» Chelsea sait maintenant que je suis plus qu’un ailier «
Le jeune attaquant de Genk, qui a signé à Chelsea en janvier, effectue une tournée d’adieu des stades belges durant les PO1. Il s’explique sur ses choix, son jeu et ses déclarations.
Il a retrouvé la parole, dans les interviews comme sur le terrain. Après des déclarations, à chaud, à la mi-temps du match contre Lokeren en février qui laissaient entendre qu’il en avait marre du peu d’envie de certains de ses partenaires et suggérait de continuer avec ceux qui se sentaient encore concernés, Kevin De Bruyne s’était imposé un long silenziostampa.
Kevin, avec le recul, regrettez-vous d’avoir réagi à chaud ou estimez-vous, au contraire, que vos déclarations ont secoué vos partenaires ?
KevinDeBruyne : Je ne regrette rien et j’assume tout ce que j’ai dit. Je n’ai peut-être pas choisi les bons mots pour m’exprimer. J’aurais sans doute dû prendre des pincettes. Mais voilà, je suis assez impulsif, j’étais frustré et c’est sorti.
Vos coéquipiers ne semblent pas vous en avoir tenu rigueur. Ce sont surtout les dirigeants et l’entraîneur qui vous ont rappelé à l’ordre…
Même pas. Les dirigeants m’ont simplement demandé d’être plus diplomate. L’entraîneur m’a fait l’une ou l’autre remarque, mais ne m’a pas pris à part dans le vestiaire. Je ne retire rien de ce que j’ai dit. Et je ne regrette pas davantage le silence que je me suis imposé, plus qu’il ne m’a été imposé, par la suite.
Etes-vous aujourd’hui plus serein dans votre tête ?
A un moment donné, je croulais sous les demandes d’interviews. Je ne refusais rien. En concertation avec le manager Dirk Degraen, on avait convenu de ne plus accorder d’interviews pendant un certain temps. Cela m’a permis de me reconcentrer sur mes prestations sur le terrain, mais aussi d’avoir un peu plus de temps libre à consacrer à mes amis, de retrouver le plaisir. Aujourd’hui, je parle à nouveau, avec parcimonie. Je ne suis fâché avec personne, mais il faut trouver un juste milieu. Se reposer est au moins aussi important que discuter avec la presse…
Votre coup de gueule semble avoir servi à quelque chose : depuis lors, Genk s’est remis en question et joue mieux…
Peut-être. Je n’ai jamais cité de noms de joueurs en particulier, mais il est un fait qu’en tant qu’équipe, on a redressé la tête et on a livré de meilleurs matches.
Si c’était à refaire, vous le referiez ?
Peut-être. Tout en précisant que cette sortie médiatique n’avait pas été préméditée. Ces réactions sont naturelles chez moi, elles font partie de mon caractère. Sur le terrain, je suis aussi impulsif.
C’est-à-dire ?
Il m’arrive aussi de réagir au quart de tour. Comme lors du contact violent avec Jonathan Blondel, à Bruges. Mais cela fait partie du football et l’incident a été vite aplani.
Il y a tout de même d’autres explications au renouveau de Genk !
Bien sûr. On a eu de nombreuses blessures cette saison. Aujourd’hui, certains blessés reviennent et retrouvent progressivement leur niveau. C’est aussi une explication. La chance nous sourit aussi davantage. Il y a eu des matches où le ballon n’a vraiment pas roulé pour nous. La roue est en train de tourner.
Compte tenu de la situation, quelles sont encore les ambitions de Genk dans ces play-offs ?
S’il y a moyen d’arracher un ticket européen, on ne s’en privera pas. On sait que ce sera difficile, car on a entamé les play-offs avec un sérieux retard. Mais qui ne tente rien, n’a rien. Aucun match n’est facile. Tout le monde est capable de battre tout le monde dans ce top 6.
Monter dans le train quand il passe
Globalement, la saison a été décevante. Et très irrégulière.
C’est ainsi depuis le début. On a vécu beaucoup de choses : les blessures, le départ de certains joueurs, puis celui – totalement inattendu – de Frankie Vercauteren. Cela a encore compliqué la situation.
La discipline a-t-elle alors disparu ?
Je n’irai pas jusque-là. Le départ précipité de Vercauteren a sans doute perturbé certains joueurs, mais c’est à eux qu’il faudrait le demander. Personnellement, j’étais un peu en retrait à ce moment-là. J’étais blessé et je suis resté en Belgique pour me soigner, alors que le groupe se trouvait à Haïfa où s’est disputé le tour préliminaire de la Ligue des Champions.
De l’équipe championne, il ne reste plus grand monde…
C’est un peu logique. Il y a deux ans, on n’était nulle part. Puis, Vercauteren est arrivé. On a gagné les PO2, on a décroché notre ticket européen et, sur notre lancée, on a remporté le titre. Il est normal que les joueurs aient voulu profiter de la haute conjoncture pour essayer de monnayer un beau transfert.
Un beau transfert semblait plus important qu’une participation à la Ligue des Champions. Parce que vous pressentiez que vous n’y feriez que de la figuration ?
Je ne peux pas parler pour les autres. Simplement, je comprends que l’on puisse avoir envie de sauter sur une belle occasion car on n’est pas certain que le train repassera. Jouer dans un championnat plus prestigieux, gagner plus d’argent : aucun joueur ne crache dessus. Genk n’est pas non plus le » super top » en Belgique. Le Racing n’a pas les moyens d’offrir des contrats comme peut le faire Anderlecht, afin d’inciter ses meilleurs joueurs à rester. Personnellement, j’ai resigné à de meilleures conditions, il y a deux ans. J’ai un bon salaire. Comme on a gagné beaucoup de matches la saison dernière, les primes ont été importantes également. Il y a un an, j’ai reçu une nouvelle proposition, que j’ai refusée. J’étais déjà persuadé que ce serait ma dernière saison à Genk.
Vous avez connu plus de bas que de hauts cette saison, et avez parfois subi de vives critiques. Les estimiez-vous justifiées ?
Elles étaient parfois exagérées, mais je n’y ai jamais accordé trop d’importance. Il y a des remarques dont il faut tenir compte, et d’autres qui sortent sous le coup de l’émotion. Les gens ne remarquent pas toujours le travail qu’un joueur accomplit au service du groupe lorsqu’il sent qu’il manque de jus. Je sais qu’on espère toujours plus de moi. C’est la conséquence de mon nouveau statut. En Ligue des Champions, on attendait que je fasse la différence, alors que je revenais de blessure et que je n’avais pas encore retrouvé mon meilleur niveau. C’est valable pour l’équipe également. Compte tenu de la valeur des adversaires, on a livré quatre bons matches en C1… et deux mauvais. On s’est, malheureusement, surtout attardé sur les deux mauvais.
Aujourd’hui, vous semblez avoir retrouvé votre meilleur niveau…
Le fait que je sois physiquement en ordre l’explique en grande partie. J’ai été arrêté dans mon élan à plusieurs reprises cette saison. J’avais effectué une bonne préparation, mais je me suis blessé dès le deuxième match de compétition. J’ai fourni beaucoup d’efforts pour revenir, et lorsque j’étais au point, je me suis une nouvelle fois retrouvé sur la touche. Il a fallu tout recommencer, et aujourd’hui – touchons du bois – cela va de mieux en mieux. Devoir, à trois reprises, effectuer une préparation, c’est mentalement très dur. Je me suis toujours donné à fond, mais lorsqu’on n’a pas suffisamment de ressources, on va dans le rouge et on s’expose à une nouvelle baisse de régime.
Un rôle plus axial
Vous avez changé de position : vous avez abandonné votre poste de flanc gauche pour un rôle plus central, derrière les attaquants…
Pendant la saison, j’avais déjà dépanné à quelques reprises à ce poste. Jamais très longtemps, mais Mario Been avait déjà pu se rendre compte de mes capacités dans ce rôle. Il m’a repositionné dans l’axe à Westerlo, lors de l’avant-dernière journée de la phase classique, lorsque nous avons été menés 3-0 après un quart d’heure et qu’il a fallu mettre tout à l’attaque pour essayer de renverser la situation. A nouveau, j’ai sans doute donné satisfaction à Been, même si nous n’avons réussi à revenir qu’à 3-2. Je suis resté dans l’axe, d’autant qu’avec les nouvelles blessures dans l’effectif, il n’y avait plus beaucoup de solutions à l’entraîneur pour ce poste.
Lorsque vous jouez en soutien de Jelle Vossen et de Christian Benteke, c’est un peu l’ancien trio des Espoirs de Genk qui a été reconstitué…
On se connaît, effectivement : il y a des automatismes et une complémentarité entre nous. Avec les Espoirs, on a été champion deux fois d’affilée en inscrivant plus de cent buts. C’était une très belle génération. Aujourd’hui, cela fonctionne toujours très bien entre nous.
Déjà, la saison passée, alors que vous jouiez comme flanc gauche, vous revendiquiez une position plus centrale qui vous aurait permis de toucher plus de ballons. Et lorsque vous avez été aligné dans l’axe avec l’équipe nationale Espoirs, vous aviez été très bon. C’est le rôle qui vous convient ?
En fait, dans les équipes de jeunes, j’ai toujours joué dans une position centrale, même si c’était un peu plus haut. C’est à ce poste que j’ai été formé.
Comment en êtes-vous alors arrivé à devenir un flanc gauche ?
Par un concours de circonstances. A l’époque de Vercauteren, il n’y avait pas beaucoup de joueurs de flanc dans l’effectif. J’ai reçu ma chance et je l’ai saisie.
Dans une position centrale, vous impressionnez par votre volume de jeu. Vous accomplissez aussi votre rôle défensif…
C’est obligatoire. J’ai un tempérament offensif, mais en milieu de terrain, on ne peut pas prendre trop de risques : il faut assurer la couverture, monter à tour de rôle. Sur le flanc, on a parfois tendance à négliger le rôle défensif. Chaque fois qu’on reçoit le ballon, les gens attendent de vous que vous réussissiez une action. Cela implique une grosse explosivité, c’est très exigeant physiquement, et après un effort, on oublie parfois de revenir en défense. Aujourd’hui, dans mon nouveau rôle, je parcours sans doute plus de kilomètres, mais souvent au même rythme, alors que sur le flanc, ce sont des accélérations perpétuelles. C’est un autre type d’effort.
Chelsea, le fruit du travail
Ce changement de position est-il également intéressant dans l’optique de Chelsea ?
Peut-être. Mes futurs employeurs peuvent s’apercevoir que je suis capable d’évoluer à plusieurs positions. J’ai plusieurs cordes à mon arc, je ne me limite pas à des actions sur le flanc.
Depuis votre signature, avez-vous encore des contacts avec Chelsea ?
Pas directement. Le club a appelé mon agent pour lui dire qu’avec le changement d’entraîneur, il y avait d’autres priorités actuellement. Mais je continue à être suivi.
Et avec Romelu Lukaku ?
Parfois un SMS ; pas chaque semaine.
Comment vos coéquipiers de Genk ont-ils réagi à la signature de votre contrat à Chelsea ?
Ils étaient heureux pour moi. J’ai essuyé quelques plaisanteries, comme cela a été le cas pour d’autres joueurs de Genk lorsqu’ils ont officialisé un transfert, mais je n’ai pas senti de jalousie. De mon côté, je ne perds pas de vue que c’est en partie grâce à mes coéquipiers que j’ai pu réaliser ce beau transfert. Ils m’ont aidé dans mon évolution.
Vous sentez-vous soulagé depuis la signature de ce contrat ?
Un peu, oui. Je ne peux pas dire que la perspective d’un transfert me rendait nerveux, mais on en parlait constamment et l’officialisation du contrat avec Chelsea a coupé court à toutes les rumeurs. Désormais, les choses sont claires. Les gens ne pourront plus dire : – Kevin parle beaucoup et rien ne se concrétise… Si je parle peut-être beaucoup, je ne suis quand même pas un bonimenteur. Chaque fois que j’ai évoqué un possible transfert, c’est parce qu’il y avait une offre concrète.
C’est un rêve qui s’est réalisé ?
Oui, et aussi le fruit de mon travail. A 17 ans, j’ai commencé tout en bas et j’ai beaucoup travaillé pour arriver à ce niveau.
Comment vivez-vous vos derniers moments en Belgique ?
Pour moi, le plus important est de conserver un bon niveau et d’être épargné par les blessures. Je ne peux pas me permettre de me blesser. D’une part, parce que j’ai encore envie de disputer ces derniers matches en Belgique. Et d’autre part, parce que ce serait très dommage de louper la préparation pour la saison prochaine, où de grands défis m’attendent.
Vous en gardez donc sous la pédale ?
Pas en match, parfois à l’entraînement. J’essaie d’éviter les contacts trop rugueux.
Qu’escomptez-vous de la saison prochaine ?
Chelsea est un club du top mondial. J’espère que je pourrai y apprendre énormément et encore élever mon niveau. Je m’attends à être prêté. Et si tel est le cas, je n’ai encore aucune idée de ma destination. Je vais d’abord prendre quelques vacances, sans doute en compagnie de Jelle Vossen et Dimitri Daeseleire, et j’espère être prêt pour entamer la préparation avec les Blues. Si cette préparation se révèle excellente, il y a des chances que je puisse rester. J’estime toutefois moi-même que le pourcentage est très faible.
Vous vous êtes rendu là-bas en janvier. Avez-vous eu l’occasion de visiter ?
J’ai vu le centre d’entraînement et Stamford Bridge. C’était l’essentiel. Pour le reste, je connais Londres : j’y suis encore allé à Noël pour rendre visite à une partie de la famille qui réside là-bas. Je ne pense pas que je vivrai dans le centre. D’une part, parce que le complexe d’entraînement de Chelsea est relativement excentré. Et d’autre part, parce que la vie à Londres est un peu trop frénétique. J’aime le calme. Si je ne veux pas d’un endroit mort, je fuis aussi l’agitation.
Vous effectuez actuellement votre tournée d’adieu dans les stades belges ?
Si l’on peut dire, oui. Mais je ne me dis pas : c’est la dernière fois que je joue à Bruges, à Anderlecht, au Standard… Je sais simplement que, mon tout dernier match cette saison, je le jouerai à Gand : là où tout a commencé pour moi. Le hasard fait parfois bien les choses.
PAR DANIEL DEVOS – PHOTOS: IMAGEGLOBE/ KETELS
» Je suis aussi impulsif sur le terrain que dans mes déclarations. C’est mon caractère. «
» Je m’attends à ce que Chelsea me prête, mais je n’ai aucune idée de ma destination. «
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