« Cet été, j’arrête… »

Il y a 12 ans, il réussissait un hat-trick à Istanbul et qualifiait les Diables pour le Mondial 1998. Dans sa nouvelle patrie, il met un terme à l’ultime chapitre de sa carrière.

Sise au sud-est de la Sardaigne, la Costa Rei est désertée par les touristes, malgré des températures encore agréables. Muravera se trouve à une heure et demie de route de Cagliari, à laquelle elle est reliée par des routes de montagne aux virages étroits. Jusqu’aux années 70, c’était la ville des bergers et des paysans puis un Belge a acheté à bas prix des parcelles de terres et y a érigé un premier hôtel. Actuellement, Muravera, qui compte 5.000 âmes, regorge de villages de vacances le long de la côte et vit du tourisme saisonnier.

A 16 heures, les joueurs arrivent au stade local de football par grappes. Ils ne se déplacent pas dans de superbes bolides et ont opté pour le covoiturage, à moins que leur père ne les conduise. Après l’entraînement, deux jeunes s’adressent à Luis Oliveira : peut-il les ramener à la maison ? Lulu (prononcez Loulou), comme on le surnomme ici, s’exécute avec le sourire.

Le Belge d’origine brésilienne achève l’ultime chapitre de sa carrière au Polisportiva Muravera. Lulu est las des déménagements. L’année dernière, il a été le meilleur buteur de Derthona, pensionnaire de D4, avec seize réalisations. Derthona lui a proposé un nouveau contrat mais la perspective de vivre à l’hôtel au nord, dans le Piémont, et de ne voir sa famille qu’une fois par semaine a découragé Oliveira, qui souhaitait achever sa carrière plus près des siens. Son foyer n’est plus au Brésil ni à Bruxelles mais à Muravera, la ville dont est originaire Anna-Lisa, sa deuxième femme, une ville dont il est citoyen d’honneur depuis 1996.

A côté du terrain synthétique, les maillots jaunes et bleus du dernier match sèchent au soleil. Muravera vient d’être promu en Eccellenza, l’équivalent d’une D6. Il n’a encore jamais évolué à un niveau supérieur. Il y a peu, le club a battu son voisin, Villasimius, devant 450 spectateurs. Dire qu’Oliveira a joué devant 35.000 spectateurs à la Fiorentina… Les derniers adversaires de sa carrière active ne sont plus Milan, l’Inter ni la Juventus mais Porto Torres, Tortoli et Valledoria. Il est capitaine de Muravera, comme il l’a été de Catane et de Derthona.

Deux Oliveira Juniors

Après avoir reconduit les deux jeunes joueurs, Oliveira a du temps. Il entame l’interview en italien puis répond en français. Son fils aîné Mickael (17 ans), né de son union en Belgique, a effectué un test chez les Espoirs de Cagliari l’été dernier et il évolue maintenant à Mons. Le cadet de ses cinq enfants, Ayrton, âgé de neuf ans, joue à Cagliari.

Luis Oliveira : L’année prochaine, je vais poursuivre mes cours d’entraîneur à Coverciano près de Florence, au centre d’entraînement de la Fédération italienne… Je compte obtenir mon diplôme de deuxième catégorie. Viendra ensuite le premier. Pour cela, je vais devoir passer quelques mois à Coverciano. J’évolue parmi l’élite depuis 24 ans. Parfois, je suis las, surtout après un match sur revêtement synthétique… Or, il y en a cinq ou six dans notre série.

Plutôt que de jouer en attaque, vous pourriez reculer et évoluer plus confortablement ?

J’aime l’attaque. J’aime courir et cela ne me pose pas problème. Il ne faut reculer que quand on ne parvient plus à sprinter.

Vous marquez beaucoup moins : n’est-ce pas dur pour un joueur qui affirmait que les buts étaient ses vitamines ?

Ils le sont ! Un attaquant vit de ses buts. Que regardent les gens dans le journal, le lundi matin ? L’identité des buteurs, non ? J’ai encore été sacré meilleur buteur la saison passée. Quand je ne marque pas, j’essaie de passer le ballon à un coéquipier bien placé. En principe, je me charge des penalties mais j’en ai laissé deux à un équipier.

Qu’est-ce qui vous plaît encore ?

Le jeu, la touche de balle. J’ai joué toute ma vie, de même que tous les membres de mon entourage. Le ballon est un ami fantastique. Il me manquera. Pour l’heure, je dois m’habituer à jouer devant peu de monde, après avoir connu des stades combles. Je ne joue pas pour l’argent, même si je n’ai actuellement aucune autre source de revenus. Nous avons une bonne équipe, j’en suis le phare et je m’amuse encore bien.

Pourquoi souhaitez-vous devenir entraîneur ?

Je veux exploiter les nombreuses idées que j’ai assimilées au fil des années.

Quel genre d’entraîneur pensez-vous devenir ?

Un coach qui fait jouer, qui développe un beau jeu. J’aime le 4-4-2. Je ne serai pas un entraîneur sévère.

Dans quel football vous reconnaissez-vous, en Italie ?

Celui de Genoa sous la houlette de Gian Piero Gasperini, qui utilise bien les flancs et écarte le jeu, se créant des ouvertures. La Sampdoria et Udinese jouent bien aussi.

Massimo Allegri, l’entraîneur de Cagliari, a été votre coéquipier dans ce club.

C’est un ami et je n’avais jamais imaginé qu’il deviendrait entraîneur. Son équipe développe un beau football aussi. Plusieurs anciens coéquipiers entraînent, en Serie B, à Frosinone et à Cesena. Depuis quelques années, les clubs italiens accordent davantage leur chance aux jeunes entraîneurs.

Une maison à Côme

Vous avez évolué pour un nombre impressionnant de clubs. Etes-vous satisfait de votre parcours ou regrettez-vous certains choix ?

Je suis très content de ma carrière. Partout, j’ai livré le meilleur de moi-même et je pense que tous mes clubs sont satisfaits de ce que je leur ai apporté.

Pourtant, vous avez été meilleur buteur à Côme, en Serie B, vous l’avez aidé à monter mais vous n’avez pu rester ?

J’y comptais bien. J’avais déjà acheté une maison à Côme mais le club m’a vendu à Catane. Je n’en cultive aucune amertume. En deux saisons à Catane, j’ai marqué 28 buts. Le stade était comble aussi et l’ambiance chaleureuse. Quand c’était bon, nous étions les héros mais dans le cas contraire, nos supporters étaient fâchés. Cependant, jamais je n’ai été victime des fans.

Pourquoi ?

Parce que j’ai toujours donné le meilleur de moi-même et que je marque facilement. Un avant qui marque est toujours un bon attaquant. C’est pour cela que je veux achever ma carrière en beauté : tous les joueurs se souviennent de la fin de leur carrière, en plus des hauts faits de celle-ci.

Pourquoi allez-vous rester en Sardaigne au terme de votre carrière ?

Je me sens chez moi ici. Tout me plaît. La Sardaigne est mon petit Brésil. Elle est ensoleillée, nous avons la mer, de nombreux amis. Depuis des années, je ne souffre plus de la saudade, la nostalgie qu’ont les Brésiliens de leur pays. Je n’y ai plus mis les pieds depuis 14 ans et je ne suis plus retourné en Belgique depuis le Mondial 1998.

Au début, ne rêviez-vous pas davantage de l’Espagne que de l’Italie ?

J’ai appris que le foot emprunte parfois de curieux détours mais finalement, tout s’est bien déroulé. Je suis heureux d’avoir abouti en Italie, tout comme je reste reconnaissant à Anderlecht et à la Belgique pour les chances que j’y ai obtenues.

Même si vous avez terriblement souffert du froid lors de votre premier hiver ?

Ce fut très dur mais je n’ai pensé qu’à une chose : aider ma famille au Brésil.

Vous nettoyiez le stade…

J’aurais tout fait pour réussir. J’ai aussi gonflé les ballons avant de les apporter à l’entraînement. Je trouvais ça normal.

Jamais. J’étais mû par la volonté d’aider ma famille à tout prix. C’est le plus beau cadeau que m’ait offert le football : me permettre d’aider les miens. Nous vivions à quinze sous un seul toit. Mon père était le seul à gagner sa vie. Savez-vous ce que cela signifie ? Nous ne mangions qu’une fois par jour, tous les jours. Quand je suis arrivé en Belgique, je suis tombé des nues : on y mangeait trois fois par jour. J’ai réussi grâce à la force que ma famille et Dieu m’ont inculquée.

Avez-vous finalement pu venir en aide à votre famille ?

A Anderlecht déjà, je parvenais à lui envoyer un peu d’argent mais je n’ai vraiment bien gagné ma vie qu’en Italie. Quand j’ai appris ce que je pouvais gagner à Cagliari, je n’en croyais pas mes oreilles. Je revois les dirigeants arriver à Bruxelles, s’asseoir à table avec mon manager et me proposer un salaire : j’en suis tombé à la renverse.

Istanbul

C’est grâce à Anderlecht que vous êtes devenu international ?

Un jour, le sélectionneur brésilien du moment, Roberto Falcão, m’a téléphoné. Il voulait me sélectionner pour le match suivant. Je lui ai répondu que ce n’était pas possible car j’avais rempli tous les documents requis pour ma naturalisation en Belgique. Trois jours plus tard, les journaux brésiliens titraient : Un Brésilien refuse de porter les couleurs de son pays. Mon père était furieux en lisant ça. A mon départ, il m’avait bien dit qu’il voulait me voir un jour avec le maillot de la Seleção. C’était son rêve. Or, j’avais refusé et préféré la Belgique !

L’avez-vous regretté ?

Je ne regrette jamais rien. Quand je tourne une page, c’est après avoir réfléchi. Quand j’ai choisi la Belgique, c’était sans la moindre réticence.

Quel moment en équipe nationale reste-t-il ancré dans votre mémoire ?

Les trois buts à Istanbul, naturellement. Ce fut une prestation inoubliable, sous la direction d’un entraîneur génial, Georges Leekens. Il me parlait constamment, il m’aidait. Nous nous entraînions dur mais nous riions tout le temps. Je conserve beaucoup de bons souvenirs de lui. Evidemment, à Istanbul, nous avions une bonne équipe, qui se donnait à fond.

Pourtant, le Mondial français a mal tourné. Pourquoi ?

Avant le début du tournoi, nous marquions aisément mais nous sommes restés stériles en France, à part les deux buts de Marc Wilmots contre le Mexique. Luc Nilis n’était pas en forme et moi non plus. J’ai été terrassé quand j’ai été la cible des critiques, après le tournoi. Je ne l’ai pas compris. Avant j’étais un phénomène et voilà que j’étais le principal coupable. Ce n’était pas juste et cela m’a profondément blessé. J’ai appris qu’en football, on passe très vite du ciel à l’enfer. Si on n’a pas de force mentale, on ne résiste pas. Par la suite, j’ai encore pensé à l’équipe nationale mais je n’ai plus été repris alors que le continuais à marquer.

Par Geert Foutré, en Italie – photos: reporters/gys

A Cagliari, Carlo Mazzone avait le choix entre Oliveira et George Weah. Il m’a préféré.

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