» Celui qui me transfère, achète une Ferrari « 

La star suédoise du PSG parle de son enfance difficile, égratigne Pep Guardiola, évoque les béni-oui-oui Xavi-Iniesta, encense Mourinho et cause surtout de lui…

Zlatan Ibrahimovic (31 ans) arrive avec une heure de retard. Décontracté, le sportif suédois le plus célèbre du moment pénètre dans le lobby de l’hôtel Scandic Park de Stockholm. Il est accompagné de sa femme Helena, de onze ans son aînée, une  » evil super bitch deluxe  » (sic), comme il la présente lui-même. Leurs fils, Maximilian et Vincent, âgés respectivement de sept et de cinq ans, sont en leur compagnie. Le cadet arbore une coiffure d’Iroquois et des lunettes à grosse monture tandis que le père a enfilé des jeans usés et un pull rouge à capuche. Ibra est jugé arrogant, excentrique et entêté. Les 60 minutes à venir promettent.

Est-il exact que vous vous y connaissiez en vélos ?

Zlatan Ibrahimovic : Je pense qu’on peut dire ça.

Quel est le meilleur moyen d’en voler un ?

Cela dépend du verrou. C’est plus facile quand il fait noir et que personne ne peut vous voir mais c’est aussi moins excitant.

Étiez-vous doué ?

Disons que j’étais un voleur plutôt talentueux. J’ai piqué pas mal de vélos.

Pourquoi ?

Le terrain de football était loin et je me suis demandé, un jour, pourquoi je devais toujours y aller à pied. Mon père n’avait pas les moyens de m’offrir un vélo. Donc, j’en ai pris un mais on me l’a ensuite volé pendant que j’étais à l’école. Donc, j’ai dû en voler un autre. Une fois, j’en ai vu un superbe. Il appartenait au facteur, qui ne l’avait pas attaché.

L’idiot…

Oui. Je veux dire : non. En fait, c’était moi l’imbécile. Dès que l’homme a disparu dans le hall de l’immeuble avec le courrier à distribuer, j’ai sauté en selle et j’ai filé. Au coin de la rue, je me suis arrêté pour regarder le contenu des sacoches. Elles étaient remplies de lettres et je me suis dit que je ne pouvais pas faire ça. J’ai abandonné le vélo et je me suis enfui en courant. Je n’étais encore qu’un gosse.

 » Mon père buvait beaucoup. J’ai donc un regard très critique sur l’alcool  »

Vous n’étiez plus tellement jeune quand vous avez volé Ikea, alors que vous disputiez la Ligue des Champions avec l’Ajax.

J’étais avec un copain. Nous nous dirigions vers la caisse mais un des chariots sur lesquels se trouvaient nos achats a continué à rouler. Quand il est arrivé à hauteur de la caisse, je lui ai donné un petit coup.

Vous ne manquiez plus d’argent.

C’était pour le kick. Aujourd’hui encore, quand je vais dans une grande surface avec mes anciens amis, je les vois vider leurs poches ensuite, dans la voiture. Il en tombe plein de trucs. Pourtant, je pourrais leur acheter tout le magasin. Mais ce n’est pas pour ça. Ils font ça par plaisir. Cela vient de notre jeunesse. Je suis devenu plus raisonnable et, surtout, je suis riche, mais jamais je ne renierai mes origines. Ce que ça veut dire ? On peut sortir quelqu’un d’un ghetto mais pas extirper le ghetto de cette personne.

Vous êtes-vous souvent battu ?

Oui, souvent. Dans mon quartier, on n’appelait pas la police en cas de problème. On réglait ça autrement.

Y avait-il de l’alcool ?

Si nous allions dans un bar après notre interview, je pourrais boire un verre. Mais m’enivrer ? Non. Mes parents ont divorcé quand j’étais petit. J’ai vécu chez mon père et il buvait beaucoup. Je porte donc un regard très critique sur l’alcool.

Votre mère ne vous a pas aidé ?

Elle vivait à 500 mètres de chez nous, avec ma soeur et mon frère. Elle avait ses propres problèmes. Elle était femme d’ouvrage et elle avait du mal à nouer les deux bouts. Quand je n’avais plus mangé correctement depuis trois ou quatre jours, j’allais chez elle et je dévorais tout ce qui me tombait sous la main.

Et l’école ?

Parfois, j’ai déjeuné à la cantine, parfois pas du tout. Je préférais jouer au football sur le temps de midi.

 » Je ne serai jamais un vrai Suédois. Alors, pourquoi jouer comme si je l’étais ?  »

Votre vie vous paraissait-elle plus facile sur le terrain ?

Mon quartier était peuplé de Turcs, de Yougoslaves, de Palestiniens, de Polonais. J’ai découvert les autres quartiers de Malmö à seize ans seulement. Je ne regardais jamais la télévision suédoise. Au Malmö FF, mes camarades s’appelaient Mattison, Persson, Ohlsson. J’étais à part. Mon entraîneur voulait que je joue au service de l’équipe, que je délivre des passes simples et directes, que je coure davantage. Moi je pensais :  » Va te faire foutre, si je peux dribbler trois hommes, je le ferai. Je ne serai jamais un vrai Suédois alors pourquoi jouer comme si je l’étais ? «  L’entraîneur m’a souvent remplacé. C’était plus facile pour mes coéquipiers. Ils étaient blonds, ils jouaient pour l’équipe, ils couraient. Cela m’énervait mais cela m’a permis de devenir le footballeur que je suis.

Avez-vous besoin de vous énerver, de vous fâcher pour bien jouer ?

Je n’avais personne pour m’indiquer le chemin. Je devais le trouver moi-même. La colère était un stimulant.

Et maintenant ?

C’est en moi. Il n’est pas évident de se motiver jour après jour. Le matin, quand je me lève, je pense que je dois encore jouer. Heureusement, je m’énerve vite, même pour des choses banales.

Quand vous jouiez à l’Ajax, Marco van Basten vous a conseillé de ne jamais écouter l’entraîneur. Vous avez suivi son conseil, non ?

Il est une légende. C’était facile pour lui. Van Basten pensait en fait que j’aidais l’équipe en attaquant et non en défendant. Il avait raison.

La défense, ce n’est pas votre truc ?

Non, ça ne me convient pas. Où que j’aille, il y a toujours quelqu’un pour s’énerver. Tous les entraîneurs croient tout mieux savoir. À l’Ajax, j’étais confronté à Louis van Gaal. Il était directeur technique et il m’a expliqué, crayon en main, où je devais me déplacer. Je lui ai répondu :  » Écoute, patron, tu n’as rien à me dire. Retourne dans ton bureau écrire tes lettres.  » Ses grands airs m’excédaient.

Plus tard, Van Gaal vous a vendu, contre le gré de l’entraîneur.

Je m’étais disputé avec Rafael van der Vaart, qui pensait que je l’avais délibérément blessé. J’ai dit à Van Gaal :  » J’ai présenté mes excuses à Rafael mais il n’arrête pas de me faire des reproches. Il est mon capitaine mais il m’attaque. C’est lui ou moi.  »

 » Guardiola est un coach fantastique. Mais humainement, c’est un lâche  »

Qu’a répondu Van Gaal ?

Il m’a ordonné de jouer. Je lui ai répondu :  » Non, va te faire foutre.  » Une semaine plus tard, j’étais à la Juventus. Il faut posséder une certaine empathie à l’égard des autres. Van Gaal en est incapable.

Vous avez traité Pep Guardiola, votre entraîneur à Barcelone, de philosophe, sur un ton sarcastique. Qu’avez-vous contre lui ?

Guardiola est un entraîneur fantastique mais humainement ? Il est lâche. Ce n’est pas un homme. Tout s’est bien passé pendant les premiers mois. J’ai inscrit beaucoup de buts puis il a commencé à m’éviter. Il ne m’a plus adressé la parole et ne m’a plus aligné.

Pourquoi ?

Posez-lui la question ! Je n’en sais rien.

Peut-être a-t-il remarqué que votre style de jeu ne convenait pas à sa conception du football.

Aucune idée. Savez-vous ce que je pense ?

Non…

Qu’il m’a sacrifié au profit de Lionel Messi et qu’il n’a pas eu le courage de me le dire. Guardiola n’a rien dans son pantalon. Messi est un brillant footballeur, cela ne fait aucun doute, mais j’ai marqué plus de buts que lui. Messi s’est plaint auprès de Guardiola. Or, Messi est sa star, son chouchou. Guardiola n’a plus voulu que j’évolue aux côtés de Messi. Il m’a aligné devant lui. Il voulait que j’arpente le rectangle. J’en suis capable mais pas tout un match. Je pèse 100 kilos. Après quatre ou cinq sprints, je suis fatigué.

Le lui avez-vous dit ?

Voici ce que je lui ai dit :  » Si je ne conviens pas au système, dis-le moi et je m’en vais.  » Guardiola m’a répondu :  » Ibra, tu es super, tu fais tout comme il le faut.  » Cela ne l’a pas empêché de me mettre sur le banc.

 » Mourinho est capable de gérer des personnalités. J’irais au feu pour lui  »

Comment d’autres joueurs, comme Andres Iniesta ou Xavi, s’entendaient-ils avec Guardiola ?

Ce sont de braves gars, je n’ai rien contre eux mais ce sont des béni-oui-oui. Des écoliers qui opinaient à tout ce que Guardiola disait. C’est une question de personnalité. À Milan, je me suis retrouvé dans une équipe avec Filippo Inzaghi, Gennaro Gattuso, Mark van Bommel. Quand l’entraîneur nous demandait de courir à gauche, nous lui demandions pourquoi, comment. Il devait nous convaincre. L’entraîneur qui n’en est pas capable doit se chercher un autre boulot.

Vous avez quitté Barcelone après une saison. Vous auriez pu essayer de vous imposer ?

Dès que mon départ a été acquis, je me suis posé des questions : je quittais la meilleure équipe du monde. Le voulais-je vraiment ? La réponse était oui car je voulais être heureux et je ne puis l’être que quand les gens qui m’entourent m’apprécient et le montrent. Guardiola ne l’a pas fait.

Est-il possible que vous soyez incapable d’obéir ?

C’est simple : sans équipe, je ne puis gagner. Mais je dois être au centre de l’équipe pour m’épanouir. Celui qui me transfère achète une Ferrari. Celui qui possède un tel bolide fait le plein de super et met les gaz sur l’autoroute. Guardiola, lui, a fait le plein avec du diesel avant d’aller se balader dans la nature. Il aurait aussi bien pu s’acheter une Fiat.

Vous avez joué sous les ordres de José Mourinho à l’Inter. C’est le pire rival de Guardiola, qui a l’image d’un gentleman alors que Mourinho est plutôt un gamin de merde. Mais vous avez un autre point de vue ?

Au moins Mourinho est resté lui-même. Il n’a pas besoin de jouer un rôle. L’autre veut être parfait. Tiger Woods aussi et que s’est-il passé ? C’est pareil pour Guardiola car chacun a son côté d’ombre.

Comment est Mourinho ?

J’irais au feu pour lui. Il est brillant. Très intelligent, un motivateur-né. Par contre, les cours de philosophie que dispensait Guardiola au vestiaire, c’est de la merde. Mourinho est capable de gérer des personnalités, de former une équipe à partir de onze caractères différents. Pas Guardiola. Mourinho a toujours accepté des missions difficiles. Pas Guardiola. Sinon, il aurait signé à Chelsea. Pourquoi donc a-t-il préféré le Bayern ?

 » L’Allemagne d’aujourd’hui n’est plus une Mercedes. C’est une Bugatti  »

Dites-le nous…

Parce que l’équipe fonctionne très bien sans lui. Elle était complète. Il a recruté des joueurs dont il n’a pas besoin. Guardiola a été malin car rien ne peut foirer au Bayern. Il va certainement connaître le succès. Mais à Paris ? C’est un projet neuf, qui part à zéro. C’est un défi. Mourinho les aime, Guardiola les fuit.

Pouvez-vous vous imaginer évoluer un jour en Bundesliga ?

Pourquoi pas ? Le Bayern est une bonne adresse. Du moins quand Guardiola sera parti.

La Suède va affronter l’Allemagne en qualifications. Il y a un an, le match aller s’est clôturé sur le score de 4-4 alors que l’Allemagne menait 4-0. Que s’est-il passé ?

Peu importe, c’était une mauvaise affaire pour nous.

Vraiment ?

Nous avons été trop statiques en première mi-temps. L’Allemagne aurait marqué les yeux fermés. Puis j’ai marqué le 1-4 de la tête. Je me suis emparé du ballon et l’ai remis au milieu, à toute vitesse. C’était un signe. J’espérais encore une issue moins pénible. Nous avons marqué un deuxième but, nous avons repris du poil de la bête et nous avons acculé l’Allemagne. 3-4. Je me suis dit que nous avions évité la raclée et j’ai remarqué que les Allemands étaient vidés. Leur regard trahissait la peur. 4-4. Je me demandais ce qui se passait. Nous étions sur un petit nuage rose. Après le match, nous avons eu l’impression d’être déjà qualifiés pour le Mondial. Une grave erreur.

C’était faux ?

Nous nous sentions plus forts que nous ne l’étions. Les deux matches suivants ont été mauvais. Il aurait mieux valu perdre contre l’Allemagne et battre l’Irlande puis l’Autriche.

On a reproché à l’Allemagne d’avoir été trop gentille, de manquer d’un leader.

Quelqu’un comme moi ? Foutaises. L’ADN allemand est en train de changer. Un sang neuf coule dans cette équipe. Ne me comprenez pas mal. Andreas Brehme et Lothar Matthäus étaient des footballeurs fantastiques mais cette équipe n’est plus une machine allemande. Elle n’est plus une Mercedes, elle est une Bugatti. Créative, élégante. Grâce aux joueurs issus de l’immigration : Mesut Özil, Illkay Gündogan, Jérôme Boateng, Sami Khedira. Combien d’habitants compte l’Allemagne ? 50 millions ?

 » Zlatanera en suédois, zlataner en français, ça dépeint une certaine domination  »

Un peu plus de 80.

Bordel ! Vous avez plein de possibilités ! Vous n’avez pas besoin de leader mais de talent. Qui est le meneur de Barcelone ? Personne. Et tous à la fois.

À la fin de l’année dernière, la langue suédoise a ajouté un mot à son dictionnaire : zlatanera. Les Français ont créé le néologisme zlataner. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Je me le demande aussi. Je suppose que cela dépeint une certaine domination ou le fait d’agir à sa façon. Comme Zlatan. C’est dingue : je donne un mot au monde. Au moins, j’aurai accompli quelque chose de marquant.

Vous avez votre mot, on chante votre nom, votre biographie est un des plus grands succès littéraires en Suède. Pourquoi êtes-vous tellement apprécié ?

Je reste fidèle à moi-même et je ne plie pas. J’ai l’audace d’entreprendre.

Comme ce but des 25 mètres, contre l’Angleterre ?

Neuf joueurs sur dix auraient maîtrisé le ballon avant de tirer. Pas moi. J’ai fait ce que nul n’imaginait car j’étais certain de mettre le ballon au fond des filets. J’ai cru en moi.

N’est-ce qu’une impression trompeuse ou vous trouvez-vous génial ?

J’aime être celui qui fait la différence. J’essaie de la faire sur le terrain en créant une situation particulière. Je ne veux pas marquer 40 buts par saison mais 30, tout en délivrant 20 assists. Je voudrais faire comme Zinédine Zidane. Il a mué ses coéquipiers en petits Zidane. C’est ce qui fait de lui un des meilleurs joueurs de l’histoire.

La Suède respecte la fameuse loi Jante, qui comporte dix règles de comportement en société. Une de ces règles précise qu’il ne faut pas se croire supérieur aux autres.

Nous sommes tous égaux. Étrange mentalité suédoise…

Vous aimez être différent ?

J’aime qu’on me reconnaisse et qu’on m’aborde en rue. C’est pour ça que je joue. Celui qui prétend ne pas aimer ça est un menteur.

 » Aucun joueur au monde ne vaut une somme astronomique  »

Le Real a versé 100 millions d’euros pour le Gallois Gareth Bale. Si on fait le compte de tout ce que vos clubs successifs ont déboursé pour vous embaucher, on arrive à 170 millions. Vous êtes donc le joueur le plus cher.

Et vous voulez savoir si je vaux cet argent.

Le valez-vous ?

Il y a quatre ans, Barcelone a versé 76 millions pour mes services. Je ne les valais pas. 100 millions pour Bale ? Non. Le système est malade. Nos contrats sont dingues. Aucun footballeur au monde ne vaut de telles sommes.?

PAR MAIK GROSSEKALTÖFER ET JUAN MORENO – PHOTOS: IMAGEGLOBE

 » Dans mon quartier, on n’appelait pas la police en cas de problème. On réglait ça autrement.  »

 » Guardiola n’a rien dans son pantalon. Il fuit les défis. Mourinho, lui, les aime.  »

 » C’est fou : j’ai donné au monde le mot zlataner. Au moins, j’aurai accompli quelque chose de marquant.  »

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