Centre de gravité

Pierre Bilic

Les Loups et les Zèbres ne se regarderont pas en chiens de faïence au Tivoli.

A la fin de la saison passée, les bans de mariage des Louviérois et des Carolos étaient quasiment écrits mais personne n’aurait osé les afficher. Le temps a filé et les alliances sont restées dans la boîte à bijoux.

Et c’est sans bague au doigt que les Loups recevront les Zèbres sur le pas de l’église du Tivoli. Même si elle ne roule pas sur l’or, loin de là, la phalange d’Ariel Jacobs a de plus en plus de charme, et confirme en championnat que son succès en finale de la Coupe de Belgique était avant tout le fruit d’un travail, d’une organisation, d’une vision sportive. La Louvière porte désormais le maillot jaune de sa province et s’apprête à découvrir l’Europe.

Personne ne peut en dire autant dans le sud du pays. Charleroi a eu une fièvre… caniculaire durant tout l’été après avoir gardé de justesse sa place en D1. Au Mambourg, la bande à Dante Brogno doit rendre le sourire à un club où les soubresauts internes, surtout financiers, ne se comptent plus. Roland Louf, le manager de La Louvière, et Pierre-Yves Hendrickx, le secrétaire général de Charleroi, frappent les trois coups d’un derby très attendu.

Quelle fut la politique sportive des deux clubs durant la période des transferts ?

Roland Louf : Le noyau a été réduit de 24 à 22 joueurs, ce qui représente deux salaires en moins. Chez les petits épiciers, il n’y a pas d’économies idiotes. La saison passée, La Louvière avait encore un mini noyau B de six joueurs. Ce temps-là est révolu. Le départ de huit joueurs nous permet de rembourser des erreurs du passé. Ceux que nous avons engagés ont également coûté moins cher que les partants. Nous y sommes arrivés en augmentant, à mon avis, la qualité du noyau. Nous avions trois médians aux atouts plus ou moins identiques : Rachid Belabed, Didier Ernst et Alan Haydock. La premier est resté, tandis que Daniel Camus nous apporte sa rage et Mamar Mamouni sa qualité de jeu. L’expérience de ce duo est un plus. Alexandre Bryssinck, parti en Hollande, a été remplacé par George Blay dont on connaît le potentiel.

A gauche, Serge Djamba-Shango est un international Espoirs. Jan Van Steenberghe a opté pour Anderlecht dans les conditions que l’on connaît et, pour le remplacer, nous avons mis la main sur Filip Susnjara. Sammy Van den Bossche enrichit le potentiel technique de la ligne médiane tandis que Michaël Murcy, venu de Créteil comme Mamar Mamouni, est un jeune attaquant prometteur. La saison dernière, la polyvalence primait alors que nous avons cette fois été plus spécifiques : Camus est un récupérateur de métier, Mamouni un relayeur pur, Blay arrière latéral à 100 %, etc. Ernst évoluait dans la ligne médiane ou à l’arrière droit. On sait que des discussions avaient été entamées avec Charleroi et Mons. Finalement, ce n’est qu’à partir du 10 juin que nous avons restructuré tout le noyau. La philosophie de base n’est plus la même que lors de l’arrivée du club en D1. A l’époque, on ne parlait que de métier, ce qui coûte cher, etla moyenne d’âge était élevée.

La Louvière dispose désormais d’un groupe plus jeune. Nous n’avons pas les moyens d’engager des stars. On prend des paris. Michaël Klukowski en était un : il n’avait pas joué un match en L1 française avec Lille, mais a réussi en Belgique. Michäle Murcy ne jouait pas à Créteil mais sa jeunesse, son explosivité et sa vitesse nous ont intéressé. On verra ce que cela donnera. Mamouni est un bon joueur. Il était au chômage en France et, pour le même prix, il était intéressant pour lui de se relancer dans un autre pays et de jouer en Coupe d’Europe. Nous devons rester compétitifs chaque année avec moins d’argent. Alors, pour compenser, on suit souvent les joueurs qui nous intéressent et nous agissons vite quand c’est nécessaire.

Il est plus facile de transférer Zoran Ban ou Claude Bakadal que de trouver des promesses, car tout le monde connaît leur valeur. Quand les Loups ont acquis Benoît Thans, Manu Karagiannis et Nicolas Ouédec, pour ne citer qu’eux, cela a fait du bruit. Certains ont répondu à l’attente sur le terrain, mais leur salaire était trop lourd pour la trésorerie d’un petit club.

Pierre-Yves Hendrickx : L’idée de base est totalement la même chez nous. L’écrémage a même été plus profond. Le travail avait été entamé la saison passée avec le départ de Branko Milovanovic, suivi de l’arrivée décisive de Laurent Macquet, BertrandLaquait et Boéka-Lisasi. En juin, Charleroi avait 60 joueurs sous contrat : il en reste 40. Des jeunes auxquels le staff technique ne croyait pas sont partis. Charleroi s’est libéré des joueurs prêtés à l’Olympic. Le noyau A compte 22 joueurs, avec un budget défini qui ne sera pas augmenté d’un cent. Loris Reina et Adekanmi Olufade sont venus respectivement de Marseille et de Lille. Un accord a été trouvé avec ces clubs afin qu’ils prennent en charge une partie des coûts. Mogi Bayat a créé un réseau personnel avec une quinzaine de clubs en France où il connaît le président, le manager ou l’entraîneur.

Nos joueurs français sont aussi des sources de renseignements. Raymond Mommens sillonne la France de long en large avec Mogi Bayat. Laquait et Macquet se sentent bien chez nous et sont devenus des ambassadeurs. Quand on leur demande leur avis, ils sont positifs. Les clubs français forment beaucoup de joueurs. Ils ne trouvent pas tous chaussure à leur pied, à un moment ou l’autre de leur carrière, et la veine mérite d’être creusée. C’est ce que nous avons fait, comme les Loups, après les départs d’Eduardo (Toulouse), Gauthier Remacle et Adrian Aliaj (Oberhausen), Alexandre Kolotilko, etc. Mogi Bayat a été chercher les frères Ciani au Racing de Paris, Olufade à Lille, Oulmers à Amiens, Chabaud à Nancy, Reina à Marseille.

Il y a là un travail de base, très important, qui n’est pas été assez mis en exergue, selon nous, dans les médias. Il y a eu des problèmes internes à Charleroi. Je comprends qu’on en parle mais, dans un passé proche, il ne serait jamais arrivé que Loris Reina puisse se promener en ville sans jamais être reconnu. Ce n’est pas tous les jours qu’un footballeur ayant portéles couleurs de l’OM débarque en Belgique. Nous avons remarqué que l’attaque manquait de poids. Le staff technique s’est penché sur le problème en suivant Gilson et Traore. Le tout s’inscrit dans le 4-4-2 prôné par Dante Brogno. La moyenne d’âge est en baisse. Charleroi se retrouve parfois sur les mêmes pistes que La Louvière, comme ce fut le cas pour Djamba et Reina mais, dans les deux cas, la priorité a été laissée au club qui était le premier sur la balle.

Charleroi a défini de nouveaux barèmes de salaires qui collent avecles prestations. La vente de notre meilleur joueur, Eduardo, a mis du beurre dans les épinards, pas uniquement dans le secteur sportif. Charleroi a du flair, à défaut d’argent. Quand Eduardo est arrivé, on a dit que c’était leseul joueur brésilien aux pieds carrés. Ses progrès ont été fulgurants et ce joueur a été courtisé sur le marché des transferts.

Ishiaku préfère mûrir encore un an à La Louvière

D’autres joueurs valent gros sur le marché des transferts : Dufer à Charleroi, Ishiaku à La Louvière. Pourquoi ne les avez-vous pas vendus ?

Roland Louf : Manaseh Ishiaku a attiré le regard d’un club russe. Nous en avons parlé avec lui. L’affaire aurait pu se concrétiser, mais le gamin n’était pas chaud. Il a choisi de rester en Belgique où il a une procédure de naturalisation en cours. Nous n’avons pas insisté, même si la vente aurait été financièrement intéressante, car nous n’avions pas d’alternative pour lui. C’était à lui de décider. Un tel départ ne collait pas avec son plan de carrière. Il préfère mûrir encore un an à La Louvière. Je le comprends, car il sera alors encore plus fort. Après sa formidable finale de Coupe de Belgique, il n’y a eu aucune offre pour lui en Belgique. Je devine qu’il en sera autrement à la fin de cette saison, car il n’y a pas beaucoup de pivots offensifs commelui chez nous. Le marchéest dans le creux, mais il va remonter.

D’autres joueurs seront courtisés, c’est évident : Proto, Klukowski, Odemwingie et je cite que ceux-là. Odemwingie a un avenir phénoménal devant lui. Il est sidérant de classe : deux pieds, technique, vitesse, frappe. C’est le meilleur ailier droit de Belgique. C’est important pour un petit club. Sur un budget de trois millions d’euros, 50 % est accordé au noyau A. Une bonne vente se révèle dès lors intéressante, si pas vitale. Le coach n’ignore pas que des joueurs prometteurs peuvent partir à la fin de chaque saison. Les jeunes du cru, c’est un problème ici et ailleurs en Belgique, car il faut payer pour les protéger alors qu’ils n’ont pas nécessairement fait leurs preuves. Tout est pesé. A gauche, nous aurions pu doubler le poste après le départ de Stefan Teelen et nous avions pris contact avec Loris Reina. Mais Ariel Jacobs a constaté que Yannick Vervalle mordait depuis le début de la campagne de préparation. Le coach lui a fait confiance, on a pu consacrer cet argent à d’autres dépenses. Il faut oser prendre des risques. Tout cela représente un gros travail. Nous ne sommes pas nombreux au Tivoli, mais tout le monde travaille 12 heures par jour.

Pierre-Yves Hendrickx : En ce qui concerne Grégory Dufer, l’offre ne correspondait pas à ce que l’on pouvait espérer pour un joueur de cette qualité. C’est un international Espoir au potentiel reconnu par tous. Il a fait un choix, et je crois qu’il est à inscrire dans un désir de progresser et de confirmer. Ce sera intéressant pour tout le monde, que ce soit le joueur et le club. Il a passé un test à Lorient, mais a conclu que son niveau de jeu pouvait se bonifier à Charleroi. Nous ne pouvions pas refuser le départ d’Eduardo, mais bien celui de Dufer.

Nous avons de bons jeunes formés au club. Il y a un changement de donne en Belgique. Les jeunes ont la cote, mais il faut un coach qui y croit. Or, ce n’est pas évident car il y a la pression des résultats. Les entraîneurs sont le plus souvent des coaches et des sélectionneurs, pas des formateurs. Ce n’est pas une question de capacités, mais bien de volonté. A La Louvière, Ariel Jacobs a lancé des jeunes mais c’est aussi le cas de Dante Brogno. Notre entraîneur a géré les débuts en D1 de jeunes gars comme Stéphane Ghislain, Thibaut Detal et Fabrice Lokembo. Là, il est en phase avec la direction. Les clubs de notre calibre se spécialiseront de plus en plus dans la  » fin de formation « .

Il s’agit de repérer de bons jeunes, à l’étrangermais aussi dans de grands clubs belges, qui n’ont pas toujours le temps de fignoler une formation. Chez nous, un jeune peut acquérir un plus, faire parler de lui, être mis en vitrine. Le public a parfois difficile à comprendre le changement de donne. Un  » nom  » rassure mais l’avenir, ce sont les jeunes. La balle est dans leur camp. A eux de travailler et d’obtenir notre confiance. A 16 ans, Ghislain n’était pas parmi les meilleurs de sa catégorie d’âge, mais il est désormais dans le noyau A.

Les grands clubs n’ont pas de projet global

Vous n’êtes pas les seuls à faire des économies. En France, Metz ne va plus au vert avant ses matches à domicile, et aux Pays-Bas, Geert De Vlieger vend des abonnements par téléphone aux supporters de Willem II. Qu’est-ce que cela vous inspire ?

Roland Louf : En général, on est trop négatif à l’égard de notre football. Les clubs belges se débattent dansla crise depuis deux ans et ont pris l’habitude de gérer les situations délicates. Ce travail n’est pas apprécié à sa juste valeur. Je sais qu’un club doit normalement être l’émanationd’une région d’un million d’habitants pour avoir ses aises sur le plan financier et commercial. Ce n’est pas notre cas, alors il faut faire des miracles pour nouer les deux bouts.

Pierre-Yves Hendrickx : Pour le moment, on lutte. Nous avons effacé nos ardoises à court terme. Les grands clubs mettent beaucoup sur le dos des petits. A tort. On a inventé un G5. Pourquoi ? Un G3, d’accord, mais comment expliquer que Gand puisse faire partie d’un G5 ? Michel Verschueren a rendu service à Anderlecht et au football, mais ce n’est pas parce qu’un nouveau manager arrive dans son club qu’on doit lui accorder un poste au Comité Exécutif. D’ailleurs, la limite d’âge le lui interdit. Les grands clubs n’ont pas de projet global.

Roland Louf : Ils ne pensent qu’à eux, sans parvenir à se mettre d’accord à cinq sur une Bénéligue, une Bénécup, un championnat à 16 ou à, 14, des playoffs, etc. On n’a pas uniquement besoin de G5…

Pierre-Yves Hendrickx : Non, il faut un projet pour tout le football professionnel. Si c’était le cas, tout le monde applaudirait à deux mains. J’ose croire que Michel Preud’homme va apporter quelque chose au football belge. J’en suis certain. C’était un grand gardien, il a voyagé, vu ce qui se passait à l’étranger. Il m’a épatépar son intégration en tant que dirigeant au Standard. A l’Union Belge, c’est pareil. Tout est plus serein depuis qu’il a rejoint l’équipe dirigeante à Sclessin. Si le Standard est à nouveau apprécié, Michel y est pour beaucoup. Avec lui, on va enfin reparler de football au Comité Exécutif. Par ses idées, et son âge bien sûr, il représente plus l’avenir que Michel Verschueren.

 » Charleroi a du flair, à défaut d’argent  » (Pierre-Yves Hendrickx) » Chez les petits épiciers, il n’y a pas d’économies idiotes  » (Roland Louf)

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