de nouveau à 100 %, et quand j’y pense, ça me fait du bien, ça m’aide à relativiser mon statut de réserviste. J’ai perdu ma place à cause d’un accident, pas parce que j’étais moins bon que mon concurrent. A la loyale, personne ne m’a sorti du but. Tout cela me rassure. Et si je quittais définitivement Anderlecht, je garderais éternellement un goût d’inachevé parce que je ne serais pas parvenu à me rendre indispensable dans le club où je rêvais de jouer.

Cordier : A part être patient, qu’est-ce que je peux faire ? Je me dis que je suis encore jeune, que je ne suis pas fini.

Proto : Quand on saute de l’équipe à cause d’une décision de l’entraîneur, on se pose des questions. Moi, je n’ai que des certitudes et je n’en veux à personne. La situation de Michaël est beaucoup plus frustrante que la mienne.

Cordier : Je me suis posé des questions au début, mais il y a longtemps que c’est fini.

Estimez-vous que l’entraîneur avait de bonnes raisons de vous retirer de l’équipe, en décembre 2006 ?

Cordier : J’ai sauté à cause d’un moins bon match à Beveren, où j’ai coûté un point au Brussels. A côté de ça, j’en ai gagné.

Patrick Nys vous est-il tellement supérieur ? Ce n’est pas l’avis des gens du foot, en tout cas. Il perd plus de points qu’il n’en gagne !

Cordier : Tout le monde autour de moi me dit la même chose. A la fin, ça devient chiant d’entendre continuellement que je suis meilleur que Nys parce que ça ne change de toute façon rien. Mon concurrent s’entraîne, il joue, et voilà…

On le dit très, très proche de l’entraîneur ?

Cordier : Joker. C’est un ancien du club.

Il porte trois casquettes : titulaire, confident du coach et futur entraîneur des gardiens…

Cordier : Tant mieux pour lui.

Le président parle souvent de donner une chance au jeune talent belge : quand on voit que vous êtes réserviste et que d’autres jeunes belges ont été expédiés dans le noyau B, c’est étonnant comme discours.

Cordier : Il a dit ça ? Les discours, c’est beau, mais il faut encore savoir les mettre en pratique.

Cordier :  » Il faudra une solution en janvier « 

Vous avez connu le statut de numéro 3 : l’affront suprême ?

Proto : J’ai râlé la saison dernière quand Vercauteren m’a mis numéro 3 après mon retour de blessure, parce que je me sentais tout à fait prêt. Mais aujourd’hui, je me dis qu’il avait peut-être raison, que Davy Schollen était peut-être mieux que moi. Depuis le début de cette saison, je suis à nouveau numéro 2. Cela veut dire que je peux monter au jeu à tout moment : ce sont des sensations très différentes de celles que l’on a dans la tribune. Pendant l’été, j’ai senti que j’étais redevenu un concurrent pour Zitka, je l’ai aussi entendu. Mais il est resté dans l’équipe parce qu’il avait gagné beaucoup de crédit la saison passée. Nous ne repartions pas vraiment à égalité de chances. Ce n’était pas anormal.

Cordier : Quand Albert Cartier nous a annoncé qu’il allait faire une tournante entre Olivier Werner et moi pour la place sur le banc, j’ai été surpris. Mais je m’y suis habitué, comme je m’étais habitué à ma situation de la saison dernière. Que ce soit une bonne ou une mauvaise décision, c’est le choix du coach et je n’ai plus qu’à l’accepter. Pour moi, il faut une hiérarchie claire dans un noyau : un premier gardien, un deuxième et un troisième. Mais bon…

Vous semblez devenu vraiment fataliste !

Cordier : (Il lève les yeux au ciel et ne répond pas).

L’entraîneur doit bien avoir des raisons pour justifier cette tournante ?

Cordier : Il pense peut-être que Werner est aussi bon que moi. Ou il se dit que c’est mieux pour la répartition des primes et la motivation. Je n’en sais rien.

Proto : Avec l’âge, on apprend sans doute à être plus fataliste.

Cordier : Ce que je vis pour le moment me servira dans la suite de ma carrière. Ça, c’est certain.

Vous ferez à nouveau le point en janvier ?

Proto : Certainement. Je me plais beaucoup à Anderlecht, je réalise un rêve de gosse en étant dans ce club, mais mon statut de réserviste ne peut pas non plus durer éternellement.

Cordier : Oui, oui, oui, je ferai le point ! Il faudra trouver une solution si je ne rejoue toujours pas à ce moment-là. Je ne peux quand même plus perdre trop de temps. Mon ambition est toujours de défendre le but du Brussels, mais je devrai peut-être aller voir ailleurs si on ne veut pas de moi sur le terrain.

Vous êtes allé passer un test en Angleterre au mois d’août : pourquoi n’y avez-vous finalement pas signé un contrat ?

Cordier : Le Brussels a mandaté des agents pour qu’ils me cherchent un club, ces gens-là ont pris contact avec mon manager pour lui proposer un test à Luton Town, en D3. Je n’étais pas du tout demandeur, mais puisque le Brussels avait envie que j’aille passer quelques jours là-bas, j’y suis allé. C’était une bonne expérience, un chouette mini-trip. J’ai vu l’Angleterre et un club sympa, familial, très pro.

Le Brussels voulait vous louer ou vous vendre ?

Cordier : Aucune idée. Moi, je suis de toute façon parti en sachant que je voulais rester au Brussels et récupérer ma place dans l’équipe. J’estime qu’il est trop tôt pour partir à l’étranger : je veux d’abord m’imposer en Belgique. L’Angleterre m’a toujours fait rêver, mais pas pour tout de suite.

Luton Town a voulu vous prendre, après ce test ?

Cordier : Je n’en sais rien, je n’ai plus jamais eu de nouvelles.

Vous êtes tous les deux sous contrat jusqu’en 2010 : ces contrats de longue durée ne sont-ils pas surtout devenus des boulets ?

Proto : Non. Je travaille dans des conditions idéales et je sais que je peux rentrer dans l’équipe à tout moment. Je ne me suis jamais dit que je m’étais engagé pour un trop grand nombre d’années.

Cordier : Je ne vois pas mon contrat comme un boulet. Que veut encore dire un contrat dans le foot moderne ? Que l’on signe pour un, deux, trois ou cinq ans, ça ne fait plus guère de différence. J’ai une certaine sécurité mais ce n’est pas parce que je me suis engagé jusqu’en 2010 que je ne partirai pas plus tôt.

Proto : Finalement, j’ai l’impression que les gens de l’extérieur se font plus de mauvais sang que moi. C’est vrai, il me manque les matches, qui sont le dessert du bon repas pris en semaine. Mais le plat consistant – les entraînements – n’est pas mauvais du tout… Ma situation actuelle ne m’empêche pas de vivre et d’être heureux.

Et si tout était à refaire ?

Cordier : Je viendrais encore au Brussels. J’ai signé ici car j’étais convaincu que c’était le style de club qui pouvait me permettre de gravir patiemment les échelons pour m’amener au sommet. Je n’ai pas changé d’avis. Autour de moi, on me rappelle régulièrement que j’ai commis une erreur en refusant l’offre du Standard ou celle de Gand. Mais je ne veux pas me retourner. J’assume mon choix et je sais qu’il peut être gagnant au bout du compte si je reviens dans l’équipe.

Proto : Je ne vis pas avec les regrets. Je ne regrette qu’une chose : ma blessure, surtout parce qu’elle est arrivée à un très mauvais moment. J’étais bon avec Anderlecht en championnat, j’avais fait une belle campagne personnelle en Ligue des Champions, j’étais indiscuté chez les Diables Rouges. Tout s’est écroulé du jour au lendemain.

Comment jugez-vous le début de saison de votre équipe ?

Cordier : Très bon ! (Il éclate de rire).

Proto : Anderlecht a un super groupe qui a pris plein de points dans les premiers matches de championnat en ne jouant pas nécessairement très bien. Qu’est-ce que ça va donner quand le Sporting tournera à plein régime ? Le jour où l’équipe sera bien en place, ça ira comme sur des roulettes. C’est sûr, ça.

Cordier : Hé, calme-toi…

Au tour préliminaire de la Ligue des Champions, les roulettes étaient un peu bloquées.

Proto : C’est malheureux. Maintenant, il faut viser un bon parcours en UEFA. Nous avons tous pris un coup sur la tête mais il faut oublier ce qui n’a pas marché et se concentrer sur d’autres objectifs.

Cordier : Nous aussi, on vise l’UEFA. En 2060. ( Il éclate à nouveau de rire). Non, sérieusement, le Brussels doit pouvoir s’en sortir. Le groupe n’est pas mauvais, mais le début de calendrier difficile et la défaite à domicile dès la première journée, contre Westerlo, ont compliqué toute la suite.l

par pierre danvoye

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