« Chacun pour sa gueule »

Le cri du cour d’un homme qui ne comprend pas la saison mitigée de son équipe.

Un physique de jockey (1,72m, 67 kg). Une pointe de vitesse qui vaut le détour. Un passé au Racing de Paris. Un franc-parler qui plaît. Un caractère explosif. Des origines en Guadeloupe. Une enfance et une adolescence dans l’une des banlieues parisiennes les plus chaudes. Un prénom et un nom qui le font rire. L’attaquant carolo Brice Jovial (23 ans) se dévoile…

Quel est votre rapport avec la Guadeloupe ?

Brice Jovial : Mon père vient de là. Il est arrivé très jeune en France. Il était ambulancier à Paris : un métier où on en voit des belles tous les jours ! Il y a trois ans, il est retourné définitivement en Guadeloupe. Il en avait ras-le-bol de la pollution de Paris, le soleil des Antilles lui manquait trop. Il a apparemment ouvert un petit resto mais je n’ai pas beaucoup de détails sur sa nouvelle vie. Ma mère est restée à Aubervilliers, où j’ai grandi.

Ce n’est pas le coin le plus calme de France…

Ah, c’est clair que ça fait partie des quartiers chauds de Seine-Saint-Denis. J’ai eu une jeunesse chahutée parce qu’on est tenté de suivre le mouvement. Les bagarres et les petits vols qui amusent les jeunes des banlieues, j’ai participé. Mais rien de grave : je n’ai ni violé, ni tué. Je ne referais plus les mêmes bêtises mais je ne regrette finalement pas grand-chose. Aujourd’hui, je suis fier d’avoir percé dans le foot en ayant grandi dans une tour de 26 étages.

On est obligé de participer aux violences si on veut être accepté dans une banlieue ?

Si on ne veut pas jouer le jeu, on a deux solutions : s’isoler dans les études ou changer de quartier. Je suis allé à l’école jusqu’à 17 ans mais ce n’était pas mon truc. Aller en classe ou brosser, ça dépendait des jours, des cours et de mon humeur.

C’est grisant de défier la police ?

Dans les policiers, il n’y a pas que des tendres. S’ils en rajoutent, on réagit sur le même ton et ça dégénère. Mais il y a des jeunes qui vont trop loin. J’ai assisté à des trucs très dangereux. Incendier des voitures quand des gosses traînent autour, ça peut avoir des conséquences catastrophiques.

Vous avez gardé des copains là-bas ?

Un ou deux potes, pas plus. Il y en a que je n’ai plus trop envie de revoir. Dans les gars qui ont grandi avec moi, certains sont en tôle, d’autres sont morts, d’autres encore ont réussi à s’extirper de la banlieue, à créer une famille et à vivre normalement.

Quand on est parisien, on rêve plus de jouer au PSG qu’au Racing ?

Alors là, pas du tout. Il n’est écrit nulle part qu’on doit être un fan du PSG sous prétexte qu’on a grandi dans cette ville. D’ailleurs, le vrai club historique de Paris, c’est le Racing. Mais moi, j’ai toujours été fou de Marseille.

Qu’est-ce que ce club a de plus ?

L’étoile sur le maillot.

Mais encore ?

Allez voir un match au Vélodrome, vous aurez tout compris. C’est une ambiance magique, qui fait peur. Je rêve de fouler cette pelouse, même comme adversaire. On doit avoir les genoux qui claquent. Et il me faudrait sûrement un petit sachet comme dans les avions…

 » On ne devient pas champion avec des égoïstes « 

Comment êtes-vous arrivé à Charleroi ?

Le club me suivait depuis 2004, il m’avait repéré en venant visionner Grégory Christ au Racing et m’avait fait une proposition. Mais j’avais refusé car je gagnais beaucoup mieux ma vie en CFA qu’en D1 belge. Oui, la quatrième division française, où il n’y a pas de pros… Quelques mois plus tard, il y a eu une nouvelle offre du Sporting que j’ai encore refusée. Et finalement, je suis venu en été 2006. J’étais au chômage après une saison pourrie à Cannes. Je m’étais cassé le bras et ça m’avait bloqué pendant sept mois.

Vous avez autrefois fait une excursion à Empoli !

Une histoire comme un rêve de gosse. Empoli était en Série B avec de grosses ambitions. J’ai signé pour 5 ans et claqué 7 buts en 3 matches amicaux. Mais tout a foiré parce que mon agent et le président se sont disputés sur la commission de transfert. J’ai dû refaire mes valises pour Paris et terminer la saison au Racing. La plus grosse déception de ma carrière. Je m’imaginais déjà dans des matches de Série A contre la Juventus et Milan – Empoli est d’ailleurs remonté comme prévu en fin de saison – mais j’ai dû recommencer à jouer contre Pontivy et le Football Croix de Savoie…

En début de saison dernière, vous aviez promis une dizaine de buts avec Charleroi. Vous en avez marqué un seul !

Ben oui… Premier bilan ici : zéro, nul ! J’étais resté inactif pendant plus d’une demi-saison à cause de ma fracture du bras et il m’a fallu plus de temps que prévu pour retrouver le rythme et mes sensations. Quand j’ai été enfin bien, l’équipe tournait et Jacky Mathijssen ne me faisait pas confiance. Mais j’ai appris à connaître le club de l’intérieur et j’ai bien étudié le jeu de tous nos adversaires. Depuis le début de cette saison, aucune équipe ne m’a surpris.

Mais vous ne jouez pas beaucoup plus…

Toujours le même problème. On ne me fait guère confiance. J’essaye de faire abstraction et je bosse, je bosse, je bosse. Je suis occupé à prendre mon envol, j’ai marqué deux buts en Coupe contre Deinze mais je me serais sans doute envolé plus tôt si on avait cru en moi.

La saison du Sporting est un peu triste, non ?

C’est clair que si on compare avec les ambitions officielles… Le club voulait être champion. En entendant ça, tout le vestiaire a bien rigolé. Et beaucoup de gens se sont bien foutus de notre gueule. Pourtant, il y a un potentiel énorme dans ce groupe et je suis sûr que nous aurions pu jouer très haut si nous avions tous tiré à la même corde.

C’est-à-dire ?

Quand il y a autant de joueurs qui ne pensent qu’à eux, on ne peut rien faire de valable. On ne devient pas champion avec des égoïstes. On est footballeur pro pour se montrer, c’est une règle fondamentale. Mais quand on est intelligent, on cherche à se montrer en groupe, on ne se la joue pas perso. Tout le monde essaye de se mettre en évidence à tour de rôle et on voit ce que ça donne au classement. Au bout du compte, tout le monde perd de l’argent. Déjà qu’on ne peut pas devenir riche en faisant sa carrière en Belgique. Ou alors, il faut jouer dix ans à Anderlecht. Quand on joue à Charleroi, on doit avoir l’obsession d’aider le club à terminer le plus haut possible pour avoir une chance de recevoir un contrat ailleurs. Si vous finissez deuxième ou troisième avec un club pareil, on viendra vous chercher. Mais si vous échouez dans le ventre mou, personne ne pensera à vous. Les recruteurs ne s’intéressent pas au 12e du championnat de Belgique. A moins d’être le meilleur buteur du pays. Je ne comprends pas ce manque flagrant d’envie collective. On veut réussir chacun de son côté, chacun pour sa gueule.

 » On nous marche dessus comme si nous étions des petites crottes « 

Le coach dit qu’il n’y a pas assez de talent pour viser le titre.

Il raisonne comme ça sans doute parce qu’il a bien vu qu’on ne tirait pas à la même corde. En Europe, le titre va toujours à une équipe qui a bossé en groupe. C’est d’abord grâce à cela que Bruges fait la course en tête. Pour Mathijssen, la notion de groupe, c’est quelque chose. Son équipe ne joue pas bien mais c’est un bloc et ça gagne. C’est la même chose au Real ou à Lyon : on voit des stars et des exploits individuels, mais surtout 11 gars qui travaillent l’un pour l’autre. Même les vedettes de la Liga et de la Ligue 1 savent que ça ne sert à rien de faire son petit numéro si ça ne bonifie pas le collectif.

Après la défaite contre Zulte Waregem, Bertrand Laquait a parlé de maintien…

C’est effectivement le maintien qu’il faut aborder. Nous devons prendre au plus vite la quinzaine de points qui manquent pour que le Sporting soit sauvé. Après cela, on verra. Concentrons-nous plutôt sur la Coupe.

N’a-t-on pas sous-estimé les conséquences du départ de Mathijssen ?

Certainement. En même temps, ce qui arrive aujourd’hui à l’entraîneur actuel fait plaisir à beaucoup de monde ; pas les joueurs mais la presse et tous ceux qui souhaitaient qu’il se casse la gueule.

Au niveau de l’attaque, rien n’a été réglé : le Sporting marque toujours très peu.

Oui, et si on enlevait les 7 buts de Joseph Akpala, je n’ose pas imaginer où nous serions. Ce serait catastrophique. Il n’y a pas de Ronaldo au Sporting, il faut bosser en équipe pour que les attaquants puissent se mettre en évidence. A part Akpala et Orlando qui reprend un peu du poil de la bête, les avants ne sont pas en réussite. C’est frustrant parce qu’on nous marche dessus comme si nous étions des petites crottes !

Vous n’êtes pas grand…

Mon jeu est fonction de mon gabarit. Je joue sur ma pointe de vitesse et j’ai une très bonne détente. Quand je me retrouve dans un duel aérien avec un gars d’1,90m, il pense que le petit lutin n’a aucune chance. Mais quand il me voit sauter, il se pose des questions.

On a récemment parlé de tensions dans le vestiaire.

C’est normal, quand une équipe ne tourne pas. S’il n’y a pas de résultats, ça s’énerve. Mais il n’y a rien eu de grave. C’est plus haut dans le club qu’il y a une grosse panique car ils veulent toujours être champions.

Vraiment, ils y croient encore ?

Le président, oui. Les autres, non.

Le public n’y croit plus depuis longtemps et ne se déplace plus en masse.

Quand vous n’attirez que 7.500 personnes contre Zulte, c’est clair qu’il y a un problème. Lequel ? Il faut poser la question à ceux qui sont en haut. Il doit y avoir des explications extra-sportives.

Les joueurs ne sont-ils pas les premiers responsables ? Trouvez-vous que le spectacle soit à la hauteur ?

C’était bien pendant une partie du match contre Bruges, mais pour le reste, c’est vrai que… Cela fait longtemps que les joueurs en sont conscients, mais quand les résultats restent plus ou moins bons, le public ne se rend pas trop compte de la pauvreté du spectacle. Aujourd’hui, tout le monde met le doigt là-dessus parce que nous n’enchaînons plus les victoires. Mais ce n’était pas beaucoup plus beau la saison dernière !

Il y avait quand même beaucoup plus de bonnes séquences ?

Oui, mais aussi beaucoup de victoires forcées par des exploits individuels. Des grosses frappes de loin ou des buts marqués dans des angles impossibles.

Brice Jovial : comme prénom et comme nom, vous êtes gâté…

(Il se marre). Je vous vois venir. Brice de Nice, on me l’a déjà faite 100 fois. Ça me fait rire, surtout que j’ai joué à Cannes. Jovial, je le suis. Je rigole tout le temps.

par pierre danvoye – photo: belga

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