« Certains m’en voudront toujours »

Le gardien du Lierse, convaincu d’avoir reçu de l’argent du Chinois, a été licencié puis a joué en Promotion avant de rejoindre la Hollande. L’Union Belge ne le poursuit plus…

Dans le courant de la saison 2004-2005, le Chinois Zheyun Ye s’introduit au Lierse avec pour mission de manipuler des matches de championnat de Belgique pour le compte de la mafia chinoise des paris, qui mise de grosses sommes sur notre compétition. L’entraîneur, Paul Put, et plusieurs joueurs se voient ainsi rétribués pour fausser les rencontres. Un an plus tard, votre magazine révèle le pot aux roses. Cliff Mardulier (24 ans), le gardien, fait partie des joueurs qui ont reçu de l’argent. Il l’avouera aux enquêteurs, même s’il niera avec force avoir effectivement triché. En février 2006, il sera toutefois licencié sans préavis par le Lierse tandis que la fédération songeait à prendre les premières sanctions. Pendant six bons mois, Mardulier n’a pas de boulot. Jusqu’au jour où le club promotionnaire de Schoten, qui a besoin d’un gardien, vient frapper à sa porte.

Même si l’affaire Ye fera toujours tache sur son CV, il y a longtemps que Mardulier n’y pense plus. Il y a dix jours, l’Union Belge n’a d’ailleurs requis aucune suspension contre lui, estimant qu’il avait bien aidé à l’enquête Ye dans le volet du Lierse. Schoten lui a rendu le goût de jouer et il vient de signer un contrat de trois ans à Roda Kerkrade, un des bons clubs hollandais. Il y a une semaine, il n’avait pas encore joué.

Comment vous êtes-vous retrouvé à Kerkrade ?

Cliff Mardulier : Roda me voulait déjà lorsque j’étais au Lierse mais, à l’époque, je perçais à peine et le club avait préféré attendre. Entre-temps, j’avais signé un contrat de cinq ans avec le Lierse.

Cette fois, vous y êtes retourné à l’essai.

Oui, quatre jours. Puis j’ai discuté avec le directeur général et j’ai signé un contrat. Au début, je ne voulais pas me soumettre à un test, j’avais dit à mon agent qu’ils devaient décider directement s’ils me prenaient ou pas. Imaginez que les journaux apprennent que j’étais là-bas puis que le club décide de ne pas me transférer : on aurait dit que j’étais fini. Mais mon agent m’a convaincu d’accepter ce test malgré tout.

Quelles sensations éprouvez-vous ?

C’est fantastique, je revis comme un professionnel. Je m’entraîne à nouveau en journée et plus le soir. Comme il y a de nombreux Belges, c’est encore plus chouette, même si les Hollandais sont sympas aussi. Tout le monde m’a souhaité la bienvenue. La mentalité est très différente de ce qu’on connaît en Belgique et le groupe est très jeune.

Sur le site Internet de Roda, les réactions sont largement positives mais une poignée de supporters a fait allusion à l’affaire de corruption. Avez-vous l’impression qu’il faudra être deux fois plus fort ?

Je pense avoir déjà refait mes preuves à Schoten où j’ai dû gagner la confiance de l’entraîneur, de mes équipiers et de tout un club. Je n’ai pas peur. Le club ne pouvait pas trouver gardien plus sûr que moi car je ne vais pas commettre deux fois la même erreur.

 » J’ai tenu compte des menaces  »

Quand vous êtes-vous rendu compte que vous faisiez quelque chose d’illégal ?

Au départ, l’intention était de sauver le Lierse. Le Chinois fréquentait les dirigeants du club et la salle des joueurs. Il avait investi 375.000 euros, voulait reprendre le club et en faire un grand d’Europe. On nous disait que le prix demandé était encore un peu élevé car nous étions septièmes ou huitièmes et qu’il fallait chuter de quelques places au classement. La première fois, je n’ai pas tiqué mais un jour, nous sommes allés jouer à Charleroi avec une équipe B. Hormis les défenseurs Laurent Fassotte, Ninoslav Milenkovic et moi, il n’y avait que des gamins de 16 à 18 ans. Nous devions perdre et nous avons perdu 1-0. J’avais même été l’homme du match. Mais au retour, le Chinois nous a convoqués à son hôtel. Il était furieux et commença à nous menacer ainsi qu’à réclamer son argent car nous aurions dû perdre 2-0 ou 3-0. Là, je me suis dit qu’il se passait quelque chose.

Il y eut pourtant un troisième match.

Après avoir vu le Chinois à l’£uvre, nous avions compris qu’il était fou et nous voulions arrêter. Patrick Deman, ex-gardien et assistant du Lierse, est allé le lui dire mais il l’a menacé et a dit que nous devions encore manipuler un match puis qu’il nous laisserait tranquilles. Nous l’avons donc fait. Par la suite, d’autres matches ont manifestement encore été truqués mais je ne suis au courant de rien.

Si, bien sûr, mais j’étais dos au mur et je ne savais pas quoi faire. Les gens me disent que j’aurais dû prévenir la police ou mes dirigeants mais je pensais que ceux-ci étaient aussi impliqués. Tout le laissait en tout cas entendre : le président de l’époque, Gaston Vets, l’actuel Léo Theyskens a été nommé en juin 2005, était toujours avec le Chinois. Je me disais que si je parlais, il allait me confirmer qu’il savait et il allait me prendre en grippe.

Si c’était à refaire, changeriez-vous quelque chose à votre attitude ?

N’oubliez pas que c’est Paul Put, mon coach, qui avait lancé l’idée. Je devais écouter. J’aurais dû lui dire d’aller se faire… mais j’étais encore tellement jeune : je ne pensais pas qu’un type aussi expérimenté commettrait une erreur pareille. Je le suivais aveuglément.

Etes-vous retourné au Lierse ?

Au club, non, mais il m’arrive régulièrement d’aller boire un verre dans les cafés de supporters. Au début, les gens pensaient que je les avais mis dans la m… mais, quand je leur ai raconté ma version, ils ont mieux compris. Certains m’en voudront toujours mais ceux-là étaient déjà contre moi avant le début de l’affaire…

 » Je suis terriblement soulagé  »

Quelle leçon avez-vous tirée de cette affaire ?

Avant, je pensais que la corruption dans le foot n’existait pas. Mais quand on se retrouve pris dedans, ça fait réfléchir. Maintenant, je ne m’engage plus à la légère, sauf pour des amis proches.

Du jour au lendemain, vous vous êtes retrouvé sans boulot. Une période difficile à vivre ?

Les premières semaines furent très difficiles. La police avait saisi mon téléphone portable. Personne ne pouvait m’atteindre et je ne pouvais appeler personne. Pendant deux à trois semaines, j’ai tourné en rond à la maison. Ma famille, ma copine et mes amis m’ont sorti du trou et poussé à aller de l’avant. La seule chose qui comptait, c’était de retrouver rapidement un club. Ils m’ont fait comprendre que j’avais été naïf mais que je devais me relever. Sans eux, j’aurais peut-être fait des c… et abandonné le football. A cette époque, j’y ai songé mais le football, c’est toute ma vie. J’ai aussi été arbitre pendant quatre ans, j’ai suivi les cours de l’école du Heysel pendant cinq ans et j’ai mon certificat A.

Et financièrement, vous avez souffert ?

Pas trop, heureusement. J’étais à la recherche d’un emploi mais j’avais peu de frais. J’habitais encore chez mes parents et ma voiture était payée.

Il a fallu six mois pour qu’un club, Schoten, veuille bien de vous. D’autres ont mis moins de temps.

C’est vrai. Je me suis proposé dans de nombreux clubs mais tous voulaient attendre le verdict de l’affaire Ye. J’ai toujours été très ouvert avec les médias, j’ai accepté toutes les interviews et j’étais plus souvent sur le devant de la scène que les autres, qui se faisaient oublier. Comme on voyait ma tête chaque semaine dans les journaux, on avait l’impression que j’étais le seul à être mêlé à toute cette histoire.

Puis Schoten est arrivé.

C’était le club idéal pour moi car il était mal classé et j’allais avoir beaucoup de travail. Bien sûr, chaque semaine, des spectateurs me criaient -Chinois ! ou – Corrompu ! mais je répondais par mes prestations sur le terrain. Le match le plus amusant fut celui que nous avons disputé à Alost. J’ai été canardé pendant 90 minutes mais nous avons fait 1-1 grâce à un tir terrible d’un de nos attaquants. Les gens d’Alost ont dit que j’aurais dû jouer dans leur but. Cela m’a rendu plus fort.

A Roda, que pense-t-on de votre passé ?

Ils m’ont annoncé clairement qu’ils m’offraient une seconde chance. Le président a dit que si j’étais assez fort pour jouer à Roda, je pouvais signer. On n’a pratiquement pas parlé de l’affaire, même dans la presse. Elle en a informé ses lecteurs une fois, c’est tout.

Vous aviez dit un jour que vous vouliez être dans un grand club à 26 ans. Vous en avez 24 et vous êtes à Roda. Belle progression ?

Roda n’est en effet pas n’importe quel club. Il a de l’ambition et veut obtenir des résultats grâce à une ambiance familiale. En tout cas, j’accepte la concurrence afin de compliquer la tâche de l’entraîneur… On m’a dit que chacun partait à zéro et que le meilleur jouerait. Je vais mettre des visières, m’entraîner très dur et donner le meilleur de moi-même. Schoten m’a concédé la chance de me reprendre et de rester en forme. Aujourd’hui, Roda me rend la chance d’être professionnel. Je veux faire en sorte que tout le monde dise que le club a fait une bonne affaire.

C’est la réhabilitation, alors ?

Je peux tout oublier. Je suis terriblement soulagé. On m’avait dit que c’était déjà très bien de pouvoir faire un test à Roda mais que je n’y obtiendrais jamais de contrat. A la fin des quatre jours, les gens de Roda m’avaient promis de me donner des nouvelles le soir même mais ils ne l’ont pas fait. Lorsqu’ils m’ont appelé plusieurs jours plus tard pour me proposer un contrat, j’avais la gorge nouée. Et en rentrant à la maison, je me suis dit que je pouvais à nouveau me mettre à rêver.

par peter mangelschots

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