La Belgique du foot pleure son meilleur sélectionneur de tous les temps. Un type tellement bien.

Il a longtemps occupé un poste éminemment exposé aux critiques. Celles-ci glissaient sur la carapace du dernier des gentlemen coaches, même si les rides qui sillonnaient son visage étaient autant d’indices du stress qu’il subissait, sous ses dehors toujours affables. Vendredi dernier, lorsque le cancer, auquel il résistait, poursuivant comme si de rien n’était ses missions pour l’UB, a eu raison de lui, à 80 ans, aucune fausse note n’a terni le concert d’éloges d’un milieu pourtant prompt à la critique.

La Belgique du ballon rond pleure son meilleur sélectionneur de tous les temps, elle pleure aussi une figure emblématique, un monstre sacré, un fidèle serviteur. En 1992, il avait déclaré :  » J’ai été reçu par le Roi à trois reprises, je tutoie beaucoup de ministres mais bavarder avec les éboueurs ne me cause pas le moindre problème « .

Lorsqu’il a cédé le relais à Paul Van Himst, en 1991, il n’a pas pris la retraite à laquelle il aurait pu aspirer : il est resté au service de l’UB, comme responsable des relations publiques auprès des sponsors. A chaque déplacement de l’équipe nationale, il était le premier au comptoir de Zaventem. En juin encore, il a accompagné la Belgique en Bulgarie. Il s’intéressait beaucoup à la Pro Licence. Il faisait partie du jury. Les entraîneurs appréciaient son savoir et sa façon de le transmettre. Récemment, Dominique D’Onofrio, passionné par ces cours qui lui ouvraient tant d’horizons inconnus, nous confiait, avec sa fraîcheur de self-made man :  » Voir des monuments du football belge tels que Guy Thys et Raymond Goethals continuer à servir leur sport, inlassablement, malgré leur âge, nous confère une telle motivation… Je les admire beaucoup. Ils sont mus par un amour pur du foot « .

Optimisme, sérénité, football, cigare et whisky constituaient sa recette de vie, les deux derniers ingrédients étant devenus partie intégrante d’une image de philosophe qu’il s’était façonnée au fil des années. L’existence l’avait éprouvé, lorsque, en 1977, sa fille unique était décédée. Il n’en avait rien montré, pas plus qu’il n’évoquait beaucoup sa propre maladie :  » Dans la vie, il faut accepter certaines choses « . En 1985, le Real Madrid l’avait approché. En vain. Sa réponse ?  » L’argent n’est pas important. Ce qui compte, c’est la qualité de la vie « .

Belge

Devant la marée tricolore qui avait envahi la Grand-Place de Bruxelles en 1986, celui qui avait propulsé la Belgique en demi-finales de la Coupe du Monde tint ces propos :  » Jamais je ne me suis senti plus Belge « . De fait, l’Anversois était parfait bilingue et il est parvenu à surfer au-dessus des problèmes linguistiques, sans jamais donner l’impression d’être dans l’un ou l’autre camp. Ami, père et diplomate tout à la fois, il repoussait les compliments :  » J’avais une superbe génération de joueurs « .

Et lorsqu’on s’étonnait de le voir toujours actif à l’UB, il répliquait :  » Je ne me vois pas me lever pour lire le journal avant de m’installer devant la télévision pour la journée « .

En 1974, lorsqu’il a succédé à Raymond Goethals, à la demande de Louis Wouters, il était plutôt un sélectionneur de transition. International à deux reprises, lorsqu’il portait le maillot du Standard tout en gérant l’entreprise paternelle (il n’était pas professionnel), il ne s’était pas distingué outre mesure comme entraîneur de club. Pourtant, il allait s’imposer, résister à deux échecs – la Belgique a loupé les phases finales de l’EURO 1976 et du Mondial 1978 – avant de disputer quatre tournois de suite.

Les Diables Rouges ont atteint leur première finale européenne sous sa direction, en Italie, en 1980. Guy Thys avait réussi son pari en rappelant Van Moer. Quatre ans plus tard, il allait en gagner un autre : l’équipe nationale était alors décimée par l’affaire du Standard et la suspension de tous les internationaux du club liégeois. Guy Thys sortit deux jeunes, Georges Grün et Enzo Scifo. Celui-ci a appris le décès de l’entraîneur alors qu’il était en route pour les vacances.  » Je suis très ému. Avec lui, c’est une manière d’être qui s’en va. Je lui dois beaucoup. Il avait l’art de tout dédramatiser. Il protégeait toujours ses joueurs. J’ai effectué mes débuts en équipe nationale à 18 ans mais je l’ai rencontré deux ans auparavant. Anderlecht affrontait les scolaires de l’UB. Guy Thys était dans la tribune. Il est venu me féliciter et m’a dit que si je continuais ainsi, je serais rapidement sélectionné en équipe nationale « .

Bon mais pas trop

Guy Thys avait l’art de diriger en douceur et d’éviter tout écueil, notamment avec la presse. L’hommage de Robert Waseige est éloquent :  » Il a su préserver l’unanimité sur sa personne durant toute sa carrière, à un poste très exposé. Au-dessus de toutes les communautés linguistiques, il faisait figure de gentleman anglais « .

Ariel Jacobs, son adjoint en 1990, rappelle sa bonne humeur permanente et son self-contrôle :  » Il était toujours disponible et serviable. Jamais il ne s’inquiétait, que ce soit pendant la préparation ou durant un match. En 1990, après le but meurtrier de DavidPlatt, il a éteint son cigare et m’a rendu la liste des joueurs susceptibles de botter les tirs au but, liste que j’avais établie. Nous méritions amplement de gagner mais il a conservé son calme. Parfait bilingue, il était très accessible aux journalistes et jamais il n’a fait de favoritisme « .

Michel Sablon, désormais directeur technique de l’UB, a également été son adjoint :  » Après le décès de mon père, nous avons eu une conversation d’une heure et demie. C’est la meilleure leçon de vie que j’ai jamais eue « .

En 1986, alors que les Diables Rouges restaient sur trois premiers matches médiocres, au Mondial mexicain, un conflit a éclaté entre René Vandereycken et Franky Vercauteren. Le médian limbourgeois, au caractère déjà bien trempé, estimait l’entrejeu trop offensif, avec Scifo et Vercauteren. Guy Thys n’a pas hésité à le renvoyer en Belgique.

Vandereycken ne lui en porte pas rigueur :  » J’ai joué 50 matches en équipe nationale, dont 48 sous ses ordres. C’est lui qui m’a fait. Dans l’entrejeu défensif, il ne manquait pourtant pas de gauchers, puisqu’il avait aussi Ludo Coeck et René Verheyen. Quel genre d’homme il était ? C’est simple : après ce fameux Mondial, nous n’avons même pas eu besoin de discuter. Un respect mutuel profond a continué à nous unir. Il n’était pas rancunier. En plus, il avait le sens de l’humour. Ses mots étaient toujours pesés, calculés. Il ne laissait rien au hasard « .

Il a parfaitement négocié des frictions avec Franky Van der Elst et avec Jan Ceulemans. Ecarté, une fois, le premier a parlé de  » tactique dépassée « . Maintenant, il s’émerveille de la qualité de ses rapports avec le sélectionneur et de son absence de rancune. Le Caje lui-même a été placé sur le banc pendant le Mondial italien de 1990 mais est entré au jeu en seconde période. Piqué au vif, sur le moment, il a lâché :  » Quelque chose vient de se briser « .

Vendredi, il était effondré :  » Guy Thys était un père tranquille, une figure dont je me suis beaucoup inspiré une fois devenu entraîneur. Il mettait ses joueurs dans de l’ouate. Ils passaient avant tout « .

Guy Thys dirigeait une génération douée et empreinte de caractère. Il ne les a jamais bridés tout en faisant respecter ses décisions. Raymond Mommens a souligné cet art.  » Van Moer, Gerets, Vandereycken étaient des chefs. Guy Thys laissait même Jean-Marie Pfaff diriger sa défense. Il traitait ses caïds en hommes responsables « . De fait, ses discussions tactiques étaient brèves, dynamiques, jamais assommantes, comme s’accordent à l’affirmer tous les internationaux interrogés.

Ainsi, il se contentait de dire à Luc Millecamps :  » Tu sais mieux que moi comment tu dois jouer « . Guy Thys ne réprimandait pas les joueurs qui sirotaient un verre. Il misait sur une discipline librement consentie et veillée jalousement par les ténors du groupe. Les joueurs n’abusaient pas de la confiance qu’il leur vouait.  » Mon seul mérite est de savoir travailler avec cette génération si douée « , répétait, modeste, l’artisan de la grandeur du football belge.

Eric Gerets ne pouvait manquer de lui rendre hommage. Toujours très émotif, le Lion de Rekem a été terrassé par le décès de Guy Thys :  » C’est simple, il est le seul entraîneur avec lequel j’ai conservé des contacts soutenus depuis que je ne suis plus joueur. Guy Thys sentait bien ses joueurs et savait comment en retirer le maximum. Il ne m’a jamais bridé. Au contraire, il m’a donné des ailes. Il m’a permis d’assumer mes responsabilités comme j’en avais envie. C’était également un bon vivant. Vrai belge, il personnifiait cette forme de bonhomie qui nous caractérise aussi à l’étranger « .

Les tribunes sont orphelines de Guy Thys et de Christiane, son épouse, qui l’accompagnait, inlassable, partout.

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