« Chapeau à Bölöni… »

L’ancien moteur et Soulier d’Or de Sclessin s’attend à un sursaut mais se demande si le choc contre Anderlecht ne vient pas trop tôt.

Même s’il fait froid, Zonhoven est magnifique sous un léger voile blanc. Wilfried Van Moer vit depuis belle lurette en Campine où il a patiemment retapé une ancienne ferme décorée avec beaucoup de goût. C’est un splendide havre de paix qui mériterait sa place dans les plus grands magazines life style. A 64 ans, déjà, il vit calmement, joue au golf, de préférence dans un pays ensoleillé, en Espagne ou en Croatie, mais le football reste au centre de ses passions. Van Moer ne rate rien de ce qui se passe à Sclessin. Il adore y parler foot avec les frères D’Onofrio et ne cache pas que Laszlo Bölöni l’impressionne malgré l’étonnante cascade de mauvais résultats en championnat et un classement actuel qui suscite les questions.

On ne parle déjà plus que du prochain Standard-Anderlecht : les Bruxellois aborderont la reprise dans un fauteuil le 17 janvier face à des Liégeois qui ne peuvent se permettre le moindre faux-pas, non ?

Wilfried Van Moer : Oui, c’est tout à fait exact mais, au-delà des réalités du classement général, cela reste un match de prestige. Anderlecht l’aborde à un bon moment par rapport au Standard. Car la petite interruption est la bienvenue pour les Liégeois qui cherchent la bonne carburation en championnat. Cet arrêt permettra aux joueurs, au coach et au staff technique de prendre un peu de recul par rapport à la difficulté de leur situation. Je crains cependant que ce choc contre Anderlecht ne survienne un peu trop tôt.

Pourquoi ?

Steven Defour, Igor de Camargo, Milan Jovanovic et les autres blessés seront-ils rétablis ? Defour devrait être très prudent. Il travaille beaucoup, je sais, mais de là à précipiter son retour, il y a de la marge. En cas de rechute, il ruinerait tous ses projets pour la deuxième partie de la saison : ce serait dramatique pour lui et pour son club. Même si les deux équipes ont pu souffler, Bölöni doit gérer actuellement plus de gros problèmes qu’Ariel Jacobs. Je prévois un Anderlecht patient, qui exploitera chaque bon moment. Mais Bölöni est aussi un stratège qui sait poser des problèmes tactiques à ses opposants. Il doit certainement réfléchir à un plan. A mon avis, Anderlecht sera champion mais le Standard ne peut pas se permettre de rater le top 6. Ce serait un solide recul après deux titres. Le Standard aura l’avantage de se produire dans son stade. Un nul conviendrait à Anderlecht, pas au Standard. J’espère…

 » Fin décembre, on a enfin revu un bon Witsel « 

Vous espérez quoi ?

Ce sera forcément un match nerveux. L’ambiance sera tendue. J’espère que les deux directions laisseront la parole aux sportifs. La réconciliation du Château d’Hélécine, l’accolade et le champagne, je veux bien, mais il faut que le sport prime. Le passé, c’est le passé. Le match aller est derrière et il faut le laisser là où il est, ne pas y revenir. Un joueur a été gravement blessé et un autre ne l’a pas fait exprès, c’est mon avis. Tout le monde a souffert et, hélas, j’ai vu ces derniers temps des interventions au moins aussi dangereuses. Si Axel Witsel n’avait pas été perturbé, donc insensible, il n’aurait pas mis autant de temps pour retrouver son niveau. Ce n’est qu’en fin décembre qu’on a revu un bon Witsel. Il faudra qu’il prépare le Clasico sans qu’on lui parle constamment de ce qui s’est passé avec Marcin Wasilewski…

Mais comment et pourquoi le Standard en est-il arrivé là ?

Moi, je dis chapeau à ce que Bölöni a apporté au Standard la saison passée. Il n’était pas facile de prendre la succession de Michel Preud’homme qui avait obtenu le titre tout en laissant un bel héritage : une équipe en place. Mais c’était aussi un capital technique et tactique qu’il fallait bonifier. Bölöni y est parvenu de belle façon et sa vision du jeu est un enrichissement. Quand Marouane Fellaini a été transféré à Everton, le Standard s’est retrouvé face à un immense problème. Marouane prenait de la place, que ce soit défensivement ou offensivement. Le coach a trouvé de nouveaux équilibres, Witsel a glissé dans l’axe et Defour, qui jouait sans cesse en fonction de Fellaini, a évolué plus haut. Le départ de Fellaini a donc, quelque part, profité à Defour. Il a pris de l’ampleur et fut avec Witsel le c£ur de l’équipe. Le coach a utilisé les trois attaquants ensemble et le Standard jouait haut, mettait la pression dans le camp adverse. Il fallait oser le faire à Liverpool ou Everton. C’était innovant pour la Belgique. Les blessures ont réduit tout cela à néant…

Chaque équipe a son lot de blessés…

Oui, mais au Standard, tout le c£ur de la ligne a été rayé de la carte durant des semaines. En début de saison, personne n’a pu reprendre le rôle de Defour, puis de Witsel en championnat. Alors, que dire des deux à la fois ? Il y a deux ans, j’avais cru que le brassard de capitaine serait trop lourd à porter pour Steven. J’ai dû revoir mon jugement. En décembre, Benjamin Nicaise a parfois dû organiser le jeu. Je m’excuse mais cela veut tout dire à propos des soucis du Standard. Le Français peut être utile pour protéger un résultat et boucher les trous dans la ligne médiane quand le Standard joue bas mais pas pour orienter la man£uvre offensive.

Bölöni avait-il assez d’outils sous la main ?

Non, je ne crois pas. Il a sans cesse cherché. On a parfois vu Eliaquim Mangala dans cette zone mais il manque de vécu pour ce job. Si ce garçon signera probablement une belle carrière, il doit encore apprendre tant de choses. Mehdi Carcela aussi : il joue encore pour lui, pas assez en fonction de l’équipe. C’est un beau technicien et cela viendra. En attendant, il faut payer le prix de l’inexpérience. Les jeunes ont tant besoin du retour de Defour qui sait porter le poids d’une équipe sur ses épaules, eux pas encore. Et c’est le coach qui est indiqué du doigt quand cela chauffe. Surtout que Bölöni a un humour bien à lui, un discours propre aux gens de l’Est.

A-t-il perdu le contact avec le groupe ?

Je ne crois pas. Les messages qu’il distille dans la presse sont parfois très durs, et il lui est arrivé de douter de joueurs à qui il a ensuite dû faire appel. Mais c’est un très grand professionnel. Les joueurs savent qu’ils ont progressé avec lui. Et au Standard, les choses sont claires.

Claires à propos de quoi ?

Il y a toujours des insatisfaits dans un effectif mais tout le monde sait que le patron, Lucien D’Onofrio, est derrière le coach. C’est lui qui décidera, personne d’autre même si le poids des résultats compte, évidemment. Au Cercle Bruges, Bölöni m’a semblé un peu désarmé par rapport au match. Cette saison, il faut bien le dire, le Standard s’est écroulé comme un château de cartes en championnat. Sans la tête miraculeuse de Sinan Bolat contre AZ Alkmaar, le bilan global aurait été encore plus maigre. Je suis un vrai supporter du Standard et je ne suis évidemment pas heureux. Le classement ne ment jamais : pour le moment, le Standard occupe la place qu’il mérite.

 » Je n’ai pas vu deux fois la même défense « 

Faut-il des renforts, maintenant ?

Oui et certainement en défense…

Les problèmes débutent-ils derrière ?

En grande partie. Je n’ai pas vu deux fois la même défense. Or, c’est la base de tout. En 1969, 70 et 71, rien n’a bougé derrière avec Christian Piot, Jacky Beurlet, Léon Jeck, Nicolas Dewalque et Jeannot Thissen. C’était du béton armé. Cette stabilité était importante pour le gardien et la ligne médiane qui savait qu’on ne passerait pas derrière. Bolat souffre de ce manque de solidité. Une défense qui ne bouge pas simplifierait sa vie et lui-même serait forcément plus régulier. Oguchi Onyewu n’a pas été remplacé dans son apport défensif mais aussi dans sa présence dans le trafic aérien sur les phases arrêtées devant le gardien adverse. Personne ne déménageait cette défense. Mohammed Sarr jouait les yeux fermés avec lui. On ne faisait pas mieux comme duo central défensif. Or, le Sénégalais se cherche sans l’Américain. Les nouveaux Brésiliens ont besoin d’un temps d’adaptation. Le Standard a essayé de transformer un médian, Cédric Collet, en back gauche : cela ne fut pas positif. Puis, on fit appel à Landry Mulemo qui pouvait partir. Pas l’idéal. Il faudrait un arrière gauche mais aussi un droitier pour que Marcos, qui n’est plus le même depuis sa blessure à Bruges la saison passée soit mis sous la pression d’un concurrent. Devant lui, je ne reconnais plus non plus Wilfried Dalmat qui ne déboule plus comme avant.

Jovanovic trône en tête du classement des buteurs mais c’est le vide derrière lui : Mbokani ne marque plus…

Les trois attaquants ont été blessés à tour de rôle. La saison passée, ils ont été épargnés par les pépins. Leur classe ne se discute pas. A mon avis, ils mettront les choses au point au cours du deuxième tour. J’adore Mbokani et j’apprécie le travail de de Camargo. A 28 ans, Jovanovic est plus loin dans son évolution de joueur. C’est un talent et un caractère. Il dit ce qu’il pense et cela peut étonner mais je me rends souvent en vacances dans les contrées d’où il vient et je constate que son comportement est fidèle à sa culture. Au Standard, j’ai joué avec Milan Galic qui était un très grand attaquant. Jova est différent. Galic était un attaquant de pointe, un relais, alors que Jovanovic est plus un contreur de première force. Mais retrouvera-t-il tout de suite son potentiel après avoir été opéré au genou en décembre ? Encore une question en plus : cet effectif est un peu trop jeune pour parer à de nombreuses blessures. Sans ses piliers, le Standard a finalement une équipe très moyenne. Et, à mon avis, tous ces problèmes font perdre un an au club. Les jeunes seraient plus loin s’ils étaient solidement entourés au lieu d’être projetés, plus tôt que prévu, à l’avant de la scène alors que le programme est très lourd.

A votre avis, que donnera la formule de playoffs pour le titre ?

Ce sera passionnant et les équipes perdront sans doute beaucoup de points. Des playoffs avec Anderlecht, le Club Bruges, Gand, le Germinal Beerschot, Zulte Waregem et le Standard, j’espère : cela fera un paquet de matches très serrés. Anderlecht a l’effectif le plus large. Adrie Koster a rendu une âme et un style à Bruges. Son turnover est accepté, parfois avec un ricanement, comme ce fut le cas pour Wesley Sonck, car les résultats suivent. A Gand, Preud’homme, qui est très spécial, bosse comme un malade et a une formation bien balancée. Zulte Waregem est organisée avec ses joueurs français et exploite remarquablement le contre. Anderlecht est mon favori pour le titre mais, jusqu’à présent, c’est le jeu proposé par le Germinal Beerschot de Jos Daerden qui m’a le plus séduit.

Par Pierre Bilic – Photos: Reporters/Herchaft

 » Les jeunes ont tant besoin d’un Defour qui sait porter une équipe…  »

 » Sans ses piliers, le Standard est une équipe très moyenne… « 

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