» CHARLEROI ne va pas devenir UN GRAND CLUB du jour au lendemain « 

L’homme fort de Charleroi nous a reçus chez lui pour préfacer le championnat.

La maison est jolie, emménagée avec goût, dans une rue calme de Rhode-Saint-Genèse. MehdiBayatécoute les consignes de sa femme, Sabine, tout en jouant avec sa fille aînée, Ava (2 ans). On est bien loin de l’image du dirigeant speedé que l’on croise dans les murs du Sporting de Charleroi. Chez lui, il est plus posé, paisible, presqu’en retrait. Pour pouvoir pénétrer dans son antre, il a fallu négocier, surtout avec sa femme, qui garde un mauvais souvenir d’un reportage précédent pour un magazine concurrent. Elle pose une condition : ne pas faire de photo des deux enfants. Acceptée. Une fois les barrières levées, le couple se prête à une séance photo.

Sabine, issue également de la diaspora iranienne, a des idées et les partage avec la photographe. Elle vit avec Mehdi depuis dix ans. Ils se sont rencontrés par hasard et les racines communes les ont rapprochés. Ils n’ont pas la même vue du pays qu’ils ont quitté. L’Iran, où elle a vécu 12 ans, elle a tendance à le rejeter. Mehdi, ce pays qu’il n’a presque pas connu et a découvert durant une année sur le tard, il le voit avec des yeux amoureux. Ava vogue entre le salon et le jardin, à ramasser les bouts de bois qui traînent ; elle tente parfois de s’immiscer dans la photo et sa grand-mère doit intervenir. Lya (9 mois) fait sa sieste. Une fois la séance terminée, Sabine se retire avec la photographe pour visionner les photos. Mehdi rejoint alors le salon pour préfacer ce début de championnat qui s’annonce.

Votre mercato a été tellement calme que vous avez pu vous occuper de vos enfants…

MehdiBayat : Ce n’est pas parce qu’il ne s’est rien passé que mes nuits ont été plus calmes. Et pas simplement à cause du cri de mes enfants. Si le mercato fut calme, c’est parce que le club a tenu. On a fait une bonne saison et il était normal d’avoir des offres pour certains de nos joueurs. C’est ce qui s’est passé. Mais aujourd’hui, le Sporting a atteint une certaine cote de popularité auprès de nos joueurs. Ceux-ci se rendent compte que notre ligne tient la route. D’ailleurs, les joueurs courtisés sont toujours à Charleroi.

Sébastien Dewaest a quand même la bougeotte…

Oui, mais pas à tout prix. Il a envie d’évoluer et de passer un cap mais tant qu’il progresse à Charleroi, pourquoi changer ? Je pense que les joueurs prennent aujourd’hui du plaisir à Charleroi. Ils voient le projet du stade, ils voient que je suis en train de leur préparer un centre d’entraînement, que le Sporting se construit tout doucement et qu’ils participent à cela. Si le Sporting n’avait pas été en PO1, j’aurais mis beaucoup plus de temps à mettre en place ce que je suis en train de faire aujourd’hui. Et ça, c’est aux joueurs que je le dois.

En quoi les play-offs vous ont-ils fait gagner du temps ?

Financièrement d’abord. Les travaux du stade pour l’Europe n’auraient pas pu être faits sans les PO1. Cela m’a permis aussi de garder des joueurs. Je ne suis pas obligé de vendre. A l’époque où on a transféré Pollet, Kaya et Milicevic, je ne voulais pas les vendre mais j’ai senti que cette opération financière nous permettait de pérenniser le club. Aujourd’hui, comme je ne suis plus vendeur, je peux analyser les offres et me positionner au niveau de mon prix. Je peux imposer mes conditions.

 » David Pollet va marquer 15-20 buts, je n’ai aucun doute là-dessus  »

Vous vous attendez à des départs ?

Non. Sauf si on fait une bonne session en Coupe d’Europe au mois d’août. Aujourd’hui, le marché belge est porteur mais c’est en Coupe d’Europe qu’on a le plus de visibilité.

Il y a un an, tout le monde aurait applaudi votre campagne de transferts. Aujourd’hui, on fait un peu la fine bouche en disant que c’est un mercato sans risques…

C’est un mercato à l’image de ce qu’est le Sporting de Charleroi.

Mais ne rentrez-vous pas dans la catégorie des clubs qui, pour grandir, doivent prendre un peu plus de risques ?

Non. On s’est positionné comme un club juste et intelligent en gardant notre effectif. Nos renforts sont les prolongations de contrat. Mon mercato a débuté quand j’ai prolongé Clément Tainmont, Neeskens Kebano ou Stergos Marinos. Il n’y a pas un joueur qui n’a pas un contrat de deux ou trois ans.

Mais à un moment donné, si vous continuez votre progression, cet effectif ne va-t-il pas manquer de qualités ?

Je pense que ce noyau a encore de la marge. Il est plus fort que celui de l’année passée. Le travail de Felice Mazzu va encore payer davantage car les gars se connaissent mieux, ont plus d’automatismes et que le noyau est plus large. Aujourd’hui, on a 20 éléments qui peuvent apporter quelque chose. Je pense qu’on sous-estime les nouveaux joueurs.

Logique puisqu’ils viennent de D2 pour la plupart (Dessoleil, Ferber et Stevance)…

Mais on sous-estime la D2 ! L’année passée, jusqu’à la 15e journée, tous les meilleurs buteurs de D1 venaient de D2. Florent Stevance a marqué 18 buts et donné 12 passes décisives. Cela signifie qu’il était impliqué dans 30 buts, soit la moitié des buts de son équipe ! Pour moi, c’est un renfort de qualité. Je sais qu’il n’a pas l’expérience de D1 mais Charleroi n’allait pas transférer Mitrovic ou Ezekiel !

Mais c’est logique d’estimer des joueurs de D1 meilleurs que ceux de D2…

Vous pensez vraiment qu’un attaquant qui est remplaçant en D1 est meilleur qu’un titulaire de D2 ? Un club de la côte le croit, nous pas.

Mais avec Pollet, c’est ce que vous avez fait !

C’est différent. Je connais le joueur. Il a évolué chez nous. Je sais qu’il va marquer 15-20 buts. Je n’ai aucun doute là-dessus. Il sait comment on joue, il connaît l’équipe. Il est ici comme un poisson dans l’eau. Il a une réelle envie de prouver qu’il n’a pas eu sa chance à Anderlecht et Gand. Je pense qu’il a été mésestimé et nous, on va le remettre à sa vraie valeur.

 » On avance sûrement mais lentement  »

Mais confirmez-vous que vous n’êtes pas encore à l’étape qui consiste à acheter une valeur sûre de D1 ?

Pas encore. A l’avenir, Charleroi pourrait transférer un Thomas Matton comme Gand le fait. Mais pas encore maintenant. On a consenti beaucoup d’investissements en termes d’infrastructures et en primes pour les joueurs. J’ai décidé d’aller étape par étape. On avance sûrement mais lentement. On ne va pas devenir un grand club du jour au lendemain.

Vous visez le top-6 mais est-ce que les renforts de Genk, Ostende et Zulte Waregem ne vous inquiètent pas ?

Je pense qu’on a les armes pour lutter. Là où ces clubs se sont renforcés et doivent faire en sorte que la mayonnaise prenne, nous, on a privilégié la stabilité. Mais si on croit que tout est acquis, on est mort ! J’ai tout fait pour limiter les risques de dérapage (noyau intact, recrutement juste et intelligent, staff et dynamique en place), je ne vois pas pourquoi ça ne marcherait pas.

Quelle a été la partie la plus compliquée à gérer la saison passée ?

Mon contexte privé (Il sourit). J’avais des enfants qui pleuraient beaucoup et des nuits courtes. Par moments, j’étais dans un scénario de film un peu trash où on dort très peu et on est constamment sous pression. Mais les bons résultats rendaient les choses plus faciles.

Quelle est la chose dont vous êtes le plus fier ?

J’ai l’impression que mon message ( » Prenez confiance en vous « ) auprès des supporters et de la ville est bien passé. Il n’y a pas de mal à avoir de l’ambition quand on travaille et qu’on respecte les autres.

Sentez-vous que le regard du foot belge envers Charleroi a changé ?

Considérablement. On est respecté. Je ne voulais plus que le Sporting soit la marionnette de qui que ce soit mais dépende du travail de son personnel. C’est réussi. Notre image a changé et si je m’étais présenté au Comité exécutif il y a trois ans, jamais on n’aurait voté pour moi ! Si on vote pour moi, c’est parce qu’on me voit défendre les intérêts de la Pro League et garder une ligne de conduite juste. Tout cela permet de positionner le Sporting Charleroi sur l’échiquier du football belge comme un club important.

Avez-vous l’impression de vous être débarrassé de l’ombre de votre frère, Mogi Bayat ?

Je crois que ce débat est dépassé et s’est tassé.

Mais il est là à tous les matches, parle de Charleroi comme de son club, est présent dans tous les deals sortants de Charleroi…

Moi, je ne le vis pas du tout comme cela. Il est là à tous les matches comme il est à tous les matches d’Anderlecht et de Gand (je ne sais pas comment il fait !). Il peut d’ailleurs remercier le manager des calendriers ! Et puis, j’espère qu’il va venir à nos matches : c’est mon frère et son fils, mon neveu que j’adore, est supporter de Charleroi !

 » Mon oncle Abbas m’a félicité pour les résultats sportifs  »

D’accord, mais….

Pourquoi faire une fixation sur lui ? Parce que c’est mon frère ? En semaine, il n’est pas là. Je crois qu’il a du respect pour le travail que j’accomplis ; je pense qu’il a trouvé sa voie, comme moi, j’ai trouvé la mienne. Il est simplement un agent plus compétent que d’autres. S’il est présent dans les deals sortants de Charleroi, c’est parce qu’il a été mandaté par les clubs acheteurs (et non par moi) pour transférer ces joueurs ! Sur les deals entrants, donnons un exemple : Mogi n’a rien à voir avec Nicolas Penneteau. Mais l’agent de Nicolas Penneteau, qui est Français, doit, pour pouvoir travailler en Belgique, travailler avec un agent agréé en Belgique. Même chose pour Benjamin Boulenger. A un moment donné, Mogi intervient donc pour représenter l’agent français qui n’est pas agréé en Belgique. Les transferts de Gand, c’est qui ? C’est lui. Zulte Waregem ? C’est lui. Courtrai ? C’est lui. Malines ? C’est lui. Je n’en peux rien s’il est devenu l’agent numéro un en Belgique. Tous les deals sortants en Belgique sont faits par lui ! Moi, je le dis haut et fort : je travaille avec tout le monde. Mais que les autres agents fassent leur travail !

Avez-vous discuté du Sporting avec votre oncle, Abbas, depuis la reprise ?

Oui, j’en parle ponctuellement avec lui mais pas beaucoup. Il me félicite pour les résultats sportifs. Depuis qu’il n’est plus mon patron, je suis content d’avoir retrouvé mon oncle, c’est-à-dire le frère de mon père, avec qui je peux discuter de la famille, de mon père, de mes enfants. C’est la même chose avec mon frère. D’ailleurs, je ne pourrais plus travailler dans une relation professionnelle directe avec un membre de ma famille. J’ai trop souffert de ce que j’ai vécu avec mon oncle et mon frère pour revivre cela. C’était malsain.

Il n’y a pas d’envie de monter un jour un projet, à Charleroi ou ailleurs, avec Mogi ?

Certainement pas. Quand il était manager général et moi, directeur commercial, d’une certaine manière, c’était mon supérieur hiérarchique et cela n’a pas été toujours facile de travailler avec lui. Aujourd’hui, on a des activités distinctes et on n’a plus de comptes à se rendre.

Qu’aimeriez-vous faire de Charleroi ?

Un club régulier. On a une rénovation du stade prévue. La ville de Charleroi et la Région Wallonne ont mis à notre disposition une enveloppe de 7 millions d’euros. Le stade va donc évoluer. A moyen ou long terme, on va peut-être déménager le stade. On a un projet de centre d’entraînement pour le noyau élite (NDLR : à Charleroi) endéans les deux ans qui sera financé sur nos fonds propres. Le site de Marcinelle pour les jeunes va considérablement changer.

Avez-vous un modèle de gestion ?

Non, je vais chercher ce qui se fait de mieux un peu partout. Un peu à Gand, un peu à Anderlecht, un peu au Standard. Et adapter tout cela au modèle carolo. On ne va pas se comparer au Real ou à Manchester United, ça n’a pas de sens. Par contre, en termes d’infrastructures, j’aime beaucoup ce qui se fait en Allemagne où ils ont compris que le supporter doit avoir un rôle prépondérant dans la vie du club. Ils font tout pour amener du confort aux supporters et que celui-ci prenne du plaisir à dépenser son argent dans le stade. A Charleroi, je compte faire circuler des caddies dans le stade pour vendre écharpes, bonnets. Ça facilite la tâche aux gens qui ne doivent plus se déplacer pour acheter leur écharpe. Je sais que Fabien Debecq et moi, nous ne sommes que de passage au Sporting de Charleroi car le club appartient à ses supporters mais, pendant les années où nous sommes là, nous avons réellement envie de marquer l’histoire du club.

 » Un supporter doit rester un supporter  »

Le modèle des socios envisagé par Bruno Venanzi au Standard vous plaît-il ?

Non. Je ne crois pas en cette solution. Dans un club de foot, on doit être capable de prendre une décision rapidement. Quand tu as un CA trop fourni, que tu as des gens dont ce n’est pas le métier qui veulent s’impliquer dans un club de foot, ce n’est pas bon. Moi, j’ai appris mon métier pendant 10 ans. Il faut savoir prendre du recul car le football est très émotionnel. Or, un supporter est très émotionnel ! Un supporter a un rôle très important dans un club. Je respecte les miens plus que tout mais un supporter doit rester un supporter !

Avez-vous envisagé l’échec depuis la reprise ?

Evidemment. Quand on vend Pollet, Kaya et Milicevic en janvier 2014 et qu’on perd cinq matches de suite, j’ai passé de sales moments. Quand on gagne ce match à Zulte Waregem, j’ai pleuré sur le terrain car je décompressais. Quand on commence avec 1 point sur 12 en 2014-2015 et que tout le monde me saute dessus pour savoir si je vais virer l’entraîneur, je n’en mène pas large. Mais j’ai montré que contrairement à l’ancienne direction qui avait tendance à dégainer très rapidement, je pouvais privilégier le calme.

PAR STÉPHANE VANDE VELDE – PHOTOS BELGAIMAGE

 » Fabien Debecq et moi, on a envie de marquer l’histoire du club.  »

 » L’année passée, jusqu’à la 15e journée, tous les meilleurs buteurs de D1 venaient de D2. « 

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