« Certains jouent trop au football »

A l’aube d’une nouvelle campagne, le plus capé de nos internationaux donne son avis sur l’équipe actuelle.

Avec 96 sélections, il est le plus capé de nos internationaux. Jan Ceulemans a vécu les plus belles heures des Diables Rouges : la médaille d’argent au Championnat d’Europe 1980, la quatrième place à la Coupe du Monde 1986, etc. Autant d’exploits que la plupart des sélectionnés actuels ont découvert en feuilletant le livre d’or de l’équipe nationale puisqu’ils remontent à une époque où ils n’étaient pas encore nés.

Depuis 1999, il est l’entraîneur quasi inamovible de Westerlo (avec un break de neuf mois à Bruges), un club où les saisons s’écoulent au rythme d’un long fleuve tranquille, sans faire de bruit, à l’image du personnage. Le Caje ne recherche pas la publicité, mais il a forcément un avis sur notre équipe nationale.

Vendredi, nos Diables entament une nouvelle campagne qui doit les mener à l’EURO 2012 : ont-ils des chances de réaliser leur objectif, à votre avis ?

JanCeulemans : J’attendrai avant de me prononcer. D’autres l’ont déjà dit avant moi : la qualité est présente. Lorsqu’on est titulaire dans des clubs du calibre d’Arsenal, de Manchester City ou du Bayern Munich, pour ne citer que ceux-là, cela signifie qu’on a du talent. On attend désormais des résultats, et plus le temps passe, plus on s’impatiente. C’est le gros problème. J’espère que Georges Leekens a trouvé la bonne alchimie et surtout un leader pour diriger ces jeunes promesses, car j’ai l’impression que c’est là qu’il faut chercher l’origine de ces échecs répétés. On ne peut pas mettre en doute les qualités intrinsèques des joueurs, mais, en l’absence d’un véritable guide, ils ont tendance à tirer la couverture à eux.

Notre dernière participation à un grand tournoi remonte à la Coupe du Monde 2002. Est-ce un hasard si c’est précisément au retour du Japon que des leaders comme Marc Wilmots, Gert Verheyen et Johan Walem ont pris leur retraite ?

Sans doute pas. Des joueurs pareils, capables de garder l’église au milieu du village et d’inciter tout le monde à tirer à la même corde, nous manquent.

Aujourd’hui, les leaders s’appellent Thomas Vermaelen et Jan Vertonghen…

C’est ce qu’on dit, oui. Je ne vis pas avec le groupe, je peux donc difficilement me prononcer à ce sujet. Je me pose simplement une question : des joueurs comme Vincent Kompany, Daniel Van Buyten et Marouane Fellaini sont-ils prêts à les écouter et à suivre leurs directives ? Car Vermaelen et Vertonghen sont encore jeunes, eux aussi.

Est-ce la raison pour laquelle Leekens a rappelé Timmy Simons ?

Probablement. Il faut quelqu’un qui fasse l’unanimité, qui puisse rappeler au groupe que l’on a décidé de jouer de telle manière et pas d’une autre, et qui soit écouté. Quelqu’un qui puisse jouer le rôle du coach sur le terrain, car le coach lui-même ne peut pas tout corriger en criant le long de la touche.

Un éternel recommencement

L’instabilité est grande au niveau des entraîneurs. Eden Hazard nous l’avait encore confié, il y a trois mois : à 19 ans à peine, il a déjà été appelé par… quatre sélectionneurs différents ! A René Vandereycken a succédé Frankie Vercauteren, puis Dick Advocaat et maintenant Leekens…

Lorsque les résultats ne suivent pas, les entraîneurs en font souvent les frais. Durant la période de gloire, que ce soit sous Raymond Goethals ou Guy Thys, la fonction était beaucoup plus stable. On pensait avoir trouvé l’homme de la situation en la personne d’Advocaat, on sait ce qu’il est advenu. On a donc dû trouver une solution à ce départ précipité. Leekens connaît la maison, il est ambitieux et toujours prêt à relever de nouveaux défis.

A chaque nouvel entraîneur, on recommence de zéro…

Le groupe est désormais en place, à mon avis. Et il est fait pour durer, puisque certains éléments qui le composent n’ont pas encore 20 ans. D’autres joueurs tendent vers l’âge où un footballeur atteint sa pleine maturité : 25, 26, 27 ans. Sous cet angle-là, on approche donc du moment idéal.

Les Espoirs ont brillé à l’EURO 2007 et aux Jeux Olympiques 2008. N’aurait-on pas dû construire l’avenir sur cette base-là, y compris avec l’entraîneur de cette génération-là ?

Je ne sais pas. Jean-François de Sart a réalisé de très bons résultats avec son équipe d’Espoirs, qui forme désormais l’ossature des Diables Rouges actuels. Il connaît tous ces joueurs comme le fond de sa poche. J’ignore pourquoi il n’a pas pu poursuivre avec ce groupe au niveau supérieur. Ceux qui ont pris cette décision avaient sans doute leurs raisons. Je ne prendrai pas position à ce sujet.

On pointe souvent un manque d’automatismes chez les Diables Rouges. La période de préparation est souvent fort courte, mais comment faire autrement ?

Lorsqu’on participe à un grand tournoi, on a l’avantage d’être réuni pendant deux, trois ou quatre semaines. Mais comme la Belgique n’a plus participé à un grand tournoi depuis 2002… En l’absence de grand tournoi, on voit mal les clubs céder leurs joueurs pour un long stage en juin ou juillet, comme cela se fait en basket ou en volley. Déjà, un simple match amical est problématique. Lorsque les joueurs sont appelés en sélection une semaine avant un match de Ligue des Champions ou d’Europa League, comme ce fut le cas pour le déplacement en Finlande, les clubs espèrent surtout qu’ils les récupéreront en parfaite santé. Faute de mieux, la préparation se limite donc à trois ou quatre jours. Un laps de temps durant lequel les joueurs doivent rapidement se trouver rapidement des atomes crochus. La question que je me pose est : ces joueurs, dont on dit le plus grand bien, sont-ils des individualités à l’égo surdimensionné ou sont-ils prêts à se mettre au service du collectif ?

Les supporters se disent souvent : puisque nos Diables évoluent dans des grands clubs, cela doit forcément marcher en équipe nationale.

Beaucoup de gens raisonnent de la sorte, en effet. Mais ce n’est pas aussi simple. Une équipe, cela se construit. Il faut voir aussi quel rôle ces joueurs occupent dans leur club respectif. En ce qui concerne les défenseurs, ils sont entourés de superstars dans leur club, et lorsqu’ils entrent en possession du ballon, ils s’en débarrassent d’une passe simple. On ne leur demande rien d’autre. En équipe nationale, on ne leur demande rien d’autre non plus, en principe. Mais, auréolés de leur statut, ils se croient obligés d’en faire un peu plus et s’aventurent hors de leur zone, laissant alors des espaces dans leur dos. Cela peut expliquer certaines erreurs de joueurs routiniers que l’on a constatées par le passé et qu’il est difficile de gommer. Sur le plan offensif, le rôle de Romelu Lukaku est théoriquement le même qu’à Anderlecht mais le contexte est différent. Au Sporting, il évolue généralement dans une équipe qui campe dans le camp adverse. Chez les Diables Rouges, il se retrouve parfois seul en pointe et doit faire la décision sur une contre-attaque.

Secteur par secteur

La Belgique a longtemps été réputée pour la qualité de ses gardiens. Aujourd’hui, est-on paré avec Logan Bailly, Jean-François Gillet et Silvio Proto ?

Le poste de gardien est, par essence, individuel. Et, au risque de me répéter : au niveau de la qualité individuelle, il n’y a pas de soucis à se faire. Bailly est titulaire en Bundesliga et Gillet l’est en Serie A. Proto est brillant avec Anderlecht. Leekens a fait jouer l’alternance entre Bailly et Gillet lors des matches amicaux. Pendant un certain temps, on a cru que Gillet avait gagné la partie. Mais, en Finlande, c’est Bailly qui avait pris place dans le but. Je pense que celui qui commencera le match contre l’Allemagne effectuera toute la campagne comme gardien n°1.

Pourquoi n’a-t-on plus de véritable arrière droit ?

On ne découvre pas un Eric Gerets chaque année. Le Lion de Rekem était tellement impressionnant que, depuis sa retraite, ses successeurs ont toujours souffert de la comparaison. Laurent Ciman et Guillaume Gillet ne sont pas de véritables arrières droits. Sur sa forme actuelle, je plaiderais pour l’Anderlechtois. A mon époque, on avait surtout du mal à trouver un arrière gauche. Je constate qu’aujourd’hui, la question n’est pas encore tout à fait tranchée non plus. On a des solutions avec Olivier Deschacht et Jelle Van Damme, mais c’est souvent un défenseur central gaucher qui a occupé le poste : Vermaelen ou Nicolas Lombaerts.

En défense centrale, la qualité ne manque pas : Vermaelen, Van Buyten, Kompany et Lombaerts sont tous des postulants très valables…

En effet. Leekens devra faire des choix. S’il opte pour un duo Vermaelen-Van Buyten, que doit-il faire avec Kompany ? Le placer dans l’entrejeu ? C’est une possibilité. Mais là, il y a Vertonghen et Fellaini. C’est un problème de luxe. Un sélectionneur est payé pour faire des choix. Certains sont plus faciles que d’autres. Imaginez qu’un joueur, parmi Vermaelen, Van Buyten et Kompany, se retrouve sur le banc : c’est une situation difficile à gérer. Mais ces joueurs doivent pouvoir l’accepter.

Dans l’entrejeu, il y a profusion de médians axiaux avec Vertonghen, Fellaini, Steven Defour, Axel Witsel, éventuellement Kompany, voire Christophe Lepoint qui est actuellement blessé…

Dans ce secteur-là aussi, il faudra faire des choix. Certains, comme Vertonghen et Fellaini, doivent apporter leur puissance. D’autres, leur technique. Il faudra trouver le juste compromis. Le véritable bloc n’est pas encore défini.

La place sur le flanc droit semble promise à Jonathan Legear, mais il n’a toujours pas fêté sa première cap…

C’est dommage qu’il soit aussi fragile. Avec Anderlecht, il constitue un danger permanent chaque fois qu’il peut monter au jeu, y compris sur la scène européenne. Il apporte de la profondeur, de la vitesse. Dommage, dès qu’il est lancé, il est stoppé net dans son élan.

Sur le plan offensif, on a deux enfants prodiges : Hazard et Lukaku. Etes-vous sous le charme ?

Oui. Je connais moins bien Hazard, car je n’ai pas souvent l’occasion de visionner le championnat de France, mais ses quelques apparitions en équipe nationale m’ont permis de m’apercevoir qu’il était l’homme des actions individuelles, capable d’éliminer son adversaire direct par un dribble, de placer un équipier en bonne position de tir. Je connais mieux Lukaku. Physiquement, on ne peut pas le comparer à un gamin de 17 ans. Il est costaud, solide sur ses jambes, rapide aussi. Ce sont deux grands talents, mais il faudra veiller à ne pas les ériger d’emblée en sauveurs de la nation, car ils ne pourront pas tout faire seuls. Comme l’a dit Leekens, ils devront être aidés par les joueurs de la deuxième ligne.

Vite, une équipe type !

Avec les joueurs actuels, peut-on encore jouer comme au  » bon vieux temps « , en tablant sur une bonne organisation et en spéculant sur la contre-attaque ?

Oui, pourquoi pas ? On a tout : la taille, la puissance, la vitesse, la technique. Encore faut-il veiller à ce que chacun conserve sa position et ne sorte pas de son rôle. Je pense que c’est possible. Mais certains ont trop tendance à vouloir jouer au football ( sic).

Doit-on tendre le plus rapidement possible vers une équipe type ?

Bien sûr. Dans deux jours, on affronte l’Allemagne. A ce moment-là, il faudra avoir une équipe type. J’espère que la formation qui commencera le match ce vendredi, sera maintenue pour les rencontres suivantes, car cela signifiera qu’on aura gagné. Ou, du moins, que l’équipe aura donné satisfaction. On doit tendre vers huit, neuf ou dix  » certitudes « , en n’apportant donc au maximum qu’une, deux ou trois retouches par match, en fonction de l’adversaire, des suspensions ou des blessures. Cette stabilité constituait notre grande force, autrefois. Il y avait des valeurs sûres, et certains joueurs qui venaient de temps en temps en dépannage. Mais le fait de jouer longtemps avec la même équipe a aidé à la construction d’automatismes. On se connaissait, on formait un bloc, et ensemble on a fait des résultats.

On sera directement plongé dans le grand bain : l’Allemagne à domicile pour commencer, puis un déplacement délicat en Turquie…

L’Allemagne, troisième du dernier Championnat du Monde, est la grande favorite du groupe. Une défaite, ce vendredi, entrerait tout simplement dans la logique. Les Allemands seront probablement inaccessibles pour la première place. La deuxième place donnera accès aux barrages, et pour y accéder, on devra également écarter un sérieux concurrent avec la Turquie. C’est la conséquence des campagnes précédentes en demi-teinte : plus on perd, plus on se complique la tâche, car on descend dans la hiérarchie et on est désormais versé dans le 3e ou 4e chapeau lors du tirage au sort, alors qu’autrefois nous étions souvent têtes de série. Est-ce bien d’entamer la campagne en affrontant les deux ténors ? La perspective de commencer par un zéro sur six doit être envisagée. L’avantage, en débutant contre l’Allemagne et la Turquie, c’est qu’on n’aura rien à perdre et tout à gagner.

par daniel devos – photos: jelle vermeersch

En l’absence d’un véritable guide, les joueurs ont tendance à tirer la couverture à eux.

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