« Certains Diables se sont embourgeoisés »

Pierre Bilic

Le coach fédéral oeuvre depuis deux ans à la tête de l’équipe nationale.

Les Diables Rouges ne devront pas être avares de leurs efforts face à l’Ecosse, le 5 septembre, à Bruxelles. C’est un temps de rentrée des classes. D’examen de passage aussi pour une équipe nationale qui rentra une copie assez raturée à Helsinki. Le visa pour l’Asie passe par un succès contre ces Ecossais avant un tout dernier défi en Croatie, le 6 octobre à Zagreb.

Comment expliquez-vous le nauvrage d’Helsinki?

Robert Waseige: La première faute m’incombe car j’ai cru qu’une bonne préparation professionnelle suffirait pour avoir une équipe compétitive. Or, sur le plan de l’engagement, de l’agressivité, ce ne fut pas le cas. Nous avons entamé le match avec un moteur tournant au ralenti alors que l’adversaire a appuyé tout de suite sur le champignon. La cause était entendue quand nous sommes entrés dans le débat. Vu notre attitude globale, le milieu de terrain a été dépassé, noyé, en rythme, en vitesse d’exécution, en volume de jeu, etc. J’ai cru que mon « milieu à quatre » était capable de trouver les clefs de la rencontre. Dans une formule en 4-4-2, il faut que les médians se partagent le travail de récupération. On sait qu’un joueur comme Yves Vanderhaeghe assume 40% de ce job. Johan Walem prend une partie du solde, tout comme les deux latéraux qui, à Helsinki, sont restés scotchés sur leur ligne. Vanderhaeghe et Walem ont été à la peine et n’ont pas réagi dans le sens voulu : au lieu de lever les bras aux cieux et d’invectiver l’arbitre, j’attendais, lors de certaines phases, le coup de rein, la réaction qui compense ou fait la différence. Notre axe central a plus d’une fois volé en éclats car il était trop avancé quand ce n’était pas nécessaire.

« Il y a eu carence dans les concentrations »

Aviez-vous mis la pression sur le groupe?

Je ne veux pas employer la grosse artillerie mentale pour tous les matches. Quand c’est indispensable, cela a alors moins d’effets. Il y a eu carence dans les concentrations et, au risque de froisser l’un ou l’autre, je dis que la Belgique n’est pas capable de régler les affaires courantes en Finlande. Dans ce contexte, le voyage dans le nord aura été utile s’il y a prise de conscience. Je n’étais pas abattu mais préoccupé par les réactions individuelles d’une partie du groupe. J’ai noté une forme de suffisance, d’embourgeoisement dans le comportement de certains de nos joueurs. Je ne généralise pas, loin de là, mais j’en vois qui n’apprécieraient plus une fricassée. Pour moi, Johan Walem n’a pas été un flop à Helsinki. Je m’excuse mais l’un ou l’autre journaliste lui colle un zéro avant qu’un match ne commence et je ne comprends pas. Cela dit, j’attends plus dans son apport collectif. Il adore décrocher, prendre des ballons très bas dans le jeu et n’aime pas ratisser dans le camp adverse. Walem doit essayer de le faire et il doit y arriver pour que son apport soit suffisant par rapport à ses partenaires et au collectif.

Son retour en Belgique, au Standard, sera excellent pour lui, comme pour Gilles De Bilde qui a retrouvé Anderlecht. Nico Van Kerckhoven a été indiqué du doigt aussi. Je sais que le joueur de Schalke 04 est plus à l’aise à gauche mais ne peut-on plus faire des essais? C’est un joueur polyvalent et je l’ai vu assurer la couverture avec plus de présence que d’autres, même sur le penalty sifflé contre sa personne. J’ai procédé à deux essais avec le duo Eric Van Meir-Nico Van Kerckhoven puis le tandem formé par Eric Van Meir et Glen De Boeck. Je ne sentais pas trop cette dernière alternative car c’est un doublon. Mais cet axe a bien fonctionné via une équipe qui a réagi après la pause. J’ai apprécié le comportement de Glen De Boeck dans sa façon de vivre ce match. Il n’a pas entamé la rencontre mais a bien intégré les réalités du jour. Il a marqué des points. Mais la priorité restera Joos Valgaren qui m’apporte sa vitesse et sa rigueur dans le contrôle de l’attaquant le plus avancé. Eric Van Meir nous offre sa distribution à longue portée mais lui aussi est assez mal vu par certains médias.

Ce que vous ne comprenez guère?

Je sais ce que ce joueur m’apporte et c’est ce qui compte. Eric Van Meir ne se prend pas pour le joueur qu’il n’est pas. Il a les défauts de ses qualités. Certains ne retiennent qu’une mobilité qui n’est pas celle d’un sprinter mais ses autres apports sont importants : placement, frappe, présence aérienne défensive et offensive, mentalité, passes à distance. Le bilan est favorable. On peut trouver autre chose mais un gars plus rapide ne me donnerait peut-être pas tout ce qu’Eric Van Meir détient dans son arsenal personnel. Je garderai les mêmes idées dans ce secteur avec Eric Van Meir et Joos Valgaeren en sachant que Glen De Boeck propose aussi des garanties.

Wilmots était-il suffisamment rétabli pour jouer à Helsinki?

Wilmots constitue évidemment l’exception en équipe nationale et je transgresse mes règles habituelles pour lui. J’ai suffisamment affirmé pourquoi, sans en rajouter, mais c’est celui qui m’apporte le plus si je réunis tous les paramètres demandés à un international: mental, tactique, etc. Je ne dis pas qu’il y a Marc et les autres, ce serait faux, mais c’est une pierre angulaire. J’ai de la suite dans les idées mais je ne suis pas obtu. J’explique. J’avais dit que le but était de donner du temps de jeu à Marc en Finlande. J’avais été clair avant ce voyage mais il faut croire que je n’ai pas été entendu. Certains espéraient-ils déjà voir ce joueur au top? Impossible. Quand on se bat comme Marc Wilmots l’a fait, après son opération, et avec l’aide de son kiné, Lieven Maesschalk, cela mérite un coup de chapeau. Sans toute sa volonté, il n’aurait pas repris aussi vite.

On a relevé un manque de brio en Finlande mais Georges Leekens a dit que cette défaite sera peut-être la clef du succès contre l’Ecosse…

Nous ne sommes pas assez forts pour gagner avec panache, et si brio il y a, cela vient après l’efficacité. On ajoute le panache comme la crème fraîche sur le gâteau. Il faut travailler dur. Emile n’est pas qu’une catapulte qu’on utilise sans cesse et il faut passer par la station intermédiaire, l’entrejeu, ce qui n’a pas été assez fait lors de ce premier match de la saison à Helsinki. C’est un élément de réflexion qui me permet de dire que ce voyage a été utile. Georges Leekens a réagi en vrai coach et a bien situé le match dans le fil d’une saison qui commence. Il y aura réflexion et, si tout le monde a la réaction qui s’impose, ce sera une défaite positive. L’Ecosse sera notre premier match du siècle. Mais, à peine terminé, il y en aura un deuxième: Croatie-Belgique. Tout pourrait se jouer à Zagreb début octobre. Cela ne me dérange pas qu’on se focalise sur l’Ecosse. Quand on prépare un match en pensant au suivant, il y a déconcentration.

Quelle genre d’équipe écossaise attendez-vous?

Les Ecossais sont très à l’aise en déplacement car ils n’ont pas la responsabilité du jeu. L’Ecosse est suivie par dix mille personnes à l’extérieur. Ce sont des inconditionnels qui leur pardonnent tout, y compris une défaite. Cela ne simplifiera pas notre tâche mais je n’ai jamais pensé que ce serait simple pour nous. Ce sont de très grands rendez-vous. J’adore et je ne me soucierai pas du tout du résultat d’Ecosse-Croatie qui se jouera le 1er septembre. Nous n’avons qu’une possibilité de nous qualifier: gagner à la maison, faire match nul en Croatie. Les Ecossais me semblent tout à fait capables de mieux gérer le rendez-vous de Bruxelles que l’accueil de la Croatie chez eux car poser le jeu n’est pas leur tasse de thé. Pour nous, ce match doit être à l’opposé de la prestation d’Helsinki.

« L’ecosse ne me fait pas penser à la Turquie »

Changerez-vous votre fusil d’épaule?

Il n’y aura pas du tout de bouleverement dans la sélection. Je veux une révolution dans les têtes. Je ne dévoilerai évidemment pas mes choix tactiques avec Belgique-Ecosse. Je garde mes idées pour moi et pour le groupe. Il ne faut pas rêver : je travaille avec la crème du foothall belge. On ne dénichera pas une solution miracle sous le sabot d’un cheval. Il faut atteindre le grand objectif : participer consécutivement à une sixième phase finale de la Coupe du Monde. Ce match contre l’Ecosse ne me fait pas penser à la Turquie. L’EURO 2000 est dans le rétro, on n’y songe plus.

Deux ans, ça passe vite..

Tout à fait. Il y a deux ans déjà que je travaille avec notre élite nationale et je suis chaque fois marqué par le plaisir réciproque des retrouvailles avec le staff, tous les joueurs, etc. Mes sensations sont toujours aussi fraîches qu’il y a deux ans mais les soucis restent quotidiens même si ce n’est pas comme dans un club. L’intensité est différente, plus intense en sélection nationale le jour des matches. Les Diables Rouges ont tout de même dix millions de supporters qui veulent tous être fiers d’eux. J’ignorais que je pourrais être aussi heureux et avoir autant de plaisir dans cette fonction-là. Jusqu’à présent, le négatif, c’est notre absence au deuxième tour de l’EURO. J’ai noté trois ou quatre mi-temps, sur vingt matches, d’un niveau qui ne me satisfaisait pas. Je ne fais pas de sélection parmi cette liste de matches car je suis en prise directe avec la vie du groupe et je peux aussi être content avec un match banal. Je n’ai pas les mêmes critères d’analyse que le public. Je cerne ce qu’un joueur, dont on ne parle pas ou peu, a fait pour que le collectif soit gagnant.

Pays-Bas – Belgique ne constitue-t-il pas le moment fort depuis votre présence à la tête de l’équipe nationale?

Je songe, comme vous, à Pays-Bas – Belgique. L’ambiance est toujours la même dans le groupe. Le public et l’équipe ont une relation chaleureuse. Il faut être digne de cette communion mais je sais que les résultats jouent un rôle primordial. A Rotterdam, tout fut surréaliste: le score, le déroulement, l’ambiance, la conclusion au marquoir, etc. A Rotterdam, on a eu le mérite de gagner le respect des Hollandais. En Ecosse, ce ne fut pas mal non plus avec la réaction du groupe. Il n’y avait pas de vanité dans l’approche. A Helsinki bien. J’insiste sur le fait que tous les Diables Rouges sont de bons joueurs. Mais, dans le concert international, ils forment un groupe moyen. Si on passe par la solidarité, ce groupe moyen peut devenir franchement bon et c’est un de mes constats les plus évidents en deux ans. Quand une équipe arrive à cela, à force de volonté, elle est capable de battre des groupes supérieurs. Il ne faut pas être à 120% pour cela; 100%, ça suffit.

Cela peut user…

C’est pesant et cela peut écraser les joueurs surmenés ou ayant de soucis personnels, matériels, affectifs, etc. A ce niveau, il faut s’isoler de tout ce qui est hors contexte. Le football belge doit faire attention. Quand j’ai fait le bilan de la première journée de championnat, je me suis inquiété. Il pleuvait des buts: 5-1, 8-2, etc. J’étais préoccupé en me disant que nous allions voir chez nous le scénario hollandais d’il y a quelques années. C’était portes ouvertes tous les week-ends et c’était la référence pour certains observateurs. Non, sans réalisme, il n’y a pas d’issue. Le réalisme n’est pas un football sordide ou même négatif mais un football strict avec de la discipline dans les zones de vérité, devant son rectangle et dans celui des autres.

Pierre Bilic

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