Ch’ti Max

De son enfance mouscronnoise à son éclosion brugeoise, retour sur la trajectoire d’un gaucher dont la cote ne cesse d’augmenter.

Il est assurément le plus grand talent que la cité des Hurlus ait vu grandir. Seul Jonathan Blondel aurait pu lui contester ce titre jusqu’à ce qu’il n’ôte, à son arrivée à Bruges, ses habits de lumière pour le cambouis et la salopette. Né à Courtrai il y a un peu plus de vingt ans, Maxime Lestienne est ce que l’on appelle un pur mouscronno. Avant de rejoindre les Blauw en Zwart en janvier 2010, le gaucher n’avait connu qu’un club : l’Excelsior Mouscron, auquel il fut affilié en 1996 alors qu’il n’a que quatre ans. Son domaine de jeu, c’est alors le Futurosport mais aussi son quartier : le Nouveau-Monde, situé entre l’Hôtel de Ville et la frontière française, qui abritait autrefois les ouvriers du secteur textile. Si le lieu n’a rien d’effrayant, il a rarement eu bonne réputation.

 » Max n’est pas un mauvais gars, loin de là mais il a grandi dans un quartier où les tentations de faire des bêtises sont grandes. Mouscron, c’est pas toujours très rose comme environnement « , reconnaît Stéphane Pauwels, l’une des têtes célèbres de la cité des Hurlus.

Jeunesse chahutée

 » J’ai fait pas mal de petites conneries quand j’étais jeune. Je n’ai jamais braqué, volé ou violé, mais j’ai quand même eu beaucoup de petites emmerdes. Mais j’étais comme ça : il ne fallait pas me faire chier. Je ne me suis jamais laissé faire. Quand il y avait des embrouilles dans le quartier, je montrais que j’étais là. Entre-temps je me suis bien calmé « , explique Lestienne à Sport/Foot Mag en 2009.

 » Il a toujours eu ses petits copains avec qui il squattait derrière l’église « , se rappelle son père, Fabian. Ça a pu déranger le voisinage par moments. Mais je n’ai jamais eu peur qu’il tombe dans la délinquance.  »

Son cousin, Giovanni Seynhaeve connaît également très bien les lieux. L’ex-joueur de l’Excelsior Mouscron (plus de 70 matches en D1) a grandi au Nouveau-Monde, tout comme Steve Dugardein.  » C’est un quartier populaire où pas mal de bandes de jeunes traînent. Il y a deux ans, toute la famille a déménagé à quelques kilomètres de là. Avant, Max habitait à 100 mètres de la maison des jeunes (la Frégate) où ses copains se retrouvaient souvent. Il était donc plus facilement distrait. Il y a aussi sa copine qui lui a conféré une certaine stabilité.  »

 » Il est moins fourré avec ses potes d’enfance car il n’a plus le temps, tout simplement « , poursuit son père.

Très vite, le foot va devenir comme une évidence pour le jeune Max.  » L’école, ce n’était pas du tout son truc « , précise son père.

 » Je n’ ai jamais rien foutu à l’école… Je n’y ai jamais été heureux. C’est le soir que je respirais quand j’allais à l’entraînement.  »

Et sur les terrains du Futurosport, son talent saute aux yeux de tous. Que ce soit ses entraîneurs en jeunes ou ses coéquipiers, tout le monde est d’accord sur un point : ce petit gaucher a quelque chose en plus.

Un don

 » Dès 7, 8 ans, je savais qu’il allait un jour se retrouver en D1. Je n’y connaissais pas grand-chose en foot mais tout le monde me disait qu’il était très fort « , raconte papa Lestienne.

 » Sa vitesse ballon au pied est un don « , explique son cousin, Giovanni.  » On a beau multiplier les exercices, il est difficile pour un enfant lambda d’atteindre le niveau de Max.  »

Malgré son physique de gringalet, Lestienne est rapidement surclassé en équipe de jeunes.

 » Je me rappelle avoir fait une compétition avec lui pour savoir qui marquerait le plus de buts sur une saison « , évoque Guillaume François, un autre produit du Futurosport, passé par le Beerschot et aujourd’hui à Charleroi.  » J’évoluais en -17, lui en -16. Il m’avait battu… d’un but. Il avait beau être tout maigre, sa vitesse et sa conduite de balle étaient déjà incroyables. Je ne suis pas du tout surpris de sa réussite. C’est le genre de joueur génial capable de décider d’un match sur une action.  »

Tout s’enchaîne alors très vite. Le jour de ses 16 ans, P’tit Max signe un contrat semi-professionnel avec l’Excel. Et quelques mois plus tard, en décembre 2008, il effectue ses premières minutes en D1 face au Club Bruges. Tout un symbole.

 » Je m’entraînais avec le noyau A depuis une semaine. Sur mon premier ballon, je dribble deux adversaires et le public se lève : un souvenir pour la vie.  »

Mouscron l’emporte 5-1, la fête est alors totale pour Enzo Scifo et ses hommes. Max devra toutefois attendre l’arrivée de Miroslav Djukic l’été 2009 pour connaître sa première titularisation.

 » Sous Enzo, son heure n’était pas encore arrivée. Il devait encore manger pas mal de carottes « , sourit son ancien équipier à Mouscron, Alex Teklak, aujourd’hui consultant pour Belgacom et la RTBF.  » Avec l’arrivée l’été 2009 de Djukic, Max a véritablement reçu sa chance et il a su la saisir. Il m’a directement impressionné par sa faculté à repartir très vite vers l’avant. Sa vitesse mais aussi son endurance sont impressionnantes ; il a cette capacité de répéter les efforts, de multiplier les sprints pendant tout un match comme peu en sont capables. Il a un gros coffre. Lors des tests VMA (vitesse maximale aérobie), il n’était devancé que par Idir Ouali qui avait longtemps pratiqué l’athlétisme.  »

Bruges décroche la timbale

2009-2010 est l’année de l’éclosion de Maxime Lestienne. Mais aussi celle de la faillite et de la radiation de l’Excel. La vente de Max est donc inéluctable et sert à apurer une partie des dettes. En janvier 2010, Bruges empoche la timbale alors que la concurrence est nombreuse et puissante.

 » La moitié de l’Europe le suivait et je vous parle de très grands clubs européens « , affirme l’ex-international danois, Mikkel Beck, devenu agent de Lestienne dès ses 15 ans.  » Mais sa famille et ses parents avaient été très clairs : pas question de quitter la Belgique. On a alors discuté avec Anderlecht, Gand et le Standard mais le choix de Bruges s’imposait. C’était le choix du coeur et de la raison.  »

 » Un entretien avec Adrie Koster a fait pencher la balance « , explique son père.  » Il s’était déplacé et la seule chose dont nous avions parlé, c’était du jeu de Maxime. Les contacts avec Michel Preud’homme et avec le PSV avaient aussi été positifs mais au final, Max a préféré Bruges. Il faut dire qu’il a toujours été supporter du Club.  »

 » Comme pas mal de gens de la région « , concède son cousin Giovanni Seynhaeve.  » On regardait le Week-end Sportif ensemble, et il avait l’oeil braqué sur les résultats de Bruges. C’est son parrain, grand supporter du Club, qui tient un salon de coiffure à Menin, qui lui a transmis le virus Blauw en Zwart.  »

 » Le fait que Max et son entourage aient fait le choix de Bruges au détriment de clubs étrangers voire belges a été intelligent « , explique Stéphane Pauwels.  » C’était pour moi la meilleure des solutions. Jouer à Bruges, qui n’est qu’à 50 km de Mouscron, lui permettait de revenir dormir chez ses parents, de retrouver son cocon familial. S’il avait signé à Anderlecht et qu’on l’avait lâché dans une grosse ville comme Bruxelles, je pense qu’il aurait accumulé les conneries.

A l’époque de son passage à Bruges, je travaillais pour Valenciennes et j’avais renseigné Max auprès de la direction. Je dois reconnaître que je le considérais davantage comme un pari : le talent était là mais son poids-plume l’aurait desservi dans un championnat très athlétique comme la L1.  »

 » L’idéal aurait été qu’il reste un, voire deux ans en plus à Mouscron pour parfaire sa post-formation « , pointe Teklak.  » Vu le contexte de l’époque, c’était évidemment impossible. En passant à Bruges, il a franchi un cap très important. Je pense qu’il n’était pas prêt pour passer dans un tel club. Et d’ailleurs comment aurait-il pu en être autrement ? C’était encore un gamin avec tout ce que cela comporte…. Aujourd’hui, il a changé, notamment au niveau de sa discipline de vie.

S’il a commis quelques conneries d’adolescent, il a toujours eu un sens des valeurs que lui ont inculquées sa famille. Dans un vestiaire, il était à l’écoute et respectueux de la hiérarchie alors que ce n’est pas toujours le cas avec les jeunes d’aujourd’hui. Par contre, il était collé à son gsm. Je me rappelle que son portable avait même sonné un jour en plein entraînement… Ce qui n’avait évidemment pas été du goût du coach « , sourit Teklak.

Authenticité et insouciance

A son arrivée à Bruges, le Mouscronnois va découvrir un tout autre environnement. Des infrastructures, une langue, une mentalité, et des ambitions différentes. Mais surtout une très forte concurrence qui le relègue au petit banc. Lestienne retombe de son nuage :  » Je m’attendais à jouer davantage. Cela n’a pas été facile de vivre avec l’étiquette de future star du championnat de Belgique et en quelque temps se retrouver réserviste.  »

Les blessures s’en mêlent également. Une déchirure aux ischios puis une fracture à la cheville le coupent net dans son évolution.

Et puis le mental n’est pas encore au diapason avec les exigences d’un club pro.  » Quand j’ai débarqué à Bruges, je n’étais encore qu’un vrai gamin. Je ne pensais qu’à m’amuser  » dit-il.

Le Club Bruges l’envoie même chez un psychologue à Courtrai. Avec comme but escompté : rester calme, et garder son sang-froid.

Luxueusement cloîtré derrière les rochers monégasques depuis maintenant plus d’un an, Nabil Dirar n’a pas oublié son petit.  » On est très vite devenus potes et aujourd’hui encore, on reste en contact, que ce soit par sms ou facebook. Ce que j’aime chez lui, c’est qu’il ne se prend pas la tête. Il y a peu de chances de le voir se coiffer pendant des heures devant le miroir du vestiaire. C’est quelqu’un de simple, qui rigole facilement. Il peut même rougir fortement quand on le chatouille un peu trop (il rit) « .

 » C’est typiquement le gars du quartier ; il pouvait me rappeler certaines personnes avec lesquelles j’ai grandi. Son truc, c’est qu’il n’avait jamais de gel douche dans son sac alors il piquait celui de ses équipiers. Puis comme il finissait par en avoir plusieurs, il les partageait avec les autres. Et personne ne se rendait compte de rien « , poursuit Dirar.  » Malgré la gloire ou les moments difficiles, il a gardé les mêmes amis et est resté très famille. Max, c’est quelqu’un d’authentique.  »

 » Et de réservé « , poursuit son cousin.  » Il observe ce qu’il se passe autour de lui. Il n’est pas du genre à avoir des coups de gueule.  »

Maxime Lestienne, c’est aussi un style qui peut parfois décontenancer, voire irriter. S’il est aujourd’hui devenu l’un des chouchous des supporters brugeois, ça n’a pas toujours été le cas. Ses entraîneurs, eux, doivent parfois hausser la voix pour se faire comprendre.  » Il a par moments des absences à l’entraînement « , nous explique l’un de ses coaches.  » On a le sentiment qu’il est totalement déconnecté de la réalité.  »

 » À sa façon de se tenir, de se mouvoir, Maxime peut donner une impression de désinvolture « , acquiesce son père.  » Ça a souvent eu le don de m’énerver. On dirait que, parfois, il n’a rien à cirer des événements. Et c’est comme ça depuis tout petit. Mais, au fond de lui, je sais qu’il se sent concerné.  »

 » Cette forme d’insouciance, c’est aussi sa force « , explique Teklak.  » Elle lui a permis de traverser pas mal de tempêtes. C’est un petit gars qui sait encaisser les coups.  »

Daum et Garrido

Christoph Daum et les play-offs de la saison dernière vont le sortir définitivement de sa coquille. Cette saison est celle de la confirmation. Surtout depuis l’arrivée du coach espagnol Juan Carlos Garrido qui a installé Max pour de bon dans le onze alors que Georges Leekens n’en faisait qu’un joker.

 » Il a mûri tant au niveau de sa personnalité que de son jeu « , résume son père pour expliquer la réussite actuelle de son fils.  » Je le trouve plus intelligent sur un terrain. Avec Garrido, il est tombé sur un entraîneur qui lui fait confiance et dont il aime le jeu à l’espagnole, technique, qui lui rappelle celui prodigué par Miroslav Djukic à Mouscron.  »

 » Max est un vrai ailier de débordement, capable de coller à la ligne et provoquer les  » un contre un « . Ce qui est de plus en plus une denrée rare en Belgique « , analyse Teklak.

Lestienne, c’est jusqu’à présent 12 buts et 7 assists en 1860 minutes soit une action décisive toutes les 98 minutes. Pas mal pour un jeune de 20 ans qui doit faire face à la concurrence pléthorique du noyau brugeois.

 » J’ai été étonné quand même qu’il prenne autant d’ampleur dans le jeu de Bruges « , avoue Dirar.  » Je crois qu’il avait besoin d’acquérir l’expérience des matches pour passer un palier même si son pied gauche et sa vitesse m’ont toujours impressionné.  »

Joueur-clé du groupe des Espoirs également, Lestienne devrait toutefois ronger encore son frein avant de rejoindre les Diables de Marc Wilmots. Eden Hazard, Kevin De Bruyne, Nacer Chadli, Kevin Mirallas ou Dries Mertens ont aujourd’hui quelques pointures d’avance. Génération dorée mais peut-être pas pour tous, finalement.

PAR THOMAS BRICMONT – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Dès 7, 8 ans, je savais qu’il allait un jour se retrouver en D1.  » (son père, Fabian)

 » S’il avait signé à Anderlecht et vécu dans une ville comme Bruxelles, je pense qu’il aurait accumulé les conneries.  » (Stéphane Pauwels)

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