» Ces deux années en D2 m’ont coûté deux millions « 

Troisième montée en 10 ans pour le président de Mons. Entretien vérité sur ses ambitions et analyse passionnée des erreurs à ne plus commettre.

Entre euphorie, bonne humeur, ambitions, mais aussi agacement face aux questions rappelant un passé parfois douloureux, entretien avec Domenico Leone (56 ans), big boss de Mons. Seul président wallon de D1. Ben oui, celui du Standard a un passeport suisse !

Après le match du tour final perdu dans les arrêts de jeu à Waasland Beveren, vous n’avez pas cru que votre équipe allait s’effondrer mentalement ?

Domenico Leone : Non. Ce fut évidemment un gros choc, mais j’ai toujours cru que Mons allait finalement monter.

Le test-match contre la même équipe, c’était quand même la roulette russe ?

Tout à fait. Nous avons commencé cette rencontre en étant conscients que nous n’avions pas été capables de les battre une seule fois en quatre matches. Mais nous avons marqué le but décisif au bon moment, à quatre minutes de la fin. S’il y avait eu des prolongations, cela aurait été compliqué pour nous car nous avions fait tout le jeu et Waasland n’avait fait que défendre et miser sur la contre-attaque. Les joueurs de Mons étaient les plus épuisés.

Peter Vandenbempt, un commentateur de la VRT radio, très populaire en Flandre où ses analyses sont fort écoutées, a émis des doutes sur le futur de Mons. Il se demande si ça va enfin devenir un club stable ou si ça redeviendra un cirque.

Je regarde l’avenir, je ne veux plus parler du passé. J’ai mes certitudes : c’est la troisième fois que nous montons depuis 2002 et nous n’avions jamais été aussi bien armés, préparés. La première montée s’était faite un peu par hasard et rien n’était prêt. Cette fois, c’est très différent, c’était un objectif bien concret dès le début de saison. Nous n’étions encore jamais montés avec deux tribunes terminées. Et notre terrain est maintenant impeccable, aux normes de la D1. Ce n’est plus une pelouse horrible, en pente, boueuse en hiver, où les joueurs se tapaient contre les panneaux publicitaires quand ils partaient en glissade. Pendant nos deux dernières saisons en D2, notre structure s’est encore améliorée, tout le staff administratif a été conservé et nous avons renforcé le club par un directeur sportif : Dimitri Mbuyu. Tout le recrutement, c’est son affaire. Il nous propose des joueurs puis, avec le directeur Alain Lommers, nous voyons si c’est faisable financièrement. Nous sommes aussi mieux armés parce que nous sommes conscients des erreurs que nous avons commises dans le passé : nous ne les referons plus. La suite, c’est une amélioration de l’aspect économique : il faudra aménager les deux dernières tribunes pour augmenter les rentrées et transformer notre stade en chaudron.

Le projet de ces deux tribunes avait été mis au frigo quand vous étiez descendus en 2009 ?

Exactement. Quand vous n’arrivez pas à remplir un demi-stade en D2, c’est difficile d’exiger qu’on continue les travaux. Au niveau politique, ça ne serait pas passé.

Que répondez-vous à Vandenbempt quand il se demande si Mons va redevenir un cirque ?

Qu’il vienne gérer le club à ma place.

Il dit aussi que dans le passé, en D1, Mons pratiquait régulièrement un beau jeu mais avait de nombreuses périodes creuses.

Nous n’avons plus le même entraîneur et les mêmes joueurs aujourd’hui. Ce monsieur ne doit pas comparer ce qui n’est pas comparable. Vous allez dans un restaurant qui a trois étoiles Michelin, si le chef s’en va, la cuisine change et vous ne mangez alors plus la même chose. Aujourd’hui, il y a chez nous un autre staff sportif et une nouvelle politique de recrutement. Si nous sommes montés, c’est parce que nous avons montré du professionnalisme, de la rigueur et de la mentalité.

 » Je suis un grand émotif « 

Vandenbempt dit aussi que la D1 a perdu Abbas Bayat mais que vous pourriez être son successeur…

Pas de commentaire.

Ça vous flatte ou ça vous énerve qu’on vous compare à Abbas Bayat ?

Je sais une chose : le jour où nous sommes montés, 10.000 personnes ont scandé mon nom sur la Grand-Place de Mons. Quelle a été la première personne qu’on a levée en triomphe après le test-match ? Pas un joueur, pas l’entraîneur. Moi ! Abbas Bayat a été critiqué par les supporters de Charleroi. Moi, je n’ai jamais été attaqué par les miens. Même quand nous sommes redescendus en D2. Lommers et Jean-Paul Colonval ont parfois été visés, j’ai toujours été épargné. Pas une seule critique en dix ans de présidence. Les cris sur la Grand-Place, les banderoles, c’était : -Merci président. Ces gens-là me rendent tout ce que je leur ai donné. Alors, ce commentateur de la radio flamande peut dire tout ce qu’il veut. Il aurait peut-être préféré que Waasland monte à notre place ? Comme ça, il y aurait eu 14 clubs flamands en D1, une équipe bruxelloise et le seul Standard pour représenter la Wallonie ? Je n’ai rien d’autre à lui répondre.

Vous avez des réactions fort émotionnelles : ce n’est jamais calculé ?

Jamais. Je suis un grand émotif.

Vous allez devoir transférer beaucoup de nouveaux joueurs !

Non, seulement cinq ou six qui auront de l’expérience en D1 et pourront nous apporter une plus-value. La priorité, c’est de conserver les cadres. Certains ont déjà resigné.

Dans le passé, vous avez fait des campagnes de recrutement avec un agent attitré, presque exclusif. Vous allez refaire la même chose ?

C’est le passé, c’est terminé. A l’époque de Sergio Brio, Giocondo Martorelli amenait les joueurs, c’est exact. Ils ont… inventé des agents, cité des noms qui n’existaient pas. Et ainsi, ils prenaient eux-mêmes les commissions. Je n’ai pas de preuve, simplement je suppose très fort que ça a fonctionné comme ça. Mais la chaise de directeur sportif était vide. Aujourd’hui, elle est occupée.

Faire confiance à un ou deux agents, c’est une des erreurs que vous avez commises ? Plus tôt dans le temps, c’est Pietro Allata qui était très présent.

Mais pourquoi vous posez toutes ces questions sur le passé ?

 » Un footballeur qui n’a pas faim ne court plus « 

Parce que vous dites partout que vous ne voulez plus refaire les mêmes erreurs. Quelles sont les grandes leçons que vous avez tirées du passé ?

Il y a trois erreurs que je ne commettrai plus. Un . Faire confiance, au niveau sportif, à certaines personnes qui ne le méritent pas, et ne pas contrôler ce que ces gens font. 2 . Surpayer les joueurs. Parce qu’un footballeur qui n’a pas faim ne court plus sur le terrain. 3 . Prendre un entraîneur qui n’est pas assez bon ou qui ne vient à Mons que pour l’argent.

Pour avoir des bons joueurs, il faut quand même mettre le prix !

Momo Dahmane a connu sa meilleure période chez nous quand il arrivait des Francs Borains, avec un petit salaire. Quand il est revenu, en prêt de Genk, il avait son salaire de Genk, il était surpayé. Et il n’a pas du tout été déterminant. Ce n’est qu’un exemple.

Vous sous-entendez aussi que vous vous êtes trompé avec beaucoup d’entraîneurs ?

Nous sommes descendus deux fois en D2…

Toujours à cause des coaches ?

Quand un entraîneur compose le noyau et que ça se passe mal… La dernière fois que Mons est descendu, en 2009, le groupe avait été formé par l’entraîneur, Philippe Saint-Jean, et le directeur technique, Christophe Dessy, qui a fini la saison comme coach. Le recrutement et le staff n’ont pas été assez performants cette année-là. Si vous encaissez 19 défaites d’affilée, il y a un problème !

Qui est selon vous le président de D1 qui mène le mieux sa barque, qui obtient le meilleur ratio moyens financiers / résultats ?

La direction du Club Bruges, non ? Là-bas, personne ne sort d’argent de sa poche. Mais il y en a d’autres. Anderlecht, le Standard et Genk gagnent aussi de l’argent. Même Westerlo. Et Charleroi s’en sort bien puisque là-bas, on est en positif depuis cinq ou six ans.

Mais le club est en D2 !

Ah, sur le plan sportif, c’est autre chose. Mais quand vous vendez votre attaquant à 15 jours de l’ouverture du championnat…

 » J’avais voté pour les play-offs mais je n’étais plus concerné « 

Il y a des patrons de clubs de D1 que vous considérez vraiment comme des gens bien ?

Bien sûr. Je m’entends bien avec Lucien D’Onofrio et Roger Lambrecht, les seuls qui m’ont félicité après notre montée. J’ai aussi de bons rapports avec Roland Duchâtelet et le président de Malines. Et La Gantoise nous a prêté un joueur cette saison.

Avant de retourner aux réunions de la Ligue pro, il y en a déjà que vous n’avez pas envie de revoir ? Il y a des dirigeants qui vous énervent ?

J’irai là-bas pour défendre les intérêts de Mons, rien d’autre.

Vous pensez qu’on y rediscutera prochainement de la formule du championnat ?

Si le vote a été renversé en deux mois, la formule changera peut-être encore dans un futur proche. En décembre, on avait décidé de revenir à 18 clubs, sans play-offs. Quelques semaines plus tard, on faisait marche arrière. Il a dû se passer des choses…

Dans le temps, vous aviez comme tout le monde voté pour les play-offs.

Oui, par solidarité. Mais je n’étais plus très concerné. Mons était dernier et se préparait déjà à basculer en D2. J’aurais pu voter contre : ça aurait fait une voix hostile face à 17 votes en faveur des play-offs. Quel intérêt ?

Vous êtes opposé aux play-offs ?

Bien sûr. Comme beaucoup de gens. Comme la majorité des supporters. Regardez ce qui s’est passé en championnat de France. Lors de la dernière journée, près de 10 clubs étaient encore concernés par le maintien. Chez nous, Charleroi et Eupen jouent cinq matches l’un contre l’autre : des matches de boxe. Il faudra revenir à un système  » normal « . Pour moi, l’avenir, c’est une D1 avec 18 clubs et deux ou trois descendants. Des droits TV pour la D2. Et la suppression du tour final de D2.

Quand il y avait quatre clubs hennuyers en D1, vous regrettiez la concurrence pour le sponsoring et les spectateurs. Aujourd’hui, Mons est seul et a un boulevard commercial devant lui ?

Je n’irais pas aussi loin. Mais vous êtes wallon et vous aimez le foot : il ne vous reste que le Standard et Mons pour voir des matches de première division. Et au Standard, c’est déjà sold-out. Pour le sponsoring, on verra. Notre retour en D1 est officiel mais les entreprises ne se bousculent pas encore devant ma porte. J’espère que les gens vont se déclarer bientôt. Il y avait 10.000 personnes sur la Grand-Place pour fêter la montée : il ne faudrait pas que ce soit un simple feu de paille. Si je pouvais déjà avoir la moitié de ce que le Standard reçoit de la Loterie Nationale, je serais heureux ! Un autre exemple : VOO. C’est le câbleur wallon, il était au Standard et à Charleroi. Je sais qu’il est basé à Liège, mais maintenant que Charleroi est en D2, il pourrait peut-être venir chez nous ? J’espère que notre image est assez sympathique et que notre stade est suffisamment correct pour attirer des entreprises pareilles.

10 coaches en cinq ans de D1 !

Lors des saisons qui avaient suivi les deux premières montées, vous aviez terminé à la neuvième place. Chaque fois avec un entraîneur belge (Marc Grosjean puis José Riga) qui n’était pas un tyran pour ses joueurs, qui avait une image sympa et avait pu rester toute la saison. Une leçon à retenir ?

Grosjean et Riga nous ont apporté beaucoup, mais c’est le passé.

Le profil de l’entraîneur de Mons ne doit plus se rapprocher de ceux-là ?

Le profil de Dennis van Wijk me convient très bien pour l’instant.

Il y a un profil par instant à Mons ?

Regardez Albert Cartier. Il est venu nous sauver en une demi-saison, il a fait son boulot, et quand il est parti, il n’y avait plus d’équipe. Et lui, il avait des exigences financières impayables pour moi. Vous avez des gens qui sont appropriés pour une période, pour une mission. Et d’autres coaches qui sont faits pour le long terme. Ariel Jacobs à Anderlecht, par exemple. Il n’a pas gagné le championnat, il y avait la pression du public, mais sa direction l’a quand même prolongé. Pour le moment, van Wijk est la bonne personne pour Mons, mais dans le foot, on fout plus d’entraîneurs dehors qu’on n’en garde… C’est vrai, hein !

Je reviens à Cartier : ce n’est pas lui qui a vendu l’équipe !

Plus un joueur ne voulait rester. Je ne sais pas quel discours il leur a tenu, mais c’est comme ça.

En cinq ans de D1, vous avez consommé en moyenne près de deux coaches par an. Vous voudriez changer moins souvent dans le futur ?

J’espère. Si ça se passe bien, on continue ensemble. Van Wijk s’est fait foutre dehors à Roulers, on l’a pris. Glen De Boeck était bon au Cercle, il s’est fait virer au Beerschot. Tout est dans le moment présent. Quand ça marche bien, l’entraîneur est un king. Quand ça ne marche plus, quand vous foncez vers la descente, il faut bien corriger le tir. Il y a trois ans, et encore pendant la phase classique de la saison dernière, les supporters du Standard vomissaient Dominique D’Onofrio. Si Lucien avait écouté le public, il aurait changé de coach. Mais qu’est-ce que ce garçon en peut si ses joueurs ne courent pas et ne marquent pas de goals ? Il ne peut rien faire.

 » Les deux dernières saisons m’ont coûté deux millions « 

Juste après la montée, vous avez dit que Mons n’existerait plus si vous partiez.

On m’a déjà demandé souvent pourquoi je continuais. J’ai répondu : -Si je m’en vais demain, tout s’effondrera parce qu’il n’y a personne derrière pour investir. Je ne peux pas laisser tomber ce club aussi longtemps qu’il ne sera pas stable au niveau de l’actionnariat. Si quelqu’un vient, me propose de mettre autant d’argent et de partager le pouvoir, je suis d’accord. Jusqu’ici, je n’ai vu débarquer que des gens qui voulaient profiter du club sans mettre un euro.

Vous ne récupérerez de toute façon jamais ce que vous avez investi ?

Je le sais. Et alors ?

Mons peut devenir un club qui équilibrerait chaque année ses dépenses et ses recettes ?

Ce sera très difficile aussi longtemps que notre stade ne sera pas terminé. Demandez à Genk d’être champion avec un demi-stade. Lors des trois dernières années en D1, je n’ai pas dû mettre un balle (sic). Parce que je vendais chaque fois un ou deux joueurs. Mais depuis deux ans, ça m’a coûté près de 2 millions d’euros.

PAR PIERRE DANVOYE – PHOTOS : REPORTERS / GOUVERNEUR

 » On fout plus d’entraîneurs dehors qu’on n’en garde. C’est vrai, hein ! « 

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