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Chef-d’oeuvre à quatre mains

Historiquement, ils sont les maillons faibles de la Seleção. Mais ça, c’était avant. À quelques semaines du Mondial 2018, la samba se danse aussi avec les mains gantées.

La légende est mondialement répandue, mais elle manque encore d’une déclaration d’authenticité. Jusqu’en 2006, quand Dida passe au confessionnal. L’ancien gardien du Milan AC, titulaire entre les perches brésiliennes lors du Mondial allemand, raconte à Libération :  » Ici, personne n’a envie de devenir gardien de but. Mes frères étaient simplement de meilleurs footballeurs que moi, donc on me proposait toujours d’aller dans les cages.  »

Le gardien brésilien est un joueur de champ qui n’a pas réussi. La règle semble immuable. Elle s’appliquait déjà à Félix, dernier rempart et maillon faible tout désigné de l’intraitable Seleção de 1970.  » Au Brésil, si un joueur n’est pas assez bon devant, il sera gardien « , affirme celui qui assiste, depuis la pelouse, au dernier titre mondial du roi Pelé.  » Moi, j’ai commencé à jouer au but parce que personne ne voulait y aller.  »

Ederson Moraes, l'une des armes de Manchester City cette saison.
Ederson Moraes, l’une des armes de Manchester City cette saison.© BELGAIMAGE

 » Au Brésil, les gardiens n’ont jamais eu droit à un traitement équitable « , renchérit Claudio Taffarel, champion du monde 1994. Le pays du joga bonito a en effet une dent contre les mains gantées. Une aversion historique, qui remonte au traumatisme de 1950. Sur la pelouse du Maracana, le Brésil partage avec l’Uruguay, un score qui lui permet toujours de rêver d’une première couronne mondiale, ceinte à domicile.

Mais sur un débordement d’ Alcides Gigghia, déjà auteur du but égalisateur, le gardien brésilien Barbosa anticipe un centre, et est piégé à son premier poteau. Les gants sont l’accessoire indispensable du costume du coupable du Maracanazo.

Canonisation à onze mètres

Malgré les exploits de Gilmar, double roi du monde en 1958 et 1962 avec la Seleção, le dernier rempart du Brésil reste un usual suspect au départ de chaque rendez-vous international. Une étiquette peu flatteuse qui ne se décolle que lors de séances de tirs au but, tribunaux suprêmes d’un jury populaire brésilien, prêt à sanctifier le suspect en cas d’exploit.

Taffarel est ainsi passé à la postérité pour le titre mondial de 1994, remporté face à la Squadra de Roberto Baggio. Sur le plan large des larmes du Ballon d’or italien, on aperçoit le portier auriverde à genoux, les doigts pointés vers le ciel.

Un sens de la prière que partagera Marcos, dernier gardien sud-américain sacré champion du monde, en 2002. Pour lui aussi, les duels aux onze mètres avaient servi d’ascenseur social.

Lors de la Copa Libertadores 1999, son Palmeiras affronte les Corinthians en quarts de finale, et Marcos renverse l’histoire de la séance en détournant le tir au but de Vampeta. Surnommé  » São Marcos  » (saint Marcos, ndlr), il devient international puis s’installe sur le toit du monde.

Entre-temps, il a encore écoeuré plusieurs clubs sud-américains aux tirs au but. Même Marcelinho, le spécialiste national de l’exercice basé aux Corinthians, perd son face-à-face avec São Marcos.

Vainqueur d’une Ligue des Champions aux tirs au but, Dida perpétue la tradition. Au bout de sa carrière, l’ancien dernier rempart des Rossoneri est revenu au Brésil, et partage ses secrets de penalties arrêtés avec la jeune promesse de l’Internacional Porto Alegre, où il a posé ses gants.

Le prodige, qui écoute religieusement les conseils de son idole, s’appelle Alisson Becker. En l’espace de quelques mois entre les perches de l’Internacional, où il a succédé à Dida, Alisson arrête les tentatives des stars locales que sont Rafael Sobis ou Lucas Barrios.

Des exploits qui font arriver son nom jusqu’aux oreilles de Dunga, redevenu sélectionneur après le traumatisme allemand du Mondial 2014. Incapable de trouver un successeur fiable à Julio Cesar, l’ancien Imperatore de l’Inter, Dunga offre une première chance internationale à Alisson.

Un Brésilien à Rome

Trois ans après ses premiers pas avec la Seleção, Alisson Becker est devenu le numéro 1 de Tite, le sélectionneur qui doit mener le Brésil à sa sixième couronne mondiale. Débarrassé de la concurrence de Wojciech Szczesny, parti jouer les doublures de Gianluigi Buffon à Turin, il est désormais l’incontestable dernier rempart de la Roma.

Impérial en Italie, mais aussi sur la scène européenne, il est l’un des artisans majeurs de la participation des Giallorossi au grand huit des quarts de finale de la Ligue des Champions.

Héros du match nul contre l’Atlético en phase de poules, excellent contre Chelsea, il a permis aux Romains de survivre à leur déplacement en Ukraine, au prix de nombreux exploits face au Shakhtar.

 » C’est le numéro 1 des gardiens brésiliens, la Roma a bien fait de l’acheter « , avait prophétisé Doni, ex-portier de la Louve, à l’arrivée d’Alisson dans la Ville Éternelle. Lors de sa première année romaine, le Brésilien a pourtant passé beaucoup de temps sur le banc, à l’exception des rencontres d’ Europa League qui lui permettaient de sortir épisodiquement de l’ombre de Szczesny.

L’occasion de dévoiler un style purement auriverde, qu’il définit lui-même :  » Au Brésil, on se concentre d’abord sur l’explosivité et la force pour former des gardiens.  »

Pas toujours irréprochable à la relance ou dans les airs, Alisson se distingue par une vivacité hors du commun dans ses sorties au sol, et des parades ahurissantes effectuées depuis sa ligne de but.

Adoubé par Claudio Taffarel, devenu coach des gardiens brésiliens à l’initiative de Dunga après le Mondial 2014, Alisson a exigé des garanties auprès de Monchi, nouveau directeur sportif de la Roma, l’été dernier. Du temps de jeu ou un transfert.

À un an du Mondial, le Brésilien ne pouvait pas se permettre une nouvelle saison avec une activité réduite. Car la concurrence, d’ordinaire si rare entre les perches de la Seleção, est devenue plus féroce que jamais. La faute à un voyage à 40 millions d’euros entre Lisbonne et Manchester.

Ederson aux pieds d’or

Le voyageur s’appelle Ederson Moraes. Son quinzième anniversaire à peine fêté, il a été repéré par un scout du super-agent portugais Jorge Mendes, alors qu’il multipliait les parades dans l’état de São Paulo.

Rapidement débarqué au Portugal, le Brésilien a conclu sa croissance dans les classes d’âge de Benfica, avant de s’installer à Rio Ave. Là, il croise la route de Nuno Espirito Santo, ancien gardien devenu entraîneur et bientôt assis sur le banc de Valence. Quant à son concurrent pour le poste de numéro 1, il s’appelle Jan Oblak.

Quand le Slovène prend la route de l’Atlético Madrid, après être passé par la case Benfica, c’est Julio César qui prend sa succession chez les Aigles. Le vétéran brésilien assure entre les perches, jusqu’à une blessure à l’adducteur, survenue à l’entraînement au début du mois de mars 2016.

Privé de son numéro 1, Rui Vitória est donc contraint d’installer sa jeune doublure pour protéger ses filets en quarts de finale de la Ligue des Champions, où Benfica croise la route du dernier Bayern de Pep Guardiola.

Le coach catalan sort des 180 minutes en étant marqué par le jeune Brésilien installé dans le but d’en face. Plus que par ses mains, Pep est obsédé par ses pieds :  » Il nous a obligés à défendre très profond, ce qui nous a posé pas mal de problèmes.  »

Car Ederson a un pied gauche hors norme. Le genre d’arme de précision capable de vous envoyer un caviar à 70 mètres de distance. Une sorte de version gantée d’ Andrea Pirlo ou de Xabi Alonso.

En proie à des problèmes de gardien, suite à la saison décevante de Claudio Bravo chez les Citizens, Guardiola n’oublie pas le nom d’Ederson Moraes. Le Brésilien, lui, s’attache à répandre le sien, au prix d’une prestation cinq étoiles en huitième de finale de Ligue des Champions face à Dortmund couronnée, évidemment d’un penalty arrêté, pour le malheur de Pierre-Emerick Aubameyang.

Bravo et Ederson sont donc réunis l’été dernier, au prix d’un transfert à 40 millions qui entraîne un vent de scepticisme, rapidement apaisé par le calme olympien, les parades assurées et les relances atomiques du Brésilien, qui bouleverse même le pressing adverse en obligeant les défenses qui affrontent Manchester City à reculer pour ne pas risquer une punition signée Sergio Agüero ou Raheem Sterling dans la profondeur.

Alisson reste devant

Alors qu’il était encore inconnu à l’échelle continentale quelques mois plus tôt, plus personne ne comprend pourquoi Ederson Moraes n’est pas le titulaire attitré de Tite derrière la défense brésilienne. Ceux-là, hypnotisés par la Premier League, oublient sans doute de jeter un oeil sur le Calcio, là où la Roma présente l’une des meilleures défenses du continent (23 buts concédés en 29 matches) grâce aux exploits hebdomadaires d’ AlissonBecker.

Un bref regard vers le milieu de terrain de la sélection brésilienne suffit pour comprendre que Tite n’est pas là pour proposer une version sud-américaine du jeu de Pep Guardiola. Avec Casemiro, Fernandinho et Paulinho alignés de concert face à l’Allemagne, la Seleção a décidé de faire dans le cynisme, laissant la caution joga bonito entre les pieds de son trident offensif, suffisamment armé pour faire la différence sans trop découvrir le reste du onze, même en l’absence de Neymar.

Pas besoin, dès lors, de pieds d’exception entre les perches. Deux gants bien assurés suffisent. Et à ce petit jeu-là, les mains d’Alisson semblent encore avoir l’avantage.

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