» CHEZ LES DIABLES, C’EST LE TALENT QUI COMPTE, PAS LA COULEUR DE PEAU « 

L’ex-attaquant kényan d’Ostende, Harelbeke, Genk, RWDM et Heusden Zolder est arrivé chez nous en 1992 : comment vit-il l’éclosion de son fils, la trouvaille de Marc Wilmots ?

A Houthalen Est, les fenêtres sont garnies de drapeaux belges, bien sûr, mais aussi grecs, italiens, français, espagnols et hollandais. Après son passage à Genk, Mike Origi (46) est resté établi dans ce quartier populaire, où il a vécu avec son épouse Linda et ses trois enfants : Divock, Deneen et Natasha. Il a aussi continué à jouer jusqu’à plus de 40 ans puis il a travaillé à la chaîne chez Ford et suivi une formation en logistique au VDAB (l’équivalent du Forem). Aujourd’hui, il est magasinier. Nous nous souvenons de lui comme d’une force tranquille et il n’a pas changé. Lorsque son fils est entré au jeu face au Luxembourg et s’est proposé de tirer lui-même le penalty qu’il venait d’obtenir, nous nous sommes dit que son père n’aurait jamais fait cela.  » C’est vrai « , dit-il.  » Je suis d’une génération qui respectait la hiérarchie. Aujourd’hui, les jeunes qui se sentent bien dans leur peau n’hésitent pas à s’affirmer. Je ne trouve pas cela mal, c’est une preuve de confiance en soi. Il aurait aimé marquer mais il a le temps.  »

Il a peut-être hérité cette spontanéité de sa mère ?

Linda : Je pense que oui. La discipline et la persévérance, c’est son père. Divock est spontané mais quand il parle, il réfléchit.

Mike : Et puis, il s’est tout de suite senti à l’aise chez les Diables car il connaît de nombreux joueurs de Genk, de Lille ou des équipes nationales de jeunes.

Son jeu est spontané également. Il tente des trucs.

Mike : Oui, je dois dire que je vois une grande différence par rapport à ses derniers matches à Lille. Il a beaucoup appris en trois ou quatre semaines chez les Diables.

Comment expliquez-vous cela ?

Mike : C’est peut-être dû au niveau des Diables et au fait que les entraîneurs lui font confiance tout en travaillant des détails spécifiques. Et puis, les autres joueurs l’aident et lui donnent des conseils.

Comment a-t-il réagi en apprenant sa sélection ?

Mike : Cela l’a boosté. Je me souviens encore qu’en U19, il avait été déçu de ne pas avoir été repris avec les Espoirs. Je lui avais dit : La seule chose que tu puisses faire, c’est jouer le mieux possible dans ton club et avec les U19. En mars, il avait été sélectionné pour le match des Espoirs face à la Serbie et était entré à 25 minutes de la fin. Il était très content d’avoir atteint son objectif.

De Lille à Courtrai

A Lille, cette saison, il a connu des hauts et des bas.

Mike : En début de saison, il était titulaire puis il a eu un creux. C’est normal, à 18 ans. A un certain moment, on se déconcentre, on perd la forme ou l’équipe ne tourne plus et on perd sa place.

Comment a-t-il vécu cela ?

Mike : Nous parlons de tout et je lui ai dit : Divock, si tu es bon, tu finiras par jouer. Il se rendait bien compte qu’il ne jouait pas bien. Il venait de quitter l’internat à Lille pour s’installer dans un appartement à Courtrai et il était un peu déstabilisé.

A cause de quoi ?

Mike : Un nouvel environnement, le fait de devoir s’occuper de tout tout seul, une liberté à laquelle il n’était pas habitué… Des choses normales de la vie.

Des filles, aussi ?

Mike : Ce n’était pas à cause des filles. Il devait simplement essayer d’intégrer son nouvel environnement à sa vie de tous les jours. Rentrer dans une maison vide, se faire à manger, faire la vaisselle, nettoyer… Quand on s’est entraîné deux fois sur la journée, on n’a pas toujours le courage. Et on peut se laisser tenter. Divock n’a jamais eu de problèmes d’ordre disciplinaire mais quand il sort, un sportif doit faire attention à tout : aller dormir tôt, bien manger, bien se reposer… Mais Divock a un cousin du même âge qui habite à Roulers et comme il a une voiture et un permis, ils vont ensemble au magasin, voir les copains… Alors Divock ne se reposait pas, il rentrait à dix heures du soir, mangeait au fast-food… Du coup, il était moins frais à l’entraînement comme en match. Lille s’en est aperçu et nous en a parlé. Cela n’a pas duré longtemps car il a vite compris qu’il devait reprendre le rythme de vie qui était le sien à l’internat et travailler dur pour revenir dans l’équipe. Sauf que d’autres avaient pris sa place et jouaient bien. Il lui a donc fallu faire preuve de patience.

A la trêve, il voulait partir. Zulte Waregem et Genk souhaitaient le louer et Anderlecht était même prêt à l’acheter.

Mike : Ne pas jouer ou n’entrer au jeu qu’à cinq ou dix minutes de la fin, comme avant le Nouvel An, ce n’était pas bon pour lui mais Lille voulait qu’il reste. Le club avait compris qu’il avait retrouvé son jeu, qu’il était à nouveau concentré sur le football. Il a reçu sa chance et l’a saisie. Depuis, il n’a fait que progresser.

Dieu comme psychologue

A-t-il retenu la leçon ?

Mike : Oui. Divock est intelligent et il sait ce qu’il veut. Il sait qu’il a le droit de se détendre pendant une journée après un match mais pas exagérer jusqu’au jeudi ou au vendredi.

Que fait-il pour se détendre ?

Mike : Il va au cinéma ou au restaurant avec des amis mais il ne sort pas beaucoup. Peut-être une fois par mois, pour écouter de la musique, pas pour boire.

Il ne boit jamais d’alcool ?

Mike : Non, heureusement (il rit). Moi non plus, je ne buvais jamais d’alcool mais à Genk, j’ai appris à boire un mazout (bière + coca) après le match. Car en Belgique, celui qui ne boit pas de bière est considéré comme anormal (il rit).

Et à Harelbeke, à l’époque de Henk Houwaart, jamais de champagne ?

Mike : Un verre après le match, oui, mais pas toute la bouteille (il rit). Quand je bois, c’est pour poser un geste social. Mais je n’ai jamais été saoul. J’ai toujours dit à Divock que s’il voulait devenir footballeur il devait tenter de vivre comme un footballeur. Je ne lui ai jamais interdit de boire de l’alcool, c’est son choix.

Vous étiez très attaché à la religion. Divock aussi ?

Mike : Je dis toujours que Dieu est mon psychologue. Chacun vit sa religion comme il veut. Moi, elle m’apporte le calme. Dans la vie, on connaît tous des moments difficiles. La religion m’aide à accepter ce que ma raison ne peut faire et à continuer à travailler en vue du lendemain.

Linda : Nos enfants ont également pris l’habitude de prier.

Mike : On ne peut pas tout vouloir tout de suite, sans quoi on est frustré. Et forcer le destin ne sert à rien, au contraire.

Linda : Tout vient à point à qui sait attendre.

Mais Divock est ambitieux, il veut progresser rapidement.

Mike : Oui, il est comme ça. C’est pareil en équipe nationale. Il sait qu’il est encore jeune et qu’il lui reste beaucoup à apprendre mais il veut aussi montrer qu’il est là.

Suivi depuis ses 12 ans

Un club belge pourrait-il encore se le payer ?

Mike : Quand j’entends les sommes que les clubs belges mettent parfois, je me dis : pourquoi pas ?

Je ne parle pas de son salaire mais du prix de son transfert.

Mike : Ça, c’est à Lille de décider. Il est encore sous contrat jusqu’en 2016 et, avant sa sélection déjà, le club avait promis de revoir son contrat à la hausse. Mais je suppose que, grâce à l’équipe nationale, sa valeur marchande va monter et en football, tout peut aller très vite. Pour le moment, cependant, il n’y a rien de concret.

Divock a-t-il un agent attitré ?

Mike : Oui, PaulMartin, un Anglais qui représente un groupe basé à Londres (Wasserman Media Group, ndlr). Les Belges ont la cote actuellement, hein. Des scouts internationaux suivent Divock depuis qu’il a douze ans mais, à l’époque, il ne voulait pas entendre parler d’agents. A cet âge-là, il faut prendre du plaisir sans pression et sans parler de contrat. Mais à l’âge de 14 ou 15 ans, il a voulu franchir le pas. Manchester United nous a invités mais nous avons bien senti que, si le scout était convaincu de ses qualités, ce n’était pas le cas des gens du club. A Lille, c’était différent : on le voulait, et tout de suite. Divock adorait les installations, la façon de travailler et le projet qu’on lui avait expliqué. De plus, des jeunes comme EdenHazard et KevinMirallass’étaient déjà imposés en équipe première. Mais une fois le transfert effectué, il s’est avéré que Divock ne pouvait plus jouer parce que l’UEFA s’était soudain montrée beaucoup plus stricte en matière de règlements sur les transferts de jeunes joueurs. Nous nous sommes sentis floués mais finalement, jusque fin avril, Divock a pu passer sa frustration en disputant des matches amicaux et des tournois. Depuis, il n’a fait que progresser.

La nature s’est montrée généreuse avec lui, n’est-ce pas ?

Mike : Oui. Son corps, son endurance… Mais il s’est aussi beaucoup entraîné pour en arriver là. Dans les équipes d’âge de Genk, il avait même un entraîneur spécifique pour la technique de course. MichelRibeiro, l’entraîneur de technique, lui donnait des exercices à effectuer à la maison mais Divock travaillait aussi beaucoup tout seul. Il cherchait des vidéos de Ronaldo, CristianoRonaldoet Ronaldinho puis tentait de faire la même chose qu’eux dans le jardin.

Linda : Il faisait cela avec la PlayStation également : il admirait des dribbles, mettait la pause et allait les faire dans le jardin.

Mike : C’est vrai.

Une famille footeuse

Quelle partie de vous-même retrouvez-vous en votre fils ?

Mike : La technique. A Harelbeke, surtout, je m’amusais énormément. Henk Houwaart me laissait faire ce que je voulais. Nous nous entraînions beaucoup avec ballon et les Africains aiment cela car nous voulons jouer comme les Brésiliens. A Ostende, ça jouait plus au caractère et à Genk, AiméAnthuenis était dur aussi. Il ne m’avait pas transféré uniquement pour jouer en pointe mais parce qu’il trouvait que j’étais un joueur polyvalent. J’ai joué en 10, en 8, à l’arrière gauche et à l’arrière droit. Une fois, à l’entraînement, il m’a même aligné pendant une semaine dans l’axe central mais ça n’a pas marché. J’ai tout fait foirer intentionnellement (il rit). Divock, lui, est plus explosif que moi.

Etes-vous originaires de la même région que les fameux coureurs de fond kenyans ?

Mike : Non. Dans mon quartier, on boxait et on jouait au football. Il y avait une salle de sports dans laquelle mes amis se rendaient. Là, on nous attachait ensemble, avec juste cinquante centimètres entre les deux. Comme ça, on ne pouvait pas s’enfuir. Ça forgeait le caractère. J’ai essayé une fois, lorsque j’avais 12 ans. J’ai juste fait trois rounds. Je saignais du nez. Heureusement, j’avais un casque. J’ai tout de suite compris que je n’étais pas fait pour ça. A la maison tout le monde jouait au football. ArnoldOrigi, le fils de mon frère aîné est le gardien de l’équipe nationale du Pérou et évolue à Lilleström, en Norvège. Moi aussi, j’ai été gardien, lorsque j’avais 18 ou 19 ans.

Vous vous rappelez de votre arrivée en Belgique ? Au début des années 90, on entendait encore beaucoup de cris racistes dans les tribunes.

Les premières années furent difficiles. Au Kenya, j’étais quelqu’un. Ici, les gens se demandaient ce que je venais faire. Je ne me sentais pas à ma place. Je me rappelle surtout des supporters du Beerschot et de Mouscron, qui me traitaient de sale noir en imitant le singe. Et dans la rue, des enfants ne voulaient pas me serrer la main parce qu’ils pensaient qu’ils allaient se salir. (il rit).

Linda : Certains ne disaient rien mais nous faisaient bien sentir qu’ils étaient racistes.

Mike : Ils nous montraient clairement que nous n’étions pas chez nous. Mais nous nous sommes également fait beaucoup d’amis blancs et une équipe nationale multiculturelle a vu le jour. Aujourd’hui, quand il se rend au Kenya, Divock a parfois la même sensation que moi au début ici. On faisait souvent des blagues que je ne comprenais pas. Pourtant, il parle swahili.

Confronté au racisme à Bastia

Et lui, il n’est jamais confronté au racisme ?

Mike : Un noir qui n’a jamais été confronté au racisme, ça n’existe pas (il rit). Divock a connu cela en France et au foot.

Linda : Même en France ! Où était-ce, déjà, cette île ?

Mike : En Corse, à Bastia.

Linda : Là, c’est grave. L’entraîneur a même prévenu Divock qu’il devait s’y préparer.

Un groupe multiculturel comme celui des Diables, ça favorise l’intégration ?

Mike : Non. Là, on tient compte de ton talent et de tes prestations, pas de la couleur de ta peau. C’est pourquoi LuisOliveira etBrankoStruparsont devenus Diables Rouges.

Vous étiez fort de la tête, Divock ne l’est pas. Comment expliquez-vous cela ?

Mike : Je n’avais pas peur d’aller au duel. Regardez les cicatrices sur mon front (il rit). Divock a un bon jeu de tête mais il n’ose pas encore aller au duel. Contre la Tunisie, il a osé et il a remporté beaucoup de duels aériens.

C’est un bel athlète mais pas un bodybuilder. On dit qu’il manque encore de coffre. Vous êtes d’accord ?

Mike : Non, je trouve que ce n’est pas nécessaire. Un joueur doit d’abord utiliser ses points forts. Dans son cas, c’est : la vitesse, l’agilité et la technique, plus que la puissance. Il y travaille à Lille mais tout le monde ne peut pas devenir comme Romelu Lukaku ou Vincent Kompany. Le corps de Divock est différent.

Linda : Nous avons de grandes jambes, comme tous les Africains occidentaux.

Mike : Mais je comprends que les gens disent cela. Ils comparent avec les corps de centre-avants comme Costa, Agueroet Hulk. Mais Divock a d’autres qualités.

Plutôt sur le flanc

A Lille, c’est sur le flanc droit qu’il a le mieux joué jusqu’ici. Est-il vraiment un centre-avant ?

Mike : Il travaille. A Lille aussi, on veut l’attacher à cette place mais je préfère le voir jouer sur le flanc. C’est là qu’il joue le mieux au football : ses actions, sa technique de course et ce qu’il fait avec le ballon me plaisent. A Lille, il a également joué en pointe avec deux attaquants, entre Kalou et Roux, ce qui lui permet de bouger à gauche et à droite tandis que, quand il est seul en pointe, entre le défenseur central et le médian défensif, il doit souvent jouer en une ou deux touches de balle. Mais face à la Tunisie, j’ai constaté qu’il avait progressé dans ce rôle aussi.

Et lui, que veut-il ?

Mike : Devenir centre-avant.

Pourquoi ?

Mike : Pour inscrire davantage de buts.

PAR CHRISTIAN VANDENABEELE – PHOTOS: KOEN BAUTERS

 » Divock a énormément appris en peu de temps chez les Diables.  »

 » Il a peaufiné sa technique de course à Genk grâce à un coach spécifique : Michel Ribeiro.  »

 » Je préfère le voir sur le flanc mais lui veut jouer centre-avant.  »

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