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 » CERTAINS ENTRAÎNEURS ONT UNE DATE DE PÉREMPTION, PAS MOI « 

Pour Ivan De Witte, Hein Vanhaezebrouck doit devenir l’Arsène Wenger de La Gantoise. Mais l’entraîneur est-il d’accord ou a-t-il d’autres ambitions ?

Le Club Bruges a dominé le gala du Soulier d’Or 2016. Il y a un an, c’est à Gand qu’on buvait le champagne pour fêter le trophée remporté par Sven Kums. Aujourd’hui, les joueurs et le staff préparent les prochains rendez-vous et il n’y a personne pour les déranger. Entre la lutte pour l’accès aux play-offs de Jupiler Pro League et le match d’Europa League face à Tottenham, l’agenda est chargé. Le mercato a insufflé une autre dynamique à La Gantoise mais, pour l’entraîneur, il est exagéré de dire qu’une nouvelle saison a débuté en janvier.

HEIN VANHAEZEBROUCK : Nos ambitions sont toujours les mêmes : une place en play-offs 1. Nous mériterions six points de plus à la trêve mais nous avons commis des erreurs que nous avons payées cash. C’est pourquoi il y a eu du changement, même si ça n’explique pas tout. Certaines décisions avaient été prises avant, comme l’arrivée de Kubo pour remplacer Raman. Cela n’avait pas été possible cet été car les Young Boys avaient trop de blessés. Kalinic est arrivé parce qu’on avait des doutes et certains joueurs sont des paris sur l’avenir. Par contre, on avait besoin d’un ailier créatif comme Kalu. On le cherchait depuis l’an dernier. Il nous fallait aussi un attaquant de pointe, d’autant que Perbet avait demandé à partir.

Kubo doit-il reprendre le rôle de Sven Kums ?

VANHAEZEBROUCK : Non, il ne doit pas jouer aussi bas. Ce serait plutôt Tekie mais peut-être qu’il doit commencer plus haut, comme Kums l’avait fait avec moi à Courtrai. Il doit s’habituer à l’intensité du jeu en Belgique et travailler son physique. Quand il sera plus costaud, il pourra reculer. Mais pas Kubo.

ERREURS

Vous avez eu deux passages à vide cette saison : en octobre et en décembre.

VANHAEZEBROUCK : Pas octobre. C’est vrai qu’on a échoué contre Malines et Eupen et qu’on a perdu deux fois face au Shakhtar mais on s’est battus nous-mêmes sur des erreurs individuelles. Peut-être que, pour certains joueurs, le niveau était trop élevé.

Lasse Nielsen et Jacob Rinne ont payé la note.

VANHAEZEBROUCK : Je reste persuadé que Nielsen peut nous être très utile mais il a accumulé les erreurs et on avait Troost-Ekong. On devait donc prendre une décision. Pour ce qui est de Rinne, on a changé avec Thoelen pour arriver à la conclusion qu’il nous fallait un nouveau gardien.

Ce n’était pas possible d’engager Lovre Kalinic l’été dernier ?

VANHAEZEBROUCK : Non, on ne m’avait jamais parlé de lui. Et puis, on n’avait pas le même budget mais si on veut continuer à progresser, on doit oublier la règle qui dit qu’on ne peut pas dépenser plus de deux millions pour un nouveau joueur. Ou alors, il faut être très bien informé et agir vite, avant les grands clubs. C’est presque impossible. Ou alors, il faut jouer dans un petit championnat comme Trencin, en Slovaquie, qui peut engager de très jeunes Africains car la législation est différente.

Vous aviez dit ça à vos dirigeants l’été dernier ?

VANHAEZEBROUCK : On se réunit toutes les semaines mais les avis sont toujours partagés et on finit par agir dans l’urgence. Bien sûr, on a toujours peur et si on échoue, on va désigner des responsables. C’est pourquoi tout le monde doit admettre qu’un échec est toujours possible.

La série noire de décembre vous a convaincu qu’il fallait agir ?

VANHAEZEBROUCK : Oui. Si on avait battu Anderlecht, on serait revenus à quatre points mais là, le résultat final était en danger et on devait être rassurés pour aller à Genk.

La cellule de scouting a été critiquée. À juste titre ? Elle devait tout de même fonctionner avec un budget restreint.

VANHAEZEBROUCK : Ce n’est pas une question de budget. Si on m’avait dit que je devais atteindre les play-offs 1 avec Gershon, Belhocine, Oussalah, Kums, Depoitre, Foket et Raman, je n’aurais pas répondu que ce n’était pas possible car ils n’avaient rien coûté. Quand on se lance dans quelque chose, c’est parce qu’on y croit. Il est trop facile de dire que ça marche parce qu’il y a de l’argent. Et soyons clairs : ce n’est pas moi qui fais les transferts. Nous décidons toujours de tout en concertation. Et quand nous prenons une décision, c’est avec tout le staff, je ne décide pas seul.

Le président De Witte ne vous a pas confié plus de responsabilités ?

VANHAEZEBROUCK : Je pense que, par le passé, nous avons trop souvent engagé des gens dont nous n’étions pas convaincus parce que nous avions raté d’autres et que nous n’avions pas d’alternatives. Je reste convaincu que le plus important, c’est la personnalité du joueur. À Courtrai, Jean-Marc Degryse se renseignait parfois auprès de 30 personnes avant d’engager quelqu’un. C’est pourquoi il échouait si rarement.

Luc Sanders est parti une semaine en Croatie pour Kalinic. C’est la solution ?

VANHAEZEBROUCK : C’est une première étape positive, il est allé là-bas, l’a observé à l’entraînement et a discuté avec lui. Mais en tant que club, il faut encore faire plus pour découvrir la personne. Un entretien ne suffit pas. À moins d’être fou, un joueur ne va pas avouer ses points faibles. Il faut consulter d’autres personnes. Courtrai prenait toujours l’avis d’Ivica Jarakovic.Il faut des gens fiables.

WENGER

Ivan De Witte voudrait faire de vous son Arsène Wenger, un coach à long terme. Vous êtes d’accord ?

VANHAEZEBROUCK : Nous en avons déjà parlé. C’est beau mais le club est-il prêt ? Et est-ce que ça marcherait en Belgique où on jette si facilement les entraîneurs ? Wengera bien commencé puis il n’a plus rien gagné mais il a toujours atteint la Champions League. Et s’il n’y était pas arrivé ? Aurait-on eu la même patience ? Francky Dury est le seul exemple de Wenger à la belge : il dit qu’il ne quittera pas Zulte Waregem. Il a reçu toutes les compétences, il décide qui arrive et qui part. Les limites sont juste financières. Sans quoi il n’aurait pas laissé partir Kums.

Et vous, vous oseriez dire que vous ne quitterez jamais Gand ?

VANHAEZEBROUCK : Si j’avais toutes les compétences en matière sportive… Mais à Gand, ce n’est pas le cas. »

Vous avez travaillé avec Patrick Turcq à Courtrai. Aujourd’hui, il est votre directeur sportif. Ça pourrait vous permettre de renforcer votre position.

VANHAEZEBROUCK : Ce n’est pas moi qui ai amené Patrick. On m’a dit qu’il fallait quelqu’un pour aider Michel Louwagie. Je suis tombé des nues quand on a cité son nom mais j’ai dit qu’il avait des qualités. Il a fait du bon boulot à Courtrai où il a succédé à Jean-Marc. C’est le plus difficile. Demandez à Courtrai comment ils ont fait quand il est parti.

Vous aimeriez être le Wenger de Gand ?

VANHAEZEBROUCK : J’ai passé neuf ans à Harelbeke, quatre à Lokeren, sept à Courtrai. Je suis quelqu’un qui dure. Tant qu’il y a des possibilités de croissance, ce n’est pas un problème. Lors de mon deuxième passage, je suis resté quatre ans à Courtrai parce que je pensais que nous pourrions faire comme Zulte Waregem mais je me suis trompé. J’en suis à ma troisième saison à Gand mais ce n’est pas parce que nous avons franchi une fois la limite en matière de transferts que nous y sommes. On doit encore progresser dans beaucoup de domaines.

Ce complexe d’entraînement a été modernisé, il y en aura bientôt un nouveau à Oostakker pour le noyau A, le club délie les cordons de la bourse pour les transferts… C’est tout de même bon signe.

VANHAEZEBROUCK : C’est très positif mais la Ligue des Champions nous a rapporté 28 millions et les transferts sortants aussi alors que nous n’en avons dépensé que neuf ou dix et un peu plus dans l’urgence. On a aussi investi dans les jeunes, dans les installations… »

Que faut-il faire pour vous convaincre de rester ?

VANHAEZEBROUCK : Ça, je le dis au président, pas dans les médias. Il faut que le club continue à grandir. Pour rester européens ou dans le top 3, nous devons évoluer.

Vous discutez d’une prolongation de contrat avec la direction ?

VANHAEZEBROUCK : Je suis sous contrat jusqu’en 2018. Après la période des transferts, on va parler des quinze jours qui nous attendent puis ce sera plus calme. J’ai eu des possibilités à l’étranger, dans de bons championnats mais je dois bien choisir le moment et le club. Il faut aussi que toute ma famille soit prête.

C’est le cas ?

VANHAEZEBROUCK : Je ne répondrai pas. Mes enfants ont onze et treize ans. Est-ce le moment ? On avisera si c’est nécessaire.

La victoire du Cameroun à la CAN avec Hugo Broos change-t-elle quelque chose au statut des entraîneurs belges ?

VANHAEZEBROUCK : C’est spécial, hein. Je pense que Hugo recevra de nouvelles chances en Europe. Pour les autres coaches belges, des portes s’ouvriront en Afrique ou au Moyen-Orient, pas dans les grands championnats.

SIMON-IZQUIERDO

Les coaches ont-il une date de péremption ?

VANHAEZEBROUCK :Certains, oui. Surtout ceux qui changent de clubs tous les deux ans. Mais Francky, Peter et moi prouvons par exemple qu’on peut faire autrement.

C’est donc le noyau qui doit tourner ?

VANHAEZEBROUCK : C’est de toute façon le cas en Belgique. C’est un championnat de transit. Il y a des gars avec qui je pourrais travailler dix ans mais d’autres ont régulièrement besoin d’un nouveau défi. Puis il y a ceux qui ont atteint leur limite.

Moses Simon vous énerve ?

VANHAEZEBROUCK : C’est comme José Izquierdo : tout le monde le connaît et sait comment le prendre. S’il part, il sera à nouveau efficace.

L’avantage de Kalu par rapport à Simon, c’est aussi que personne ne le connaît ?

VANHAEZEBROUCK : Oui mais il a aussi montré qu’il pouvait passer par l’intérieur ou par l’extérieur et ses centres sont meilleurs.

PRÉCURSEUR

Chelsea joue avec trois défenseurs, les Allemands aussi. Vous étiez un précurseur ?

VANHAEZEBROUCK : Qui invente encore quelque chose ? Le WM était un peu comme ça. À mon époque, on jouait avec deux stoppers et un libéro. Je voulais un système offensif et, en réfléchissant, j’ai essayé avec trois défenseurs. Ça a très vite fonctionné.

Mais en perte de balle, la différence entre trois et quatre n’est pas grande.

VANHAEZEBROUCK : Défensivement, il faut repasser à quatre derrière. Pas à cinq comme beaucoup d’équipes le font car on perd le contrôle du match. Au début, des coaches réputés disaient que j’étais fou et que mon système ne fonctionnerait pas mais à Courtrai, nous avons battu plusieurs grands clubs et à Gand, nous avons été champions. Depuis, on nous copie mais surtout l’aspect défensif.

C’est ce style de jeu qui vous a amenés en huitièmes de finale de la Champions League ?

VANHAEZEBROUCK : C’est possible. En partie du moins. Car aucun de mes joueurs n’est parti dans un club du top mondial. Par contre, Barcelone a pris un joueur de Lyon (Umtiti, ndlr) et deux autres de Valence (André Gomes et Paco Alcacer, ndlr). Ces clubs n’étaient pas si mauvais, le Zenit non plus. Mais nous leur avons posé des problèmes.

Et un système, ça a une date de péremption ?

VANHAEZEBROUCK : Il faut être flexible. On a déjà joué en 4-3-3 mais on dépend du matériel joueurs. C’est pourquoi je suis heureux d’avoir des créatifs comme Kalu et Kubo qui peuvent faire la différence en un contre un et même dos au but. On en avait besoin. Mais on juge trop souvent un système sur base des résultats.

N’empêche que vous n’avez pris que 9 points sur 39 en déplacement.

VANHAEZEBROUCK : Ce qui est plus grave, c’est qu’en treize déplacements, nous sommes restés muets à sept reprises. On ne peut pas gagner sans marquer. Parfois, on ne se créait même pas d’occasions. Kubo et Kalu peuvent nous apporter de la vitesse et des infiltrations.

PAR PETER T’KINT ET FRÉDÉRIC VANHEULE – PHOTOS BELGAIMAGE – JASPER JACOBS

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