» Chez les Diables, on va tous avoir 25 ans. Les gamineries, c’est terminé ! « 

Revenu à son meilleur niveau, Marouane est devenu une icône à Everton et une référence dans le championnat anglais

Lendemain de derby, la ville soigne sa gueule de bois. Les éboueurs nettoient les abords d’Anfield, le stade de Liverpool, qui gardent encore les stigmates de ce 217e derby de la Mersey. Un peu plus loin, à la sortie de la ville, on aperçoit une énorme affiche publicitaire, représentant un supporter lambda et Marouane Fellaini, et invitant les gens à rejoindre la communauté des Toffees. Signe de reconnaissance et de l’énorme popularité de l’international belge auprès des fans d’Everton.

 » Même quand j’ai mal, je joue. Cela plaît aux supporters. Aujourd’hui, ils savent ce que je peux apporter au club. Ils me reconnaissent dans la rue et me remercient. C’est aussi pour cette raison que j’ai quitté le centre-ville. Je ne pouvais plus sortir sans être dérangé. « 

Désormais, c’est dans la banlieue verte de Manchester, à 40 minutes de Liverpool, qu’il a élu domicile. C’est d’ailleurs dans un hôtel, à quelques pas de chez lui, qu’il nous reçoit. Egal à lui-même : détendu et disponible.  » J’ai toujours préféré le calme à la ville. Ici, je suis dans mon élément. Pour faire carrière, j’ai compris que je devais me reposer beaucoup. Quand j’évoluais au Standard, je ne faisais jamais la sieste. Désormais, mon corps me réclame du repos. D’ailleurs, à la fin de l’interview, je retourne chez moi dormir un peu. « 

Après avoir marqué l’histoire du Standard, as-tu l’impression d’entrer dans la légende d’Everton ?

Pas tant que je n’aurai pas remporté de trophée. Si j’avais gagné la finale de la Cup en 2009, j’aurais écrit une page de l’histoire du club. Mais on a perdu.

Everton n’a pas existé dans le derby !

Non. Liverpool a fait parler l’expérience et le réalisme. Steven Gerrard se retrouve trois fois dans le rectangle et marque à trois reprises. C’est la différence entre Liverpool et Everton. De plus, on avait effectué six changements par rapport à notre victoire contre Tottenham (1-0) trois jours plus tôt. Notre manager n’avait pas le choix. On disputait une rencontre importante face à Sunderland en quarts de finale de la Cup quelques jours plus tard.

A Everton, c’est toujours le même scénario : un départ raté et un deuxième tour canon…

C’est dommage qu’on commence mal nos championnats. Je ne sais pas pourquoi on est toujours mauvais en été. Cette saison, il y a un début d’explication : Everton est la seule équipe à ne pas avoir effectué de transferts. Dans ces conditions, cela devient compliqué de rivaliser avec des équipes qui n’arrêtent pas d’acheter et de se renforcer.

Vos supporters ont longtemps été patients mais cette saison, ils ont mené des manifestations pour protester contre le manque d’ambition d’Everton…

C’est normal qu’ils tiquent quand ils voient qu’on se bat contre la relégation en octobre. Pour se hisser au niveau de Newcastle ou Tottenham, il faut investir. Et je ne parle même pas de Manchester City.

Il manque un buteur devant ?

Oui mais Nikica Jelavic, transféré des Rangers en janvier, m’a fait bonne impression contre Tottenham. Peut-être avons-nous trouvé le chaînon manquant…

Il vous reste la Cup ?

C’est devenu le grand objectif de la saison ! La demi-finale se déroule à Wembley et voir Wembley, c’est un peu un aboutissement en Angleterre. Je me souviens encore de la finale en 2009. Il s’agit d’ailleurs du meilleur souvenir de ma carrière avec le match du titre contre Anderlecht un an plus tôt.

 » J’ai voulu rendre la pareille à Everton « 

Tu as mis quelques semaines avant de retrouver le rythme. Désormais tu te situes à ton meilleur niveau mais ton jeu a évolué depuis ta première saison anglaise : tu marques moins et tu prends moins de cartes jaunes…

Je jouais milieu offensif la première année. Mais cette place ne me manque pas. Je ne suis pas un buteur. Si tu prends toutes les occasions que j’ai galvaudées cette saison, il y avait de quoi finir meilleur buteur du club. Selon les statistiques, de tous les joueurs d’Everton, c’est moi qui frappe le plus au but. Mais il y a des arrêts et des ratés… Et puis les adversaires me connaissent mieux. Sur corner, au marquage, on me met souvent le plus grand ou le plus costaud.

Et les cartes, c’est une leçon de tes blessures ?

Non, non. Je mets toujours le pied. J’ai le même impact physique mais j’ai plus d’expérience et de maturité. Il y a quatre ans, j’avais encore la fougue de la jeunesse ; je voulais absolument récupérer tous les ballons comme si ma vie en dépendait. Ce que je réussissais au Standard ! J’ai compris qu’en Angleterre cela n’était plus possible.

Les compliments des managers anglais portent surtout sur ton volume de jeu et ta capacité à jouer sobrement…

Je joue sur mes qualités. Je sais ce que je peux faire et ne pas faire. C’est ce qui fait ma force.

Que te reproche-t-on ?

Parfois, lors des séances vidéos, le manager, David Moyes, me demande de tourner le jeu plus vite. Je prends toutes les critiques et puis, je fais ma propre analyse et j’essaie de me corriger. Par exemple, pour le moment, je trouve que je ne suis pas assez efficace. J’aimerais marquer trois, quatre buts avant la fin de la saison.

Pourquoi avoir prolongé alors que tu finis ta quatrième saison à Everton ?

Il me restait un an et demi de contrat et cela faisait six mois qu’on négociait. Les dirigeants d’Everton sont venus me chercher en Belgique à une époque où il n’y avait pas de joueurs belges en Angleterre. Ils m’ont tendu la main, m’ont acheté un certain prix et je trouvais normal de leur rendre la pareille en signant un nouveau contrat.

Mais à un an de la fin de ton contrat, des clubs plus prestigieux n’auraient pas manqué la bonne affaire…

C’est possible mais je ne voyais pas les choses de cette façon.

Si un grand club fait une grosse offre, tu pars ?

Je ne sais pas. J’ai une clause dans mon contrat. Si un club est prêt à tout pour m’avoir, je tenterais le coup. Mais je ne cherche pas absolument un nouveau défi. Je suis bien conscient que désormais mon prix n’est plus le même que s’il ne me restait qu’un an de contrat.

Tous les grands ont un jour ou l’autre lorgné de ton côté…

Mais c’est normal. Cela fait quatre ans que je joue en Angleterre. Je compte près de 100 matches de Premier League puisqu’à chaque fois que je suis fit, je suis titulaire. On me connaît et tant mieux si on m’apprécie. A moi de travailler pour franchir le dernier palier qui me sépare d’un club du top. J’estime que j’en ai le niveau. Et tant que je n’en ferai pas partie, je ne saurai pas le prouver.

Cela signifie que tu stagnes un peu ?

Non. J’ai progressé chaque saison mais il ne faut pas oublier que j’ai été deux fois blessé lourdement. Cela m’a freiné.

C’est pour cette raison que tu es toujours à Everton ?

Peut-être. Et puis sans doute aussi parce que je me sens bien ici. Everton est un club familial qui comprend pas mal d’internationaux. On ne bat pas Manchester City, Chelsea, Tottenham en quelques semaines s’il n’y a pas de talent.

Everton ne constitue pas pour autant un aboutissement ?

Non, je rêve d’un grand club, de disputer la Ligue des Champions.

Ta prolongation, c’est le retour des ambitions sportives pour Everton ?

J’espère qu’avec le temps, Everton va devenir un top club. Car, je n’aimerais pas revivre une saison comme celle-ci. Les propriétaires affirment qu’ils veulent progresser et j’espère qu’ils vont tout faire pour.

Qui sera champion cette saison ?

City a montré du plus beau jeu qu’United lors du premier tour. Mais depuis le début de l’année, les Citizens peinent un peu. A United, je trouve formidable le retour de Paul Scholes. Il revient comme si de rien n’était et a un impact énorme sur le jeu.

 » Si on ne va pas au Brésil, ce sera un énorme échec « 

Quatre ans après ton départ du Standard, on continue à parler de ton transfert. Tu as conscience d’être un précurseur et d’avoir ouvert des portes aux autres joueurs belges ?

C’est vrai que peu de Belges partaient en Angleterre. La tendance s’est inversée. C’est bien pour l’équipe nationale. J’ai ouvert une belle porte.

Tu restes modeste mais toi, l’immigré marocain, qui deviens le symbole du produit belge, c’est un beau reflet de la Belgique multiculturelle, non ?

C’est vrai. C’est le signe d’une intégration réussie. Cela me rend fier. C’est normal, non ?

Quel regard portes-tu sur ton parcours ?

Je peux vivre mon rêve parce que j’ai bossé pour y arriver. Et puis, il y a toujours une part de chance. Un premier match au Standard qui se passe bien, un match contre Liverpool que j’aurais pu ne pas disputer si j’étais resté aux Jeux Olympiques, etc.

Parlons de ceux qui t’ont suivi en Angleterre avec des réussites (Mignolet, Vermaelen, Kompany) et des échecs (Lukaku) ?

La situation n’est pas la même. Kompany avait déjà l’expérience et la maturité quand il est arrivé à City. Vermaelen avait disputé quelques saisons à l’Ajax. Tandis que Lukaku n’avait que deux saisons à Anderlecht dans les jambes et pas le même âge.

Mais toi aussi, tu n’avais que deux saisons dans les jambes quand tu as signé à Everton…

Ce n’était pas Chelsea mais Everton. A Chelsea, il subit la concurrence de Fernando Torres, Daniel Sturridge, Didier Drogba et Salomon Kalou. Il n’a pas fait un choix facile mais à lui de trouver les solutions : un prêt ou continuer à s’entraîner avec Chelsea.

Tu lui conseillerais quoi ?

Un prêt. Pour jouer et franchir un palier. C’est comme cela qu’on apprend. En accumulant les rencontres.

Un autre Belge suscite les éloges : Moussa Dembélé…

On n’en parle pas assez en Belgique. Ici, il est considéré comme un des meilleurs joueurs du championnat. Il fait du bon boulot à Fulham. On a pensé qu’il avait fait un drôle de choix mais Fulham développe vraiment du bon football. Un bon club du subtop. Peut-être avec moins de pression qu’à Everton.

Quels sont les prochains Belges que tu verrais bien en Angleterre ?

Axel Witsel. Eden Hazard : il a la technique et est déroutant. Jan Vertonghen et Nicolas Lombaerts. Tous ces joueurs peuvent s’imposer sans problèmes en Premier League.

Avec tous ces joueurs à l’étranger ou promis à un bel avenir, on parle toujours de génération dorée mais vous avez raté l’Euro…

On a fait de bons matches. On a pris plus de points que lors des précédentes campagnes. Par rapport à il y a quatre ans, c’est le jour et la nuit.

Comment expliques-tu cet échec ?

On a commis trop d’erreurs. Pourquoi ? Je ne sais pas.

La défense est composée de grands joueurs (Mignolet, Vermaelen, Kompany, Lombaerts, Van Buyten) mais a encaissé beaucoup trop…

Mais la défense a sans cesse changé !

Tout le monde parle du Brésil. Vous ne pourrez plus vous louper…

Si on ne va pas au Brésil, ce sera un énorme échec. Car même à l’étranger, on fait peur. Quand je reviens à Everton, on me parle des Diables Rouges. Personne ne comprend pourquoi on n’est pas qualifié pour l’EURO. Il faut donc absolument être présent à la Coupe du Monde. On a beaucoup appris des derniers échecs et tous les joueurs du noyau savent qu’on n’a plus le droit à l’erreur. Il va falloir garder notre concentration 90 minutes. Pas comme en Azerbaïdjan où on n’a pas réussi à tuer le match. Pendant des années, on a pris la jeunesse comme excuse. Désormais, cela ne tient plus debout. On va tous avoir 25 ans. Les gamineries qu’on faisait à 20 ans, c’est terminé !

Oui pour la qualité de l’équipe. Les places commencent à coûter cher. D’un autre côté, ce n’est pas facile car on a pris, à l’étranger, des habitudes qu’on ne retrouve pas en Belgique.

Comme ?

Le style d’entraînement, la préparation d’un match. Même si depuis Advocaat, cela a changé. Il y a davantage de discipline.

Et ton rôle en sélection, tu le conçois plus comme celui d’un médian défensif ou offensif ?

Comme un médian défensif avec quelques montées dans le box. Mon boulot, c’est de récupérer le ballon proprement. Devant, on a assez de joueurs capables de garder le ballon comme Witsel, Dembélé, Dries Mertens, Hazard ou Nacer Chadli.

Tu as compris la guerre Hazard-Leekens ?

Le contexte de l’équipe nationale diffère de celui de club. Peut-être qu’à Lille, on joue en fonction d’Eden. Chez les Diables, il doit s’adapter aux autres. Désormais, on le connaît mieux. On sait ce qu’il peut apporter.

Mais l’a-t-on utilisé efficacement ?

Oui, je pense mais quand tu joues Belgique-Allemagne, ce n’est pas Lille-Lorient ! Il doit affronter des joueurs de calibre international, qui le maîtrisent mieux car ils sont briefés sur sa capacité à éliminer deux, trois joueurs. Il va s’habituer à ce marquage. Quand il va évoluer en Angleterre ou dans un autre grand championnat, il va apprendre aussi. Il ne faut pas trop attendre de lui : il n’a que 21 ans !

Et comment le groupe a vécu le burgergate ?

C’est une gaminerie. Il est parti du stade avant les autres. C’était un manque de respect vis-à-vis de ses coéquipiers. Il sait qu’il a commis une erreur et il a assumé. Leekens l’a pénalisé un match. Lors d’un amical, en plus ! C’était réglé. Le dossier est clos.

Comment est l’ambiance dans le groupe ?

Tout le monde le sait, elle est bonne. J’ai l’impression que chacun vient s’entraîner avec plaisir pour les Diables Rouges. Même pour un match amical comme en Grèce. Cela ne ressemble pas du tout à ce que j’avais connu en arrivant. Désormais, il n’y a plus de clans.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE, À LIVERPOOL – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Je suis fier d’avoir ouvert la porte aux autres Belges. « 

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